Le Congo n’est jamais avare de surprises : voici trois ans, l’accord intervenu entre Joseph Kabila – dont le dauphin Shadary avait été désavoué par les électeurs – et Félix Tshisekedi, le moins bien loti des candidats à l’élection présidentielle, avait fait mentir tous les pronostics pessimistes.
Au début de l’an dernier, après de longues manœuvres de persuasion «à la congolaise», c’est-à-dire à coup de billets verts et sans aucune violence, la majorité qui permettait à Kabila de contrôler tant le Sénat que le Parlement basculait et assurait au chef de l’Etat surnommé «Fatshi-béton» une majorité… bétonnée.
L’espoir prenait racine : la «vision» du Chef de l’Etat, désormais dotée d’une marge de manœuvre confortable, allait enfin se concrétiser. D’autant plus que Félix Tshisekedi, ayant fait preuve d’une incontestable intelligence stratégique, multipliait les initiatives : assurer la gratuité de l’enseignement primaire (le droit à l’éducation étant inscrit dans la Constitution), mettre définitivement fin aux violences ravageant les deux Kivu, entamer des travaux d’infrastructures, se libérer de la trop grande emprise des Chinois en renégociant certains contrats, traquer la corruption avec l’aide du nouveau patron de l’Inspection générale des Finances, rendre au Congo son rang de puissance africaine…
Non seulement bon tacticien, Tshisekedi se révélait un réservoir de bonnes idées illustrant le slogan de sa campagne : «Le peuple d’abord ».
Un an plus tard, à l’instar de la jeep présidentielle alourdie par trop de passagers, l’appareil de l’Etat s’est embourbé. La corruption, inégalement poursuivie, règne toujours et une nouvelle caste de nouveaux riches détrône l’ancienne, l’Est du pays est devenu le terrain d’opération d’armées étrangères et les populations souffrent toujours autant, la perspective des élections annonce déjà de nouvelles contestations car l‘indépendance de la nouvelle Commission électorale pose question.
Certes, on peut soupirer, invoquer le fatalisme congolais, l’infinie capacité de résignation d’une population qui vit au jour le jour, ignorer l’émergence d’une nouvelle classe moyenne et les exigences de la jeunesse. On peut poursuivre, à l’instar de la trop discrète diplomatie belge, le «business as usual », dialoguant avec une caste politique formée dans nos écoles.
Il ne faudrait cependant pas oublier que le 4 janvier 1959 non plus, on n’avait rien vu venir dans la «colonie modèle» qu’était le Congo. Ce jour-là cependant, des émeutes inattendues éclataient à Léopoldville, leur répression faisait – officiellement – 39 morts et le discours d’un certain Patrice Lumumba réveillait brusquement l’espoir d’une prochaine indépendance. La suite est connue. L’histoire (et entre autres celle de la révolution française) nous a appris que les peuples ne se lèvent pas lorsqu’ils sont au plus bas de l’oppression et ne vivent que pour survivre, mais au moment où l’espérance du changement commence à poindre tout en demeurant inassouvie…
Un an après avoir conquis sa nouvelle majorité, Tshisekedi patine toujours
Les voitures du convoi présidentiel embourbées sur une route du Kasaï, transformée en ravin par les pluies diluviennes et l’absence d’entretien…Si la photo a fait le tour des réseaux sociaux, ce n’est pas seulement parce qu’elle illustre le dénuement de l’intérieur du pays, c’est aussi parce qu’elle symbolise le pouvoir de Félix Tshisekedi une année après le» grand remplacement». La majorité jusque-là détenue par Joseph Kabila et son parti le FCC avait basculé au profit de l’«Union sacrée» de la nation, les élus ayant changé de camp après avoir monnayé leur revirement à coups de billets verts et de 600 jeeps généreusement distribuées. L’argument brandi à l’époque était que la majorité jusque-là contrôlée par le président sortant bloquait toutes les réformes que le nouveau pouvoir souhaitait mettre en œuvre. Un an après, le constat est ambigu.
