Pour sa première tournée en Afrique, le secrétaire d’État américain zappe la RDC

En tournée dans trois pays africains, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, a fort à faire pour imprimer l’approche que compte avoir la nouvelle administration américaine avec le continent africain. Pour articuler sa nouvelle politique américaine, Washington a fait le choix du Kenya, du Nigeria et du Sénégal. La République Démocratique du Congo, qui préside cette année la présidence tournante de l’Union africaine, ne semble pas se retrouver dans le plan des Etats-Unis. Pour sa première tournée en Afrique, Anthony Blinken, a superbement zappé la RDC.

Mission délicate pour Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain. Sa première tournée africaine qui l’emmène dans trois pays – Kenya, Nigeria, Sénégal – intervient dans un contexte difficile pour de nombreux États africains et aucune région ne semble épargnée. D’abord centré sur la démocratie et le changement climatique, les crises en Éthiopie et au Soudan devraient remettre la sécurité au menu des échanges. La tâche est d’autant plus difficile, que la précédente administration Trump ne faisait pas mystère de son désintérêt pour l’Afrique et fut le seul président américain en plusieurs décennies à ne pas se rendre sur le continent africain.

L’attente est donc grande alors que pour se démarquer de son prédécesseur, le président Biden s’est engagé au contraire à prêter une attention particulière à l’Afrique, adoptant un ton plus respectueux et engagé sur le continent. Blinken visite jusqu’à ce samedi trois pays considérés comme clés dans la stratégie africaine du président Joe Biden : d’abord le Kenya, un des plus anciens alliés de Washington, où la Chine gagne du terrain, puis le Nigeria, pays le plus peuplé du continent et, enfin, le Sénégal, modèle de stabilité démocratique.

L’Afrique subsaharienne est la dernière région du monde que visite Anthony Blinken, dont les déplacements au cours des premiers mois de fonctions ont été entravés par la pandémie de Covid-19 et le retrait américain d’Afghanistan.

Le renforcement de la démocratie est une priorité majeure de la politique étrangère de Joe Biden depuis son entrée en fonction, un sommet virtuel pour la démocratie doit d’ailleurs se tenir le mois prochain.

Ce programme est toutefois confronté à des vents contraires importants en Afrique, où plusieurs dirigeants, y compris certains avec lesquels les États-Unis étaient associés sur des questions de lutte contre le terrorisme et de sécurité, ont été renversés par des coups d’État. Exemple au Soudan, le quatrième putsch en Afrique cette année, après ceux observés au Tchad, au Mali et en Guinée.

Le conflit en Éthiopie, une épine dans le pied de Washington

Sans compter le conflit qui s’aggrave en Éthiopie, c’est la priorité de l’administration Biden. Addis-Abeba fut longtemps un allié proche de Washington. «Ça n’est pas l’Éthiopie que nous pensions voir il y a deux ans, quand nous l’applaudissions en tant qu’économie la plus dynamique d’Afrique», a récemment souligné l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield.

Signe que la situation est grave, ce mercredi 17 novembre, le chef de la diplomatie américaine s’est entretenu pendant une heure et demie – au lieu de 10 minutes initialement prévues – avec le président Uhuru Kenyatta, qui participe activement aux tentatives de médiation régionale sur le conflit éthiopien.

Les deux pays ont poussé à un cessez-le-feu, réaffirmant leur espoir d’une conclusion positive aux intenses efforts diplomatiques déployés pour une solution négociée au conflit entre gouvernement et rebelles dans le nord du pays.

Le président Kenyatta s’est rendu dimanche à Addis-Abeba, alors que la guerre qui dure depuis un an entre les rebelles de la région du Tigré et le gouvernement a connu une escalade ces dernières semaines. «Nous croyons qu’un cessez-le-feu est possible», a déclaré lors d’une conférence de presse conjointe la ministre kényane des Affaires étrangères, Raychelle Omamo.

Anthony Blinken a, lui, appelé à des «avancées concrètes pour la paix» et à la reprise de l’aide humanitaire au Tigré, où des centaines de milliers de personnes vivent dans des conditions proches de la famine, selon les Nations Unies. «Je réitère notre appel à toutes les parties à urgemment et sérieusement engager des négociations sur la cessation des hostilités sans conditions préalables», a-t-il déclaré, renouvelant par ailleurs l’appel aux citoyens américains à quitter l’Éthiopie.

Les États-Unis ont récemment critiqué l’Éthiopie et pris des sanctions, dénonçant des entraves à l’acheminement d’aide alimentaire et des violations des droits humains.         Interrogé par un journaliste, Blinken n’a pas exclu que les États-Unis puissent éventuellement qualifier les «exactions» commises au Tigré de faits relevant d’un génocide. «Quelle que soit la manière dont nous les appelons, cela doit cesser et il faudra rendre des comptes», a-t-il dit.

