Compétence répressive de la Cour constitutionnelle : analyse à la lumière de l’arrêt RP 0001 du 15 novembre 2021

Depuis quelques jours, le monde juridique et même l’opinion sont pollués par des réflexions allant dans tous les sens, des spécialistes supposés ou avérés, chacun à sa manière, sur la position de la Cour en rapport avec ce qu’il convient d’appeler « l’affaire Matata ». 

À la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle ayant décliné sa compétence, personnelle en l’espèce, des voix s’élèvent, les unes pour saluer, les autres pour remettre en cause « le dit pour droit » de la Cour. A se demander donc si, à la suite des propos du Chef de l’État lors de l’état de la Nation, si le droit, alors le bon a été dit?  

Ce débat a encore été alimenté par les propos récents de Modeste Bahati Lukwebo, agissant comme président du Sénat, qui s’attribue avec  beaucoup de prétentions la qualité d’auteur ou de rédacteur de la Constitution ; ce qui implique, indirectement dans son chef, une fausse croyance d’être spécialiste du droit constitutionnel et plus, dépositaire de l’esprit du constituant dont il s’habilite le pouvoir d’interpréter. 

Il est d’abord important de préciser que les expressions comme « rédacteurs ou auteurs de la Constitution » ne veut rien dire et ne confère aucune portée juridique, la seule interprétation du texte constitutionnel, au regard du caractère exceptionnel et circonstanciel du constituant originaire, étant judiciaire. La Constitution est ce que le juge constitutionnel dit d’elle. C’est donc une conception erronée à croire que, la participation au vote d’un texte juridique confère des qualifications particulières dans la connaissance de cette norme.

Au-delà de cette précision, sans prétention de monopole, il nous a paru important de livrer notre part de réflexion sur cette question, à la lumière du droit constitutionnel pénal congolais, suivant une interprétation systémique.

La compétence répressive de la Cour constitutionnelle est circonscrite sur une double conditionnalité : la qualité de Président de la République ou du Premier ministre au moment de la commission des faits (infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions) et au moment des poursuites (les poursuites sont enclenchées par une mise en accusation du Congrès avec, en cas de culpabilité, la déchéance, alors que pour les autres membres du Gouvernement, ils démissionnent dès le vote par l’Assemblée nationale de l’autorisation des poursuites). 

Ceci ressort clairement de l’analyse de l’article 163 de la Constitution qui prescrit l’exercice de cette compétence dans les cas et conditions prévus par la Constitution, en l’espèce ses articles 164, 166 et 167 qui définissent les cas susvisés ainsi que la procédure à suivre. Il s’agit donc d’une compétence qui n’est pas divisible avec la procédure constitutionnelle de sa mise en œuvre.

Et c’est logique que, s’agissant des autres infractions commises pendant le mandat ou l’investiture, mais étrangères à l’exercice de leurs fonctions, les poursuites suspendues ne peuvent être enclenchées qu’après que le Président de la République ou le Premier ministre, selon le cas, aura cessé d’exercer ses fonctions (article 167 alinéa 2 de la Constitution). 

En complément à cette disposition constitutionnelle, l’article 108 de la loi organique de la Cour constitutionnelle renvoie à la procédure pénale et suivant les règles de compétence ordinaires, matérielle en principe ; le juge compétent n’étant plus la Cour constitutionnelle mais plutôt le juge de droit commun de l’intéressé en tant que citoyen ordinaire qu’il est redevenu, d’autant plus que le privilège de juridiction de la Cour et des poursuites ne le concernait que pendant l’investiture de ses fonctions.

Quid alors de la compétence et des poursuites pour les infractions commises à l’occasion de l’exercice des fonctions mais dont l’action publique est mise en œuvre après la cessation des fonctions? 

D’abord, et c’est là l’erreur même dans la tentative autoattribuée de l’interprétation de la Constitution par certains comme le cas cité ci-haut. L’expression « dans l’exercice de ses fonctions » signifie que la qualité que l’on possède est incluse comme élément intrinsèque pour l’existence de l’infraction. C’est le cas notamment de l’outrage au parlement qui ne peut se concevoir que lorsque l’on exerce les fonctions de Premier ministre.  

Quant à l’expression « à l’occasion de l’exercice de ses fonctions », elle ne signifie pas que l’on a commis des infractions quand on était en fonction mais que les poursuites sont enclenchées après la cessation desdites fonctions. Cette expression renvoie simplement aux infractions dont la commission a été facilitée par la détention de la qualité qu’on a. 

Pour répondre à notre question, le constituant, comme exposé ci-haut, ne prend en charge que le critère cumulé de compétence de la Cour et des poursuites au moment où on est en fonction. C’est la loi organique qui donne une piste de solution, invoquant la juridiction de droit commun comme seule compétente lorsque les poursuites sont engagées, alors que l’on a cessé d’exercer les fonctions, bien que circonscrite ou limitée pour les infractions commises en dehors de l’exercice des fonctions. 

Cette disposition veut que le Président de la République ou le Premier ministre, auteur des faits infractionnels en cours de mandat mais sans rapport avec sa fonction, ne soit pas poursuivi et jugé devant la Cour constitutionnelle mais devant le juge ordinaire corrobore ainsi le constituant pour justifier l’incompétence de la Cour de juger les personnes ayant cessé d’exercer les fonctions précitées… 

Il est donc inconcevable que la même personne poursuivie au même moment où il n’est plus en fonction ait deux juges compétents, l’un, la Cour constitutionnelle, pour les infractions commises à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et, l’autre, le juge ordinaire pour celles commises en dehors de l’exercice.

Dès lors, on peut conclure qu’ayant perdu le privilège de juridiction de la Cour du fait de la perte de la qualité constitutionnelle du Président de la République ou du Premier ministre, l’intéressé recouvre son droit à son juge naturel qui est le juge matériellement compétent en raison de la peine, sauf si, dans l’entre-temps, il exerce une fonction qui lui confère un autre privilège de juridiction.

C’est donc à bon droit que la Cour constitutionnelle a décliné sa compétence.

Me Pierre Lukamba Odimba (CP)