S’ils se montrent favorables à la perspective d’appuyer le processus électoral de 2023, les partenaires de la RDC ont été échaudés par les polémiques autour de la nouvelle direction de la Commission électorale nationale indépendante. Ils se montrent également méfiants sur un éventuel glissement du calendrier électoral.
Lors de son allocution du 22 octobre 2021, au cours de laquelle il a confirmé la nomination controversée de Denis Kadima comme nouveau patron de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le chef de l’Etat congolais, Félix Tshisekedi, a fait entendre son souhait de voir la communauté internationale apporter son concours à l’organisation de la prochaine présidentielle de 2023. Cette annonce n’est pas passée inaperçue dans les rangs des organisations internationales et des chancelleries occidentales, qui y ont vu une rupture majeure par rapport au scrutin de 2018.
Faisant valoir la souveraineté de son pays, l’ex-président Joseph Kabila avait balayé d’un revers de main les propositions d’aide et de financement des organisations internationales – il les avait pourtant acceptées lors des élections de 2006 et 2011. La force onusienne en RDC, la Monusco, entendait par exemple mettre sa flotte aérienne à la disposition de la CENI, tandis que l’Union européenne (UE) avait provisionné entre 15 et 20 millions de dollars Us en vue d’apporter son soutien.
Une ligne budgétaire à 250 millions de dollars us pour 2022
Si la nouvelle donne est confirmée par Félix Tshisekedi, l’administration de ce dernier n’a encore formalisé aucune demande vis-à-vis de ses partenaires extérieurs. Pour ne pas être pris de court, ces derniers tentent d’ores et déjà d’anticiper les besoins. C’est le cas notamment de la délégation de l’Union européenne à Kinshasa, qui prévoit de recourir aux services d’un expert électoral pour tenter de définir le modus operandi de son appui. D’autres ambassades, notamment celle de la Belgique, réfléchissent également en amont aux modalités de leur soutien à l’organisation du scrutin.
Les Nations Unies ne sont pas en reste. De passage à Kinshasa la semaine dernière, le secrétaire général adjoint aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, en a profité pour s’entretenir brièvement de ce dossier avec Félix Tshisekedi.
De son côté, la patronne de la mission onusienne en RDC, la Guinéenne Bintou Keita, presse régulièrement le président congolais de formuler au plus vite une demande claire à la Monusco. Cet empressement s’explique par la nécessité pour la Monusco d’obtenir en amont un vote de l’assemblée générale à New York avant de pouvoir débloquer des fonds.
Dans tous les cas, l’aide de différents partenaires ne devrait pas se traduire par un soutien financier direct à l’organisation du scrutin. Selon nos informations, le grand argentier de Félix Tshisekedi, l’ex-ambassadeur itinérant Nicolas Kazadi, entend que la RDC finance seule l’élection à proprement parler. Certains signes semblent aller dans ce sens. Dans le projet de loi de finances pour 2022, qui n’a pas encore été soumis à l’examen des députés, l’exécutif congolais entend allouer à l’institution 500 milliards de francs congolais (soit l’équivalent d’un peu plus de 250 millions de dollars Us) pour l’exercice 2022, qui s’ajouteront aux 8 millions de dollars Us destinés au fonctionnement de l’institution.
Le nouveau patron de la CENI dans l’œil de Washington
Si l’enveloppe budgétaire prévue est conséquente, elle doit encore être approuvée par le Parlement congolais. Elle risque dans tous les cas de ne pas être de trop pour mettre en branle le processus électoral, qui coûte excessivement cher en RDC compte tenu de l’immensité géographique du pays – le scrutin de 2018 avait coûté près d’un milliard de dollars Us. Or le respect du calendrier électoral est conditionné par la capacité de Kinshasa à mobiliser suffisamment de fonds pour organiser le scrutin.
Après avoir fait part de ses doutes en août dernier sur un éventuel glissement de l’échéance dans les colonnes de Jeune Afrique, le président Félix Tshisekedi tente désormais de rassurer ses partenaires à ce sujet.
Cette volte-face s’explique par la position de l’administration américaine, dont l’ambassadeur Mike Hammer a opéré un spectaculaire rapprochement avec l’exécutif congolais et qui refuse toute perspective de glissement comme lors du scrutin de 2018 – celui-ci devait initialement se tenir en 2016. Selon une source diplomatique, les Américains entendent garder un œil attentif sur le nouveau patron de la CENI. En mars 2019, ils n’avaient pas hésité à sanctionner son prédécesseur, Corneille Nangaa Yobeluo, ainsi que son vice-président Norbert Basengezi, accusant les deux hommes de corruption et d’entrave au processus démocratique.
L’épineuse question du fichier électoral
Les craintes d’un glissement sont aussi à mettre en regard avec la question des listes électorales. Dans un premier temps, les autorités congolaises avaient songé à poser comme préalable à la tenue du scrutin l’organisation du recensement de la population, dont le dernier remonte à 1982, à l’époque du maréchal Mobutu Sese Seko. Ce scénario, qui aurait permis d’éviter d’éventuelles polémiques sur le fichier électoral, a finalement été écarté compte tenu des difficultés organisationnelles et financières. Si cette option a été abandonnée, il reste toutefois à la CENI de Denis Kadima à actualiser les listes d’électeurs. A moins de deux ans de l’élection, le temps presse. D’après une source spécialiste des questions électorales en RDC, une telle opération pourrait s’étaler sur environ dix-huit mois.
S’ils se montrent peu critiques en public et disposés à apporter leur soutien, les partenaires internationaux s’inquiètent aussi en privé de certaines orientations prises par la présidence de Félix Tshisekedi. La polémique sur la nomination de Denis Kadima à la tête de la CENI est passée par là. Reconnu comme étant un expert électoral de qualité, l’intéressé est toutefois perçu comme trop proche du chef de l’Etat (tous deux sont de la même ethnie Luba). Surtout, sa nomination n’a pas fait consensus auprès de l’opposition, ainsi qu’au sein de différentes confessions religieuses – celles-ci sont chargées de la désignation du patron de la centrale électorale. Le porte-parole de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’abbé Donatien Nshole, a ainsi publiquement fait part d’accusations de corruption autour de la candidature de Denis Kadima.
Econews avec Africa Intelligence