Dans un communiqué diffusé lundi, la France « condamne » le soutien que le Rwanda apporte aux rebelles du M23 dans l’Est de la République Démocratique du Congo. La Belgique, l’Allemagne et l’Espagne lui ont emboîté le pas. Bien avant, c’est Washington qui avait exprimé, dans des termes clairs, sa désapprobation au soutien que le Rwanda apporte aux terroristes de M23. Pour la RDC, c’est un succès diplomatique, du reste couronné au Conseil de sécurité des Nations Unies par la levée de la notification pour tout achat en faveur de la RDC. Mais le Président Félix Tshisekedi veut encore pousser son avantage. Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et des Médias et porte-parole du Gouvernement, était l’invité mercredi de RFI. Objectif : clarifier la position de Kinshasa.
Patrick Muyaya, quelle est votre réaction à la décision de la France de condamner formellement le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 ?
«Nous saluons évidemment cette décision de la France. Nous aurions voulu que cela arrive plus tôt. Cela aurait peut-être permis d’éviter certaines situations malheureuses sur le terrain, mais maintenant nous espérons que la France ira plus loin, pour que finalement le Rwanda respecte sa part de responsabilité pour le retour de la paix dans cette partie de la République Démocratique du Congo», a déclaré le ministre.
Vous auriez aimé que cela arrive plus tôt.
Depuis l’accord entre Emmanuel Macron et Paul Kagame en 2018 pour la désignation de la ministre rwandaise Louise Mushi-kiwabo à la tête de la Francophonie, il y avait, c’est vrai, une vraie complicité franco-rwandaise. Est-ce que le communiqué français de ce 19 décembre est un tournant pour vous ?
Peut-être que la France, qui était aussi dans une forme de médiation entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, ne pouvait pas, diplomatiquement, prendre une décision aussi ouverte. Mais je crois que le fait que la France le dise publiquement aujourd’hui doit entraîner forcément des conséquences, à commencer par le retrait du M23 de tous les territoires occupés en République Démocratique du Congo. Il est établi que le Rwanda est un pays qui agresse la République Démocratique du Congo. Cela devrait être aussi pris en compte dans les relations franco-rwandaises.
Alors par ailleurs, mardi à l’ONU, le Conseil de sécurité vient de lever tous les obstacles administratifs à la vente d’armes à votre pays, notamment cette obligation pour les vendeurs d’armes de s’identifier auprès des Nations-unies. Quelle est votre réaction ?
Pour nous, c’est une injustice réparée, c’est une bataille gagnée, parce que ces régimes de notification paraissaient, à nos yeux, aux yeux des Congolais, comme un mécanisme qui ne pouvait pas nous permettre d’avoir tous les moyens pour assurer la défense de notre territoire. Et donc nous considérons que c’est un pas significatif, qui nous permettra de défendre notre territoire, principalement dans sa partie Est.
Est-ce que vous sentez, depuis quelques jours, un déclic international en votre faveur ?
Évidemment, ce déclic aurait pu arriver plus tôt, parce que, comme vous le savez, nous avons sorti, publié un livre blanc qui répertorie tous les crimes commis en République Démocratique du Congo, et tous les services de sécurité étrangers étaient au courant, notamment, vous avez suivi les rapports du groupe d’experts qui a fuité il y a quelques mois. Ça veut dire que tout le monde savait que le mal se produisait dans l’Est, mais que personne n’en parlait. Donc aujourd’hui, que tout le monde en parle publiquement, ça nous réjouit. La prochaine étape pour nous en tout cas : condamnation, sanction, justice, réparation. Parce que nous pensons, cette fois-ci, que la composante judiciaire est une garantie qui pourra nous permettre de ne plus voir se répéter ces cycles de violences dans l’Est de la République Démocratique du Congo.
Voilà six mois, Monsieur le ministre, que le M23 opère sur votre territoire. Ce n’est que maintenant, en effet, que la communauté internationale commence à se mobiliser. Mais pourquoi tant de passivité, est-ce qu’il y a des causes externes à la sous-région ?
Écoutez, comme on dit, mieux vaut tard que jamais. Nous espérons que, cette fois-ci, au-delà des mots, il y a des actes qui seront posés pour mettre plus de pression sur le Rwanda pour que la paix puisse revenir dans cette partie du pays. C’est cela le plus important.
Est-ce que la guerre en Ukraine n’a pas occulté la guerre au Congo ?
Sans doute, mais la situation en République Démocratique du Congo, elle est même comme un conflit oublié. Au-delà du nombre de morts, qui rivalise aujourd’hui avec le nombre de morts de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, notre plaidoyer consiste simplement à ce que les populations congolaises qui sont victimes, vous avez suivi le massacre de Kishishe, de ces horreurs, méritent aussi la solidarité de la communauté internationale. Toutes, que ce soient les Ukrainiens ou les Congolais, toutes sont des vies humaines, qui méritent une compassion, qui méritent une action plus grande pour être sûr que les populations déplacées rejoignent leurs familles, et pour éviter tout risque d’épidémie et autres conséquences désastreuses.
