La COP28 s’est achevée à Dubaï sur un compromis historique, mais n’a pas réussi totalement à évacuer l’éléphant dans la pièce : l’avenir des énergies fossiles. Lors du rendez-vous de la COP28, les violons ne sont encore pas accordés sur l’abandon des énergies fossiles. Pourtant en elles-seules, les énergies combustibles produisent plus de 82 % des gaz à effet de serre, responsable du réchauffement climatique.
Chaque année, les négociations des COP sur le climat se déroulent un peu plus sous pression. Année la plus chaude jamais connue par l’humanité, 2023 a battu les records. Loin d’avoir commencé à décroître, nos émissions de gaz à effet de serre n’ont même pas encore atteint leur plafond. Comme l’a montré une étude publiée pendant le sommet, les émissions mondiales de dioxyde de carbone d’origine fossile (CO2) ont à nouveau augmenté de 1,1 % en 2023…
Et même si certains scénarios du pire s’éloignent peu à peu, les résultats des négociations climatiques tardent à être au rendez-vous. Les politiques mises en œuvre par les États sont loin de nous placer sur une trajectoire conforme à l’accord de Paris, comme l’a confirmé le rapport annuel de l’ONU.
Un sommet sous haute tension donc, d’autant plus qu’il se déroulait dans l’ombre de l’industrie fossile, notamment par le choix de son président, Sultan al-Jaber, ministre de l’Industrie et des Technologies avancées des Émirats arabes unis mais aussi dirigeant de la compagnie pétrolière nationale, Adnoc. Méfiance renforcée par une fuite de documents révélée par la BBC, témoignant d’un mélange des genres dans la préparation de la COP, mais aussi par la présence record de lobbyistes en faveur d’énergies fossiles.
Pourtant, après une COP27 largement décevante, contre toute attente, cette COP28 est plutôt à ranger parmi les COP «à succès ».
D’abord, parce que le fonds sur les pertes et préjudices (« loss and damages » en anglais) est enfin opérationnel. Mais aussi – et c’est probablement la vraie nouveauté – parce que dans le cadre du «bilan mondial » de l’accord de Paris, les pays se sont (enfin) entendus sur une perspective de sortie des combustibles fossiles.
Un succès dès le premier jour
Dès le 30 novembre – le premier jour du sommet – un accord a été trouvé sur l’opérationnalisation du fonds international sur les pertes et préjudices créé un an plus tôt lors de la COP27 à Charm-el-Cheikh. C’était une revendication de longue date des pays du Sud et, depuis plusieurs années, l’un des principaux points de crispation le long de l’axe Nord-Sud.
Son objectif est d’aider financièrement les pays vulnérables à faire face aux conséquences dommageables des changements climatiques, qu’elles soient d’ordre économique ou non, qu’il s’agisse de catastrophes à l’image des événements météorologiques extrêmes (tempêtes, cyclones…) ou de ceux dont l’évolution est plus lente (élévation du niveau de la mer, sécheresse…).
Le fonds est vu par les pays du Sud comme un instrument de justice climatique, en ce qu’il doit permettre des transferts financiers des pays les plus émetteurs et historiquement les plus responsables des changements climatiques vers les pays en développement, qui sont souvent à la fois particulièrement vulnérables aux changements climatiques et mal armés pour y faire face.
Un fonds sur fond de compromis
Un «comité de transition» composé d’une vingtaine de pays avait été chargé d’en définir les détails et s’était mis d’accord peu de temps avant la COP. Il n’est donc pas complètement surprenant que l’accord ait été acté dès le début de la conférence. De quoi se concentrer ensuite sur les autres questions importantes, sans être parasité par celle-ci.
Malgré tout, le design du fonds reste un compromis. Les pays du Nord ont obtenu qu’il soit hébergé par la Banque mondiale, les pays du Sud que ce ne soit que provisoire (pour quatre ans) et qu’il soit doté de sa propre gouvernance. En particulier, son secrétariat sera indépendant et son conseil (son «board ») composé en majorité de pays en développement, puisqu’il ne comprendra que douze représentants de pays développés sur 26. Sa première réunion devrait se tenir avant le 31 janvier 2024. Il aura la délicate charge d’élaborer les critères d’octroi des financements.
Les bénéficiaires seront les pays en développement les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. Mais il est d’ores et déjà acquis que les financements seront accessibles non seulement à des États, mais aussi à des régions, des villes, ou directement aux communautés locales affectées.