La stabilisation de la région en jeu

Ancien plus haut diplomate en charge de l’Afrique sous l’ex-secrétaire d’État Hillary Clinton, Johnnie Carson estime que la visite d’Anthony Blinken au Kenya ne doit pas être «une occasion manquée» d’inviter les dirigeants des pays alentour à chercher une solution régionale aux crises soudanaise et éthiopienne. «La Corne de l’Afrique est extrêmement fragile et les transitions démocratiques que nous pensions aller de l’avant en Éthiopie et au Soudan ont déraillé», explique-t-il, désormais à l’Institut américain pour la Paix (Usip). «En réalité, si ces pays s’effondrent au cours de l’année à venir, nous assisterons à un effondrement régional plus large», met-il en garde.

Bien que le lauréat du prix Nobel de la paix 2019 ait promis une victoire rapide, le TPLF avait, fin juin, repris la majeure partie du Tigré avant de poursuivre sa contre-offensive dans les régions voisines de l’Amhara et de l’Afar. Jeudi, Addis-Abeba a défini les conditions d’éventuels pourparlers, notamment l’arrêt des attaques, le retrait du TPLF de l’Amhara et de l’Afar et sa reconnaissance de la légitimité du gouvernement.

Le TPLF exige, quant à lui, que l’aide soit autorisée à entrer au Tigré, où des centaines de milliers de personnes vivent dans des conditions proches de la famine, selon les Nations unies. Aucune aide n’est arrivée par la route depuis le 18 octobre et 364 camions sont bloqués en Afar en attente d’une autorisation, selon l’ONU. Ces dernières semaines, les diplomates étrangers ont intensifié leurs efforts pour tenter d’arracher un cessez-le-feu.

Pas de blanc-seing au Kenya ni au Nigeria

En plus des échanges avec les autorités sur les sujets sécuritaires, Antony Blinken s’est entretenu mercredi matin avec des responsables de la société civile kényane, avec qui il a évoqué la manière d’empêcher les «mauvais joueurs» de mettre à l’épreuve les institutions démocratiques.

«Nous avons assisté au cours de la dernière décennie à ce que certains appellent une récession démocratique», a-t-il déclaré lors de cette rencontre, à laquelle participaient notamment des défenseurs des droits, un observateur d’élections et un dirigeant syndical. «Même les démocraties dynamiques comme le Kenya subissent des pressions, en particulier au moment des élections», a souligné le chef de la diplomatie américaine. «Nous avons vu ici les mêmes défis que ceux que nous voyons dans de nombreuses régions du monde : désinformation, violence politique, intimidation des électeurs, corruption d’électeurs», a-t-il ajouté.

Le secrétaire d’État américain a reconnu que les menaces à la démocratie pèsent aussi sur les États-Unis, où une foule de partisans de Donald Trump, alors président sortant, a pris d’assaut le Capitole à Washington le 6 janvier, dans le but de renverser le résultat des élections qui ont porté Joe Biden à la Maison-Blanche. «Nous avons vu à quel point notre propre démocratie peut être fragile», a-t-il déclaré.

Les élections au Kenya sont régulièrement marquées par des violences meurtrières. Le pays doit tenir sa présidentielle en août 2022 et ce scrutin porte «tous les signes d’une élection très contestée et violente», a mis en garde Irungu Houghton, le directeur exécutif d’Amnesty International au Kenya, qui a participé à la rencontre avec Blinken. Houghton a appelé à s’assurer que le président Kenyatta «n’utilise pas comme une arme» la police, la justice et d’autres institutions.

Si le président Kenyatta, qui s’est rendu dimanche à Addis-Abeba, est un partenaire important dans la résolution de la crise éthiopienne, «il est important que l’Amérique continue d’être vigilante, attentive et engagée et ne donne pas un blanc-seing au Kenya», a déclaré Houghton.

Antony Blinken se rendra ce jeudi au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, dont les autorités sont critiquées par Washington pour leur attitude envers les droits humains, notamment lors de la répression policière d’un important mouvement de contestation en octobre 2020.

Il ira ensuite au Sénégal, considéré comme un exemple de stabilité démocratique en Afrique. En ce qui concerne l’Afrique, «la démarche actuelle met l’accent sur l’objectif de revitalisation des démocraties ainsi que sur le changement climatique et le développement durable», explique Ervin Massinga, haut fonctionnaire au département d’État.

Autre sujet qui devrait être abordé lors de son voyage : le commerce. L’Agoa expire en 2025 et, pas plus que Donald Trump, Joe Biden ne semble pressé de la remplacer, face à une opinion américaine de moins en moins favorable aux accords commerciaux, au risque de favoriser les relations commerciales entre l’Afrique et la Chine.                Le sujet est délicat alors que les partenaires africains des États-Unis attendent que l’administration Biden articule sa politique autour des opportunités plutôt que de n’entrevoir que les menaces.

Econews avec Le Point Afrique