La naissance, le 16 septembre à Bamako, de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina et le Niger, n’est qu’une demi-surprise. La véritable surprise, c’est la vitesse de gestation de ce nouveau regroupement, pas ses objectifs.
En effet, moins de 2 mois après le coup d’Etat qui a déposé le président Mohamed Bazoum et l’exigence des chefs d’Etat de la CEDEAO de voir « restaurer l’ordre constitutionnel immédiatement », sous peine d’une intervention militaire, les soutiens du général Tchiani, en l’occurrence les gouvernements du Mali et du Burkina, n’ont pas chômé pour formaliser leur alliance après leur déclaration commune contre cette éventuelle « agression illégale et insensée ».
La «riposte immédiate» qu’ils ont annoncée en cas de déploiement de la force d’attente de la CEDEAO au Niger avait besoin d’un cadre légal pour s’exprimer. Et si la CEDEAO n’a pas encore trouvé le bon jour, la bonne tactique et la bonne stratégie pour déployer l’ECOMOG au Niger, ses contempteurs, notamment le Mali et le Burkina eux, se préparent à cette éventualité. Rien d’étonnant alors que le nouveau pouvoir du Niger soit partie prenante à cette nouvelle alliance.
En attendant que les organes législatifs de ces 3 pays avalisent l’acte de naissance de l’AES en ratifiant la « Charte du Liptako -Gourma», ses signataires, à savoir le colonel Assimi Goïta, le capitaine Ibrahim Traoré et le général Abdourahamane Tchiani, montrent qu’ils ont pleinement conscience des défis communs qui sont ceux de leurs pays, soient-ils conjoncturels. Ces défis communs, c’est le président Assimi Goïta qui les résume le mieux dans sa déclaration sur X (ex-Twitter) annonçant l’évènement : « J’ai signé ce jour avec les chefs d’Etat du Burkina Faso et du Niger, la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des Etats du Sahel ayant pour objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle au bénéfice de nos populations». Et son ministre des Affaires étrangères de préciser à des journalistes que « cette alliance sera une conjugaison des efforts militaires et économiques entre les 3 pays … Notre priorité, c’est la lutte contre le terrorisme dans les 3 pays ».
On ne peut mieux résumer les 17 articles de cette charte du Liptako-Gourma, dont le nom rappelle opportunément les liens séculaires d’histoire et de géographie avant leurs défis communs actuels liés à la remise en cause de leur souveraineté territoriale par les groupes armés terroristes, et honni soit qui ne voit en cette AES qu’une solidarité, pis un syndicat d’officiers putschistes.
Certes, on ne peut pas passer sous silence la situation politique actuelle des 3 Etats alliés, marquée par l’avènement de pouvoirs peu ou prou militaires qui ne répondent pas à tous les critères de la démocratie libérale qui peine à s’enraciner en Afrique depuis au moins un quart de siècle. On se demande alors si ces pronunciamientos ne sont pas des avatars supplémentaires des difficultés des Etats africains à construire leur développement et leur unité dans une stabilité institutionnelle forte. L’AES ne serait alors qu’un épiphénomène, un regroupement de plus, à l’aune des ambitions panafricanistes jamais abouties de fortes personnalités au pouvoir. Ambitions éphémères, le temps de leur vie au pouvoir, si ce n’est leur mise en œuvre qui a été édulcorée par la bureaucratie de super fonctionnaires, grassement payés à aller de séminaire en séminaire, de sommet de chefs d’Etat en sommet de chefs d’Etat. Pire, certaines organisations régionales ou sous-régionales ont sombré dans une léthargie de la Belle au bois dormant.
On citera, au nombre de ces regroupements qui ont fait long feu, la défunte Fédération du Mali, la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CENSAD), l’Union du Maghreb arabe (UMA), le Conseil de l’entente ou le G5 Sahel. Que Modibo Kéita, Mouammar Kadhafi et Félix Houphouët-Boigny doivent se retourner dans leurs tombes de voir leurs idées généreuses mourir de leur belle mort ou végéter dans un silence assourdissant, quand les défis de l’heure devraient les faire bouger utilement ! Et pour le G5 Sahel, la communauté internationale, notamment l’Union européenne, peut éprouver des regrets pour la bonne raison que l’engagement de ce dernier dans la lutte contre le terrorisme au Sahel est inversement proportionnel au financement qu’il a reçu, plus de 420 millions d’euros.
Alors si l’AES, que l’on pourrait surnommer le G3 Sahel, peut occire le G5 éponyme, peu de Sahéliens pleureront ce dernier. Au contraire, au Mali, au Burkina, au Niger et ailleurs, beaucoup crieront : « Le G5 Sahel est mort, vive le G3 Sahel ». Et qui sait si le Tchad et la Mauritanie, pays membres du si peu actif G5 Sahel, convaincus par les objectifs et les résultats futurs de l’AES, veulent y fédérer leurs efforts, on applaudira ce phoenix des sables en croisant les doigts pour qu’il soit une machine de guerre victorieuse, ne serait-ce que pour l’objectif conjoncturel de lutte contre les groupes armés terroristes qui déstabilisent la sous-région.
Par ailleurs, la CEDEAO, l’Union africaine et l’ONU, auxquelles les Etats membres de l’AES réaffirment leur appartenance dans le préambule de la charte du Liptako-Gourma en déclarant s’inscrire dans «la nécessité de poursuivre les luttes héroïques menées par les peuples et les pays africains pour l’indépendance politique, la dignité humaine et l’émancipation économique », devraient saisir la balle au bond pour accompagner cette initiative de regroupement. Elle n’est pas de trop et ne doit pas être une organisation sous-régionale de plus.
Avec L’Observateur Paalga