Quant aux donateurs, la décision distingue, comme l’accord de Paris, les «pays développés», qui sont exhortés à continuer de fournir un appui, et les «autres Parties » qui ne sont qu’encouragées à le faire, sur une base volontaire. La décision insiste aussi sur le besoin urgent et immédiat de ressources financières nouvelles, supplémentaires, prévisibles et adéquates, selon une formule habituelle dans les instruments internationaux de protection de l’environnement.
Trop de fonds, pas assez de financements
Mais le montant des financements dépendra du bon vouloir des pays donateurs qui déterminent leur contribution de manière discrétionnaire. Plusieurs pays (Émirats arabes unis, Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni, Japon…) ont d’ores et déjà fait des promesses de financement qui vont permettre au fonds de démarrer rapidement, avec une mise de départ de 792 millions de dollars.
Cette somme reste toutefois loin du compte, car les pertes et préjudices liés au climat pourraient atteindre 150 à 300 milliards de dollars US d’ici 2030, comme le montrait un rapport de 2022). Les besoins devraient aller crescendo avec l’intensification des effets des changements climatiques, et même si les estimations sont sujettes à des incertitudes méthodologiques.
Les pays concernés souhaiteraient de surcroît recevoir des dons plutôt que des prêts, souvent à des taux peu avantageux et qui viennent alourdir leur charge de la dette et les fragiliser, comme l’a encore récemment mis en évidence un rapport d’OXFAM. En l’occurrence, la décision reste assez floue et évoque la fourniture «de subventions et de prêts à des conditions très favorables ».
Un manque de lisibilité de la finance climat
Celle-ci précise aussi que le fonds doit fonctionner de manière à promouvoir la cohérence et la complémentarité avec les autres instruments internationaux de financement préexistants. Or, il existe déjà de nombreux mécanismes de financement : Fonds pour l’environnement mondial, Fonds spécial pour les changements climatiques, Fonds pour les pays les moins avancés, Fonds d’adaptation et bien sûr le Fonds vert pour le climat), dans et hors du régime climatique onusien instauré par la Convention-cadre des Nations unies contre le changement climatique.
Alors que les États sont censés se mettre d’accord l’an prochain sur un nouvel objectif plus ambitieux, l’objectif de 100 milliards de dollars US annuels pour la finance climat a probablement été atteint en 2022, mais avec du retard par rapport aux engagements pris à Copenhague en 2009 – et confirmés à Paris en 2015 – qui avaient fixé la date de 2020.
Pour ajouter à la complexité, la présidence émiratie de la COP28 a annoncé la création d’un nouveau fonds doté de 30 milliards de dollars US, basé cette fois sur des financements privés et orienté vers les solutions technologiques et la transition énergétique.
Le premier «bilan mondial », exercice perfectible
Dès la COP21, il était clair qu’il fallait prévoir des mécanismes pour pousser les États à relever le niveau d’ambition de leurs contributions nationales. Parmi ceux prévus par l’accord de Paris figure le «bilan mondial » (Global Stocktake en anglais).
Réalisé tous les cinq ans, c’est un exercice d’évaluation des progrès collectifs – et non individuels – des États parties, qu’il s’agisse de l’atténuation (la réduction de nos émissions), de l’adaptation aux conséquences des changements climatiques ou encore des financements.
La COP28 a ainsi marqué la clôture du premier bilan mondial, qui a duré plusieurs mois et a été l’occasion de l’occasion de synthétiser les informations soumises par les États et diverses autres sources, alternant des temps de discussion techniques et politiques.
L’exercice pouvait sembler un peu rhétorique : nous savions déjà que les trajectoires actuelles ne sont pas les bonnes. De ce point de vue, l’organisation même du processus sera sans doute à revoir. La longue partie technique pourrait être raccourcie et mieux articulée à la discussion politique. Dans un contexte où on «sait », c’est bien cette dernière qui importe le plus.
Le fait que le bilan porte à la fois sur l’atténuation, l’adaptation et les financements a permis une discussion globale très utile, connectant différents volets, mécanismes et programmes de l’accord de Paris habituellement déconnectés. Mais c’est aussi ce caractère global qui a rendu la négociation délicate.
