L’Élysée envisage d’annoncer d’ici à deux semaines le départ des troupes françaises du Mali. Un scénario auquel se prépare l’armée depuis des mois. Le Niger deviendrait alors le pivot de l’opération antidjihadiste conduite par Paris, ses alliés africains et européens. Alors que, sur fond de joutes verbales, les relations entre le Mali et la France ne cessent de se détériorer, l’option d’une rupture n’est plus exclue à Bamako.
Toutes les occasions sont bonnes, désormais, de fustiger la France. Lors d’un déplacement le 28 janvier à Kita, dans le sud du Mali, destiné à célébrer la «journée du coton» (une ressource primordiale dans l’économie locale), le premier ministre malien lançait : «Notre dignité n’est pas négociable. Si la France rappelle son intervention de 2013, qui s’est vite transformée en échec, qu’elle n’oublie pas que ce sont des Africains qui ont libéré la France…».
Agitation diplomatique autour du Mali cette semaine. Une réunion des ministres européens des Affaires étrangères a eu lieu, lundi à Bruxelles, avant d’autres rendez-vous prévus cette semaine. L’annonce d’un retrait des troupes françaises et européenne du pays est attendue. Le chef de la diplomatie française Jean- Yves le Drian est revenu sur Wagner, le groupe privé russe de mercenaires, affirmant que 1.000 d’entre eux sont présents au Mali.
Rester ou non au Mali? Devant l’escalade des tensions entre Paris et Bamako ces derniers jours, l’Élysée se donne deux semaines pour annoncer son nouveau dispositif militaire dans le Sahel, et, en premier lieu, pour statuer sur sa présence au Mali.
L’exécutif français ne le cache plus : le départ des forces françaises de ses trois dernières bases au Mali (à Menaka, Gossi et Gao) est «très sérieusement envisagé». Un choix qui serait imposé par la détérioration rapide des relations entre la junte au pouvoir et la France.
Cette décision n’est pas seulement liée à la crise diplomatique actuelle entre Paris et Bamako. En février 2021, le redéploiement et la fin de Barkhane au Mali avaient déjà été au centre des discussions du sommet du G5 Sahel à N’Djamena.
Du côté de l’armée française, on accueille cette éventualité avec un certain détachement : «Nous avons pris connaissance dans la presse que l’Élysée se donnait deux semaines pour trancher cette question avec ses partenaires européens. Nous travaillons sur différentes options. Et pour l’heure, nous continuons à combattre les groupes armés au Mali et à appuyer l’armée malienne», explique, serein, un responsable militaire.
Pas question de quitter le Sahel
Dans cette nouvelle configuration envisagée par l’Élysée, la base aérienne qui accueille les drones armés et les avions de chasse de l’opération Barkhane sera maintenue au Niger, dans la capitale Niamey, où s’est rendue la ministre des armées, Florence Parly, le jeudi 3 février. Idem pour le groupement tactique qui accompagne l’armée nigérienne dans ses combats contre les djihadistes dans la zone des «trois frontières» (l’espace situé aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso).
Car si le départ des Français du Mali est sur le point d’être acté officiellement, il n’est pas question pour Paris de quitter la sous-région. « Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel, avec l’accord des autres pays de la région et en soutien des pays du golfe de Guinée », a assuré mardi 1er février le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian.
«La mission qui nous a été attribuée par le politique est de lutter contre les groupes terroristes qui sévissent dans la zone des trois frontières et de neutraliser leurs chefs», précise-t-on du côté des armées. Une mission qui peut être remplie à partir du Niger et du Burkina, où sont déjà positionnées les forces spéciales françaises. «Sur ce plan-là, nous avons fait le job, disent les militaires français. Nos succès sont tactiques et militaires, l’objectif qu’on nous a demandé de remplir n’est pas d’en finir avec le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne».
Quid de la force Takuba ?
Si les Français quittent le Mali, il va être difficile pour la force européenne Takuba d’y demeurer. D’abord, parce qu’elle est intégrée à Barkhane et que la nation cadre de cette force est la France. Au Mali, Takuba est déployée au sein des emprises françaises. Le lien avec la France est si fort que «les Européens la nomment «la force française» à laquelle ils viennent en appui. Il n’y a qu’en France que l’on dit que Takuba est une force européenne», fait remarquer Caroline Roussy, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). De fait, la moitié des 800 militaires de Takuba sont français.
À cela s’ajoute la multiplication des tracasseries et des obstacles dressés par la junte contre le déploiement des contingents européens de Takuba sur son territoire. Si la France se replie au Niger, il est fort probable qu’elle embarque dans ses bagages la force Takuba.
Coopérations régionales
En pleine présidence française de l’Union européenne et à trois mois de l’élection présidentielle française, à laquelle Emmanuel Macron va sans doute se représenter, un retrait forcé du Mali après neuf ans d’engagement au prix de 48 morts français (53 au Sahel) constituerait un cuisant revers.
Mais si ce scénario semble aujourd’hui inévitable au Mali, un départ de l’ensemble du contingent français et européen de la zone est exclu. « Une forme de coopération ne va jamais disparaitre, les Européens ne peuvent pas se passer du Sahel qui est leur voisinage moyen », commente Ornella Moderan, responsable Sahel de l’Institut d’études de sécurité (ISS).
Paris a d’ores et déjà clairement réaffirmé sa volonté de continuer à lutter au Sahel et en Afrique de l’Ouest contre la propagation du jihadisme vers le golfe de Guinée, déjà constatée dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Bénin.
L’enjeu des mois à venir consistera à ne pas laisser de marge de manœuvre aux mouvements affiliés, selon les zones, à Al-Qaïda ou au groupe Etat islamique, qui ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’élimination de nombreux chefs. Le tout en veillant à rendre moins visible la présence française au travers de «coopérations» renforcées, sans se substituer aux forces locales.
Paris devra également tirer les conséquences de ses ambitions stratégiques déçues au Mali, malgré d’indéniables victoires tactiques contre les groupes armés. Le pouvoir politique malien n’a jamais véritablement déployé les moyens nécessaires pour déployer son autorité et des services dans les zones ratissées par les militaires de la force Barkhane. Et l’armée de ce pays déshérité reste très fragile, malgré les grands efforts déployés pendant des années pour la former et l’aguerrir.
Econews