Sur le plan extérieur, Félix Tshisekedi a multiplié les promesses et les engagements et son porte-parole assure que, grâce à ses multiples voyages et à la présidence de l’Union africaine, «il a remis le Congo sur la carte du monde»; il a rétabli avec la Belgique des relations qui étaient exécrables du temps de Kabila, s’est fait photographier aux côtés de Joe Biden, s’est recueilli sur le tombeau du Christ à Jérusalem au grand dam des Palestiniens, s’est employé à réduire le poids de la Chine et à faire reculer les ambitions économiques de Pekin…Mais le coût du cabinet du chef de l’Etat, – plus de mille personnes très bien payées – a fait exploser le budget de la Présidence qui accuse un dépassement de 479%…
Sur le plan extérieur toujours, le Président s’est employé à normaliser les relations avec les pays de la région, concluant de nombreux accords de coopération économique et surtout militaire, applaudis de l’extérieur mais sévèrement jugés par l’opinion nationale.
Les souverainistes relèvent que l’adhésion à la zone africaine de libre-échange se traduit surtout, pour la RDC, par la fourniture de ma-tières premières brutes qui seront transformées hors des frontières (l’or en Ouganda et au Rwanda, le coltan au Rwanda, le cuivre en Zambie, le cobalt en Chine après avoir transité par la Tanzanie et l’Afrique du Sud…). En outre, les accords militaires se résument souvent à une sorte de libre circulation de troupes étrangères sur le territoire national, moins pour rétablir la paix au bénéfice des Congolais que pour traquer divers groupes d’opposants menaçant les pays voisins et exploitant les richesses locales. Les zones frontalières sont ainsi devenues des terrains d’opération pour des forces étrangères antagonistes : des militaires burundais traquent, dans le Sud Kivu, des groupes d’opposants eux-mêmes soutenus par Kigali pour affaiblir le régime de Bujumbura tandis que des opposants rwandais du RNC (Congrès national rwandais) dirigés par le général Kayumba Nyamwasa tentent de recruter dans les Haut plateaux au-dessus d’Uvira, ce qui entraîne la destruction des villages et du bétail de Tutsis congolais Banyamulenge.
Au Nord-Kivu, l’état de siège décrété voici sept mois n’a pas empêché les massacres de se poursuivre : malgré la suspension des administrations civiles et le quartier libre donné aux militaires, 1300 personnes ont péri sous les coups des ADF, ces milices islamistes affirmant s’opposer au président ougandais Museveni et relever de l’internationale djihadiste. La Monusco, dont l’impuissance a été avérée après vingt ans de présence en RDC, a été mise à l’écart des opérations conjointes désormais menées par une armée congolaise dont les effectifs avaient été surestimés et par l’armée ougandaise qui a envoyé dans l’Ituri ses meilleurs détachements, qui ont déjà remporté quelques succès. Ce qui n’a pas empêché un groupe terroriste de mener une attaque suicide à Beni le jour de Noël.
Quant à la présence rwandaise, elle est plus mal vécue encore par les populations locales : elles ont assisté, voici quelques semaines, à une «promenade» de l’armée de Kagame au Nord de Goma, tout le système de télécommunications congolais est désormais contrôlé au départ de Kigali, les avions Rwandair opèrent (avec succès et ponctualité) sur l’ensemble du territoire national et, pour s’être opposé à une tentative de main-mise rwandaise sur les réseaux d’information, le directeur de la Radio-télévision congolaise Freddy Mulumba a été sèchement licencié.
Relevant que les provinces placée sous état de siège sont dirigées par des généraux issus des anciennes rébellions naguère soutenues par le Rwanda et l’Ouganda, des observateurs militaires comme Jean-Jacques Wondo se demandent «s’il ne s’agît pas de replacer la RDC sous l’ancien ordre politique régional qui a prévalu de 1997 à 2003 », une époque où les pays d’Afrique de l’Est (Rwanda, Ouganda, Kenya) avaient soutenu les mouvements rebelles pour tenter de faire basculer vers l’Est le géant congolais. Paradoxalement, c’est un président originaire du Kasaï, au centre du pays, qui donne aujourd’hui plus de gages aux voisins de l’Est que le Katangais Joseph Kabila, qui avait été prétendument qualifié de Rwandais…