En l’espace de moins d’un mois, trois avertissements ont été adressés à la communauté congolaise tant par la justice que par la polie nationale. Des interdictions soit à s’exprimer, soit à porter un quelconque jugement sur une décision des instances judiciaires. De l’affaire de l’assassinat du député Chérubin Okende au réquisitoire du ministère public qui a requis 20 ans de réclusion à l’encontre du journaliste Stanis Bujakera en passant par la clameur publique qui poursuit les agissements de certains membres de la police, des injonctions-avertissements-menaces pleuvent et il est à parier que l’on en est seulement au commencement. Le pire est peut-être à venir. Malgré tout, il se trouve des téméraires qui haussent les épaules dans le style « Même pas peur ! »
A la fin de la semaine dernière, le commissaire divisionnaire adjoint et commandant de la police de Kinshasa a publié un communiqué dans lequel il menace d’interpellation quiconque publierait des images portant atteint à «l’image de marque de la police».
L’inquiétude du général Kilimbalimba est fondée sur le partage sur les réseaux sociaux d’un grave incident s’étant déroulé en milieu de semaine sur la route des Poids Lourds, où l’on voit un groupe de policiers engager une altercation avec les occupants d’un véhicule qu’ils ont contraint à s’arrêter en lui coupant la route avec leur petite japonaise. Dans l’énervement général et la désapprobation des badauds, les policiers tentent de s’extraire d’un terrain devenu hostile mais dans leur précipitation, ils renversent l’un des conducteurs et prennent la fuite. Mais ils sont vite rattrapés par une foule en colère qui met le feu à leur voiture.
Ou peut-être a-t-il été, comme la plupart des internautes, choqué par cette bagarre épique entre deux agents dont l’un des protagonistes est… une policière qui finit par avoir l’avantage sur son homologue masculin ! Les Smartphones aujourd’hui omniprésents ont «immortalisé» la scène, partagée des milliers de fois aux quatre coins de la planète.
COMPORTEMENTS DÉVIANTS SUR LA VOIE PUBLIQUE
Des incidents impliquant la police, et singulièrement les agents de la Police de circulation routière (PCR) inondent la Toile au quotidien et provoquent des réactions pas toujours flatteuses pour un corps censé «protéger la population et ses biens ». Il n’est pas rare de voir des policiers s’introduisant de force dans un véhicule de transport en commun et se disputer la clé de contact avec le conducteur; ou cette policière filmée discrètement qui, assise aux côtés du conducteur, exige une amende en centaines de dollars US. Des plaques d’immatriculation enlevées, des pneus sont crevés, des batteries emportées en plein jour devant des passants abasourdis.
Il va de soi qu’en se livrant en public à des actes contraires à l’éthique et à la simple discipline, les membres de la police sont les premiers à ternir leur propre image. Et ce ne sont pas les menaces à l’adresse de ceux qui s’adonnent à cette «sale besogne» qui changeront du jour au lendemain des comportements déviants décriés de longue date.
QUAND LA JUSTICE S’EN MÊLE
Mais le général Kilimbalimba n’a pas été le seul à se signaler en proclamant peu ou prou une interdiction qui passe mal dans l’opinion. Voici une semaine à peine, le procureur près le Tribunal de Grande instance de Kinshasa/Gombe prononce son réquisitoire dans l’affaire du journaliste Stanis Bujakera détenu depuis six mois à la prison centrale de Makala. Il lui est reproché d’être à la base d’un article de Jeune Afrique mettant en cause les services de renseignement dans l’assassinat en juillet 2023 de l’opposant et député Chérubin Okende.
L’accusateur public requiert, à la stupéfaction générale, vingt ans de servitude principale à l’encontre du journaliste. Une lourde peine qui, en cas d’application par le juge lors du verdict attendu le 20 mars devrait servir d’avertissement aux autres médias. C’est peu de dire que cette sortie a causé un immense émoi au sein de la communauté des professionnels des médias.
Pourtant, le décor des «interdictions » avait déjà été planté lorsque le jeudi 22 février, le procureur près la Cour de cassation rend publiques les conclusions de l’enquête liée à l’assassinat de Chérubin Okende en juillet 2023. Selon lui, l’opposant se serait tout simplement suicidé. Exit la théorie complotiste d’un assassinat politique. Enterrées de même toutes les supputations sur la présence de l’ancien ministre des Transports dans les installations de la Cour constitutionnelle où il n’aurait jamais mis les pieds au cours des heures qui avaient précédé la découverte de son corps criblé de balles à bord de son SUV sur la route des Poids Lourds.
Dans la foulée, instruction était donnée au procureur près le TGI Gombe d’interpeller tout contestataire de la position officielle. La menace n’a pourtant empêché la Toile de s’enflammer et de remettre en question les ambigüités du dossier. S’exprimant souvent sur les réseaux sociaux sous le couvert de pseudonymes, des comptes anonymes ont déversé et continuent de partager leur scepticisme.
TOTALITRISME : SIGNES AVANT-COUREURS
Mine de rien, la société congolaise est lentement mais sûrement entraînée dans les méandres sournois d’un totalitarisme propre aux régimes de parti unique où seul compte la «raison d’Etat» qui se confond dans la réalité avec la seule volonté du despote. Certes la République démocratique du Congo n’en est pas arrivée (elle n’y aspire pas, espère-t-on) à s’enraciner dans un fascisme mussolinien ou pire, au régime nazi où la surveillance des masses était l’un des moteurs d’un Etat tout-puissant où la vie humaine comptait pour du beurre.
Le totalitarisme en effet, prend insidieusement racine sur les débris des libertés individuelles sacrifiées au profit d’un système de Gouvernement dans lequel l’Etat (ou un groupe d’individus) accapare tous les pouvoirs. Dès lors, le spectre ultra-large de la puissance aux mains des serviteurs du «Guide suprême» s’ingénie à maintenir tout un peuple dans une sorte de bagne moral, un goulag intellectuel où les masses finissent par s’auto-surveiller de peur de divulguer la moindre pensée. Où la plus silencieuse des intentions peuvent coûter la vie.
La multiplication des interdictions et des menaces à peine voilées ne sauront jamais masquer les actes de torture, les tracasseries routières, des bagarres entre membres des corps habillés, la corruption et les extorsions en tout genre, les sous-ciats en mode taudis… Tout comme l’opinion sera toujours vent debout contre les arrêts iniques de justice. Toutes ces antivaleurs ne peuvent être combattues que par la transformation radicale de l’homme congolais. Une tâche ardue qui s’étalera sans doute sur plusieurs générations.
Econews