À Luanda au mois de juillet, à New York au mois de septembre, le président Tshisekedi a accepté de serrer la main du président Kagame devant les photographes, et ce n’est que le mois dernier, au sommet de la francophonie, à Djerba, que les autorités congolaises ont dit stop, fini les photos avec le président rwandais. Est-ce que vous-même, gouvernement congolais, vous n’avez pas manqué d’un peu de fermeté ces derniers mois ?
Écoutez, il faut regarder le président Tshisekedi depuis son arrivée à la tête de la République démocratique du Congo, il avait fait le choix clair de construire la paix. Nous n’avons pas oublié le passé, qui est pourtant difficile avec les pays limitrophes, mais on a pensé qu’on pouvait ouvrir un chapitre nouveau. Vous avez vu l’éruption du Nyiragongo en mai 2021 nous rappeler que nous sommes voisins et que nous devons continuer à collaborer. Mais l’attitude du président Kagame aujourd’hui ne nous permet plus d’entretenir le même rapport, parce qu’on ne peut pas s’imaginer une telle insensibilité face à un tel torrent de pleurs, de violences commises sur des populations innocentes. Je reviens encore sur le massacre de Kishishe qui a été commis dans des conditions horribles. Je ne pense pas que nous pourrons continuer à nous serrer la main lorsque nous avons en face de nous quelqu’un qui ne veut pas que vous puissiez vivre en paix finalement, y compris avec les voisins rwandais.
Vous parlez du massacre de Kishishe. Fin novembre à Kishishe, dans cette localité du Nord-Kivu, les rebelles du M23 sont accusés d’avoir massacré au moins 131 civils. Est-ce que c’est cela, le déclic, sur la scène internationale ?
Ça serait dommage que le déclic vienne après un tel massacre horrible, et pourtant, il y a des signaux d’alerte qui ont déjà été donnés. Mais comme dit tout à l’heure : à quelque chose, malheur est bon. Nous, aujourd’hui ce que nous voulons, c’est la justice pour les âmes qui ont été perdues. Nous voulons que les enquêteurs puissent avoir accès à Kishishe, pour savoir véritablement ce qu’il s’est passé. Nous voulons travailler pour donner des sépultures à ces compatriotes qui ont perdu la vie injustement dans l’Est de la République Démocratique du Congo.
Alors, le M23 commet des crimes, dans votre pays, mais les FDLR également. Le président Kagame n’a-t-il pas raison de souligner que la présence de ces Hutu rwandais FDLR sur votre territoire reste une vraie menace pour le Rwanda ?
Écoutez, il est évident que les FDLR constituent d’abord un problème de sécurité pour nos compatriotes. Les FDLR tuent des Congolais, rançonnent des Congolais. Deuxièmement, les forces négatives, toutes, doivent être éradiquées. Les FDLR, ce sont des forces étrangères, qui doivent être éradiquées. Je dois rappeler que, dans le livre blanc que nous avons publié, nous sommes revenus sur toutes les fois où nous les avons combattus. Aujourd’hui, il existe des résidus des forces FDLR que nous devons tous combattre, mais cela ne devrait justifier en rien l’attitude naturellement belliciste du Rwanda qui va aujourd’hui commettre des massacres sous prétexte de combattre les FDLR. Les motivations sont économiques, nous le savons. Il n’y a aucune raison qui justifie l’attitude belliqueuse du président Kagame dès lors qu’à Nairobi, nous avions convenu d’un schéma qui devait permettre de combattre nos groupes armés à la fois locaux et étrangers, y compris les FDLR.
Alors, on l’a dit : depuis ce lundi, la France condamne le soutien rwandais au M23, mais elle affirme en même temps vouloir parler à tout le monde, y compris avec le Rwanda, pour trouver une solution. «On ne bâtira pas une paix durable sans le Rwanda», précise à Kinshasa la secrétaire d’État française Chrysoula Zacharopoulou, qui est en visite dans votre pays. Est-ce que vous êtes d’accord avec elle ?
Évidemment, nous sommes d’accord. Parce que, quoiqu’il arrive, le Rwanda restera toujours voisin de la République Démocratique du Congo. Aujourd’hui, nous avons répondu à tous les rendez-vous pour la paix : à New York, à Luanda, à Nairobi, à Washington, à Charm el-Cheikh. Partout, nous y allons, il faut que le Rwanda commence par respecter ses engagements, parce que c’est le Rwanda qui est responsable du M23. Nous espérons que, cette fois-ci, ils pourront agir, et agir vite pour éviter d’autres drames.
