Refus d’agrément de Vincent Karega : le Rwanda «regrette» que la Belgique ait «capitulé face aux pressions du gouvernement de la RDC»

Kigali soupçonne la main noire des autorités de la République Démocratique du Congo dans le refus de la Belgique d’accepter l’accréditation de Vincent Karega comme ambassadeur du Rwanda dans le Royaume. Le Rwanda a qualifié mercredi de «regrettable» le refus de l’agrément de son ambassadeur en Belgique, assurant par la voix d’une porte-parole du gouvernement que «cela n’augure rien de bon» pour les relations bilatérales.

Le Rwanda a qualifié mercredi de «regrettable» le refus de l’agrément de son ambassadeur en Belgique, assurant par la voix d’une porte-parole du gouvernement que «cela n’augure rien de bon» pour les relations bilatérales.

Vincent Karega, ancien ambassadeur du Rwanda en Afrique du Sud et en République démocratique du Congo (RDC), d’où il avait été expulsé en octobre dernier après des mois de tensions entre les deux pays, avait été choisi par les autorités de Kigali pour devenir ambassadeur en Belgique.

« Il est regrettable que le gouvernement belge semble avoir capitulé face aux pressions du gouvernement de la RDC et à la propagande des organisations et militants négationnistes », a accusé la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo. «Cela n’augure rien de bon pour nos relations bilatérales ».

La Belgique communiquera sur ce sujet «par la voie diplomatique », a réagi un porte-parole du ministère belge des Affaires étrangères à Bruxelles, également joint par l’AFP. «Ce genre de questions se règle par les canaux officiels», a-t-il insisté.

«Nous souhaitons des relations sereines et constructives avec le Rwanda », a ajouté ce porte-parole.

Tensions diplomatiques entre Bruxelles et Kigali Désigné en mars dernier par le président Paul Kagame comme futur ambassadeur en Belgique, l’homme était appelé à succéder à Dieudo nné Seb asho ngore, en poste depuis 2020.

Mais depuis cette désignation, le diplomate rwandais n’a jamais reçu son agrément.

Selon le site Jambonews, critique du pouvoir en place à Kigali, la Belgique a refusé l’agrément de Vincent Karega. Et d’ajouter : «Cette décision marque un tournant dans les relations diplomatiques entre les deux pays et soulève des interrogations quant aux raisons qui ont conduit à cette décision ».

Des diplomates, sous le sceau de la confidence, sont moins directs, plus… diplomatiques.

«On ne refuse pas l’agrément, on enfouit le dossier et on attend », explique l’un d’eux. «Parfois, on peut faire passer certains messages, mais, ici, vu le contexte sensible avec la région des Grands Lacs, le pourrissement est la tactique la plus appropriée», explique un autre diplomate.

Un passé sulfureux «Le parcours de M. Karega pose vraiment souci », explique un ambassadeur africain, qui rappelle que l’homme a été «déclaré persona non grata en Afrique du Sud, où il occupait déjà le poste d’ambassadeur.

Il a vécu la même aventure, mais dans un autre contexte, l’année dernière en République Démocratique du Congo».

En Afrique du Sud, Vincent Karega a été suspecté d’être impliqué dans l’assassinat de plusieurs opposants rwandais, parmi lesquels Patrick Karegeya, l’ancien chef vrai des renseignements de Paul Kagame, devenu une des bêtes noires du régime.

À Kinshasa, Vincent Karega, arrivé en 2020, a été prié de faire ses bagages en octobre 2022 dans un climat de tensions exacerbées entre la RDC et le Rwanda depuis le retour sur le front de l’Est des hommes du M23 à la fin de l’année 2021. Ces rebelles du M23 seraient directement entretenus par le pouvoir de Kigali, selon Kinshasa et divers rapports d’experts des Nations Unies.

Kabila l’avait refusé… pas Tshisekedi

En septembre 2019, avant que Vincent Karega ne présente ses lettres de créance à Kinshasa, les services de renseignement congolais, dirigés alors par le général Delphin Kahimbi, retrouvé pendu quelques mois plus tard, avaient mis en garde le président de la République, Félix Tshisekedi, contre le risque que représentait ce diplomate.

Il faut dire que les services de sécurité et diplomatique congolais avaient déjà eu le temps de se pencher sur le cas de ce Monsieur. En effet, Vincent Karega frappait déjà depuis quelques mois avec insistance à la porte de la RDC avec sa casquette de futur ambassadeur.

On était alors en 2018 et Joseph Kabila était encore au pouvoir. «Mais on a refusé de l’accréditer », se souvient avec précision un diplomate congolais qui ajoute, un large sourire aux lèvres : « Nous non plus, nous ne lui avons jamais donné de réponse. En diplomatie, les vertus de la latence ne sont plus à démonter ».

Dans la note envoyée en septembre 2019 aux plus hauts responsables congolais, courrier que La Libre a pu consulter, M. Kahimbi décrivait Vincent Karega, «qui a vécu en RDC pendant de nombreuses années et été formé à l’Université de Lubumbashi en économie », comme un homme «très expérimenté dans les activités clandestines. La présence de M. Karega en RDC serait une menace et un danger pour notre démocratie dans la mesure où l’intéressé pourrait commanditer des assassinats ciblés contre d’éventuels opposants rwandais en RDC», avant de conclure : « Il ne serait pas de bon augure d’accepter sa nomination comme ambassadeur en RDC. Bien plus, son accréditation dans notre pays, après avoir été chassé par l’Afrique du Sud, serait perçue par Pretoria comme un acte inamical… » Le président Tshisekedi n’avait pas tenu compte de cette mise en garde et avait donné son agrément à Vincent Karega.

Les Affaires étrangères belges, même si elles n’ont posé officiellement aucun acte dans ce dossier, semblent néanmoins sensibles au passé de ce diplomate à la réputation sulfureuse.

Dans ce contexte et avec ce passé du candidat ambassadeur, la question cruciale est de savoir pourquoi Paul Kagame a pris le risque d’envoyer cet homme dans son principal poste diplomatique en Europe. «Il faut s’attendre à des remous entre Bruxelles et Kigali », pronostique un ambassadeur africain.

La Belgique a été la puissance coloniale du Congo (aujourd’hui République Démocratique du Congo, ex-Zaïre) et du Ruanda-Urundi, jusqu’aux indépendances acquises en 1960 pour la RDC et en 1962 pour le Rwanda et le Burundi.

Econews