Les conclusions du bilan mondial
Au final, l’accord final sur le bilan mondial est plutôt ambitieux et en phase avec les connaissances scientifiques, faisant explicitement référence aux conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il rappelle à plusieurs reprises l’importance de l’objectif de 1,5 °C, dont le président de la COP avait fait son «étoile polaire» et la nécessité d’accélérer l’action ainsi que le caractère critique de la décennie à venir.
Il reconnaît que des progrès ont été accomplis, conduisant le monde vers une hausse non pas de 4°C, mais comprise entre 2,1 et 2,8 °C si les contributions nationales des États sont toutes mises en œuvre. Mais il admet qu’il est urgent de combler le fossé en matière d’ambition climatique. Il rappelle aussi que la fenêtre pour atteindre le 1,5°C se réduit rapidement, avec un «budget carbone» presque entièrement consommé.
En foi de quoi, il est demandé aux Parties de revoir et mettre en œuvre leurs contributions nationales s’agissant des réductions d’émission, mais aussi d’aider les pays du Sud à le faire, soulignant que leurs besoins sont ici estimés à près de 6 milliards de milliards de dollars d’ici à 2030…
Les énergies fossiles, l’«éléphant dans la pièce »
Ce bilan a aussi permis de poser la question de la sortie des énergies fossiles, qui s’est retrouvée au cœur de l’agenda de la COP. Celles-ci sont bien évidemment au cœur du problème, puisqu’elles représentent la principale source d’émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC avait conclu que cette sortie était indispensable et devait être rapide, si l’on veut se donner une chance d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris.
Il a pourtant fallu attendre la COP26 à Glasgow, pour que soit enfin évoquée frontalement la question du charbon. La décision adoptée proposait timidement d’«accélérer les efforts destinés à cesser progressivement de produire de l’électricité à partir de charbon sans dispositif d’atténuation et à supprimer graduellement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles».
Toutefois, l’année suivante, la COP27 a délaissé le sujet, et a précisément été critiquée pour cette raison, qui s’est donc retrouvée au menu de la COP 28. La formule choisie dans le texte final est même devenue l’un des principaux sujets de la COP à l’aune à laquelle évaluer son succès ou son échec.
Après un premier texte laissant toutes les options ouvertes, y compris la possibilité de ne pas mentionner les fossiles du tout, la présidence émiratie a fait une proposition lundi après-midi qui a été jugée très molle et déséquilibrée. Elle offrait un «menu à la carte » aux États les laissant entièrement libres.
Les discussions ont repris à huis clos, la COP se prolongeant comme à son habitude bien au-delà de l’heure prévue, alors que Sultan Al Jaber avait promis le contraire. Un accord a finalement été trouvé dans la nuit.
S’il n’évoque pas explicitement la sortie des fossiles – ligne rouge pour plusieurs pays conduits par l’Arabie saoudite –, le texte évoque une transition vers l’abandon des énergies fossiles. Ce qui est symboliquement moins fort, mais constitue malgré tout un énorme pas en avant. Il ne vise toutefois que les combustibles, et pas le pétrole utilisé pour la fabrication du plastique.
Le texte indique que cette transition doit s’accomplir «d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, de manière à atteindre l’objectif de zéro net d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques ».
Enfin, les COP entrent «dans le dur », discutant de manière très concrète des voies et moyens d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris. La COP28 s’achève ainsi sur un compromis historique qui conforte le processus multilatéral onusien, qui bien qu’imparfait et désespérément lent, permet à l’ensemble des États de surmonter leurs divergences de vues et d’intérêts pour construire peu à peu des compromis indispensables.
L’équilibre des pouvoirs à venir
Devant la lenteur des négociations internationales, les contentieux climatiques se multiplient dans de nombreux États. En quelques mois, trois cours internationales ont été saisies d’une demande d’avis consultatif destinée à clarifier les obligations internationales des États en matière climatique : le Tribunal international du droit de la mer par la Commission des petits États insulaires en décembre 2022; la Cour interaméricaine des droits de l’homme par la Colombie et le Chili en janvier 2023 ; et la Cour internationale de Justice par l’Assemblée générale des Nations unies en mars 2023.
Ce dernier avis, par la formulation large des questions et par l’autorité dont jouit la Cour internationale, pourrait notamment contribuer à mettre un peu plus les États, en particulier industrialisés, sous pression, et alimenter de futurs contentieux à l’échelle nationale mais également internationale. Il pourrait – ou non – modifier l’équilibre des forces en présence lors des prochaines COP.
Avec theconversation.com