Donc, vous attendez beaucoup peut-être d’une prochaine réunion du processus de Luanda. On parle d’un sommet à Bujumbura avant la fin de l’année ?
Aujourd’hui, ce que nous attendons, c’est le retrait du M23. Les rencontres, il y en aura sûrement en janvier au niveau des chefs d’État. Aujourd’hui, nous attendons de voir le processus de retrait commencer, parce qu’il ne sert à rien de se rencontrer s’il n’y a pas d’évolution concrète sur le terrain.
Donc, d’abord le retrait, et ensuite la rencontre ?
Nous ne conditionnons pas la rencontre des chefs d’État par le retrait, sinon nous n’en aurions pas eu. Depuis juillet, nous sommes engagés dans différentes discussions avec le Rwanda, mais il n’y a pas eu de respect de ce qui avait été convenu. Donc aujourd’hui, nous voulons être sûrs que tous les acteurs qui soient impliqués dans la paix, nous voulons qu’ils jouent le rôle qui est le leur dans le cadre des mécanismes qui ont été clairement définis.
Et pas de rencontre entre chefs d’État avant le 31 décembre ?
Pas à ma connaissance, non.
Depuis près de deux mois, Monsieur le ministre, un contingent kényan est arrivé à Goma dans le cadre d’une force est-africaine. Qu’est-ce que vous répondez à vos opposants congolais, comme Martin Fayulu, qui dit que cette force n’a rien à faire à Goma, car le Congo n’est pas un pays de l’Afrique de l’Est, et à l’opposant Moïse Katumbi, qui dit que les Congolais n’ont pas confiance dans des forces étrangères ?
Bon écoutez, il y a ceux qui font de la politique-politicienne. Il y a nous qui avons la boussole, la gestion quotidienne du pays. Aujourd’hui, les questions sécuri-taires sont des questions qui se gèrent avec les autres, s’il faut parler, par exemple, du cas des ADF. Aujourd’hui, si la République démocratique du Congo a adhéré à la Communauté de l’Afrique de l’Est, c’est parce que la RDC a un rôle central qu’elle doit jouer dans la région, il ne faut pas oublier que notre adhésion à la Communauté de l’Afrique de l’Est a relancé le processus politique. Aujourd’hui, au moment où nous faisons cette interview, les groupes armés de la République démocratique du Congo, qui étaient à Nairobi sous les auspices du président Kenyatta, se sont engagés pour la paix, et j’ai entendu que vous aviez parlé des candidats – de toute façon, des candidats, on en aura beaucoup – aujourd’hui, la principale question, c’est d’être en mesure de pointer le Rwanda, et je n’ai pas entendu cela de Moïse Katumbi.
Alors, en effet, nous sommes déjà en pré-campagne électorale – la présidentielle est dans un an – et que répondez-vous à l’opposition qui dit qu’on n’arrivera pas à tenir les délais du 20 décembre 2023, car on ne pourra jamais enrôler toute la population congolaise en trois mois ?
D’abord, la commission électorale nationale indépendante a publié un calendrier en même temps qu’elle a fait part de certaines contraintes. Il y a, évidemment, des contraintes financières pour lesquelles le gouvernement va faire sa part, et nous faisons notre part. Il y a, d’autre part, des contraintes sécuritaires, nous travaillons, y compris diplomatiquement et nous pensons pouvoir y arriver. Et pour ce qui concerne en tout cas le gouvernement, nous tiendrons nos engagements pour que ces élections se tiennent dans les délais, parce que nous avons eu déjà des exemples de glissement. Nous ne pensons pas que le glissement serait une bonne chose, alors que nous, nous voulons consolider notre processus électoral. Et c’est cela, aujourd’hui, l’interpellation qui doit être faite à toute la classe politique : d’accompagner le processus d’enrôlement, qui commence déjà ce 24 décembre. Je pense que le président de la République procédera au lancement à partir de la province de l’Équateur. Et cela va aller dans toutes les aires opérationnelles. On dit que ça ne sera pas possible d’enrôler, mais aujourd’hui, Monsieur Bois-bouvier, vous savez qu’il y a des moyens technologiques qui permettent de faire un peu plus vite certaines choses. Nous, nous sommes optimistes, nous ferons notre part pour que ces élections se tiennent dans les délais. C’est ici aussi le lieu de rappeler encore au Rwanda de cesser le soutien aux M23, pour nous permettre, contrairement à eux, de faire des élections libres et transparentes avec des compatriotes de ce pays, qui pourront aussi voter.
Des élections «libres et transparentes», contrairement au Rwanda, dites-vous ?
Évidemment.
Tiré de RFI