Afrique du Sud : un gouvernement d’union nationale se dessine, après la réélection de Cyril Ramaphosa

Après d’âpres négociations entre les principaux partis du pays, Cyril Ramaphosa a été réélu ce 14 juin par le Parlement issu des législatives du 29 mai. Si Cyril Ramaphosa, le président sortant, a été réélu par l’Assemblée nationale pour un deuxième mandat, tout le reste est appelé à changer. Alors qu’il régnait en maître sur la politique sud-africaine depuis la fin de l’apartheid, le Congrès national africain (ANC), contraint de former une coalition pour conserver le pouvoir, a finalement signé un accord avec son principal adversaire, l’Alliance démocratique (DA), pour diriger le pays ensemble au sein d’un «gouvernement d’union nationale».

C’est finalement avec l’Alliance démocratique, parti libéral et principale force d’opposition du pays, que l’ANC a posé les bases d’un gouvernement d’union nationale, qui impliquera également d’autres partis, comme l’Inkatha Freedom Party (IFP).

La première tâche de la toute nouvelle alliance était d’élire, ce vendredi, le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, et le vice-président de l’Assemblée nationale. Moins de deux semaines après l’annonce des résultats des élections générales, l’accord s’est arraché à la dernière minute.

À l’ouverture de la première session parlementaire de la nouvelle législature, vendredi matin, les tenants et les aboutissants de cette coalition gouvernementale n’étaient toujours pas précisés. Elle était cependant nécessaire pour que Cyril Ramaphosa puisse être réélu président de la République, ce qui nécessite les voix de la majorité absolue des députés.

UNE LARGE COALITION

Une majorité absolue perdue par l’ANC lors des élections générales du 29 mai, pour la première fois depuis 1994. Ayant recueilli seulement 39,76 % des voix, le pire score de son histoire, le parti ne disposait plus que de 159 sièges sur les 400 que compte l’Assemblée nationale. Il s’est donc vu contraint d’appeler à une coalition pour pouvoir gouverner.

Le 6 juin, le président Cyril Ramaphosa a annoncé qu’il souhaitait mettre en place un large gouvernement d’union nationale, en rappelant au souvenir de 1994, lorsque Mandela avait monté un tel gouvernement pour apaiser les tensions issues de l’apartheid et de la transition démocratique. L’ANC disposait cependant alors d’une confortable majorité absolue, contrairement à aujourd’hui où c’est contraint et forcé qu’il doit négocier avec d’autres forces politiques.

Au cours de la semaine, les échanges entre partis se sont donc multipliés, à huis clos. Le secrétaire général de l’ANC, Fikile Mbalula, déclarait le 13 juin au soir avoir ainsi consulté 17 partis. À quelques heures de l’élection du président, il n’était toujours pas en mesure d’annoncer la composition de l’alliance censée soutenir Cyril Ramaphosa, mais il était déjà clair que celle-ci intégrerait l’Alliance démocratique (DA), principal parti d’opposition ayant emporté 21,79% des voix. Un choix qui exclut d’emblée du gouvernement le Front pour la liberté économique (EFF), parti d’extrême gauche ayant obtenu 9,68 % des voix, «ligne rouge» pour le DA, qui lors de sa campagne électorale qualifiait une potentielle future coalition entre l’ANC et l’EFF de «coalition de l’apocalypse». Une aversion réciproque : jeudi 13 juin, le dirigeant de l’EFF Julius Malema a réitéré son rejet de participer à un gouvernement aux côtés du DA : «Le DA est notre ennemi. Ce parti de droit et libéral représente directement un agenda contre révolutionnaire et néo-colonial, qui a pour but de protéger les intérêts actuels en Afrique du Sud, où les Blancs représentent toujours la majorité économique.»

Un gouvernement d’union nationale impliquant le DA a cependant reçu le soutien d’autres forces politiques, en tête desquels le parti zoulou IFP, qui a annoncé sa participation à un tel gouvernement, dès mercredi 12 juin au soir. En retour, il s’assure le soutien du DA et de l’ANC pour diriger la province du KwaZulu Natal, et évincer le uMkontho we Sizwe (MK), parti de Jacob Zuma, qui a pourtant obtenu plus de 45 % des suffrages dans la région. Des arrangements qui ne sont pas pour plaire au MK, désormais troisième force politique du pays. Dénonçant des élections biaisées, il a tenté un recours devant la justice pour repousser la tenue de la première Assemblée, débouté faute d’avoir avancé des preuves de ses accusations. Le parti a boycotté la session parlementaire de vendredi, les 58 sièges du MK restant vides.

RIEN N’EST JOUE

Les négociations sont cependant loin d’être terminées. Le président de la République doit être investi le 19 juin à Pretoria, après quoi il mettra en place son gouvernement. Il reste donc encore plusieurs jours pour régler les derniers détails relatifs à l’attribution de portefeuilles ministériels. Ni le DA ni l’ANC ne veulent sacrifier leur identité – et leur électorat – en concluant leur alliance, ce qui explique la difficulté des discussions. « La difficulté majeure concerne les différences idéologiques entre l’ANC et le DA», estime TK Pooe, professeur de sciences politiques à l’université de Witwatersrand. «Au cours des trois dernières décennies, les deux partis ont été en opposition l’un contre l’autre. Le DA est ce qu’on pourrait qualifier de parti de centre droit, l’ANC a tendance à s’identifier comme un parti de centre gauche. Et sur des questions clés, comme la façon d’interpréter l’économie et les problèmes de l’Afrique du Sud, il y a un petit schisme et une petite différence entre eux. Donc l’enjeu, c’est de savoir comment ils vont combler ce fossé.»

Pour les Sud-Africains, l’enjeu est aussi de savoir combien de temps une telle alliance peut tenir sur la durée. Le gouvernement d’union nationale établi en 1994 par Nelson Mandela avait volé en éclat après trois ans.

Avec Le Point Afrique