Assassinat de Chérubin Okende : crime d’Etat ou bavures des renseignements militaires ? (*)

Jeune Afrique a consulté en exclusivité une note de l’Agence nationale de renseignements (ANR) qui retrace les circonstances de l’assassinat de ce proche de Moïse Katumbi. Récit.
Qui a tué Chérubin Okende et pourquoi ?
Deux mois après le meurtre de l’ancien ministre congolais des Transports, la question demeure sans réponse et la famille du défunt continue de réclamer que son corps lui soit rendu. On en sait en revanche davantage sur les circonstances de sa mort.
Jeune Afrique a en effet eu accès à une note confidentielle rédigée par le département de la sécurité intérieure de l’Agence nationale de renseignements (ANR), adressée à son administrateur général.
Le document est daté du 14 juillet – autrement dit, il a été rédigé au lendemain de la découverte du corps de Chérubin Okende. À l’époque, c’est Jean-Hervé Mbelu Biosha qui dirige l’ANR, mais il sera remplacé quelques semaines plus tard par Daniel Lusadisu.
Selon les enquêteurs de l’ANR, Chérubin Okende se trouvait bien le 12 juillet, aux alentours de 16 heures, sur le parking de la Cour constitutionnelle à Kinshasa, ainsi qu’en avait témoigné son garde du corps – celui-ci est toujours détenu dans les locaux de la police criminelle.

Témoignages des enfants des rues
«Selon les témoignages récoltés auprès des enfants de la rue, appelés communément shegués, en date du 12 juillet 2023 vers 16 heures, Chérubin Okende était aperçu au parking de derrière de la Cour constitutionnelle longeant vers Maisha Park, écrivent-ils. Ceux-ci l’ont approché seul dans son véhicule et, comme d’habitude, il leur avait donné de l’argent après l’avoir loué et vanté comme ils le font habituellement».
Le récit attire ensuite l’attention sur le rôle que pourraient avoir joué les renseignements militaires congolais.
«Après le départ des enfants de la rue, reprend l’ANR, […] un véhicule de couleur blanche du type Land Cruiser non immatriculé transportant six éléments, en tenues militaires, communément portées par le corps de sécurité de l’unité Demiap [Détection militaire des activités anti-patrie, autrement dit les renseignements des FARDC], ont débarqué sur le lieu et ont commencé à menacer l’honorable Okende, resté seul dans sa jeep, et deux éléments sont rentrés dans la jeep et l’ont forcé à démarrer ».

Mort par asphyxie
Le corps de cette personnalité proche de l’opposant Moïse Katumbi sera retrouvé le 13 juillet sur l’avenue des Poids lourds, à Kinshasa. Les autorités judiciaires évoquent aussitôt des blessures par arme à feu, mais dans son rapport, l’ANR parle d’un décès consécutif à une asphyxie.
«Des informations reçues par la suite, affirment les enquêteurs de l’ANR, il revient que l’honorable Okende fut l’objet de menaces et intimidations, attitudes non acceptées par celui-ci qui a réagi par des injures proférées à l’égard de ses bourreaux. En réaction à son comportement, les éléments qui [le] menaçaient ont fini par cagouler sa tête par un sachet et, ainsi, il a trouvé la mort à la suite de l’étouffement ».
Selon les informations de l’ANR, Chérubin Okende se trouvait à bord du Land Cruiser lorsqu’il a succombé. Il était en train d’être conduit dans les locaux de la Demiap, dans la commune de Kintambo. «Seule la jeep ayant embarqué l’honorable a accédé dans l’enceinte de la cour de la Demiap à Kinshasa. [Son] véhicule n’est pas arrivé à Kintambo, [il] était garé ailleurs ».
L’autopsie effectuée le 3 août à la morgue de l’hôpital du Cinquantenaire confirmera-t-elle la version de l’ANR ? Ses conclusions n’ont pour l’instant pas été divulguées.

Immeuble du quartier Mont Fleury
Par ailleurs, plusieurs zones d’ombre demeurent : pourquoi le procureur général a affirmé, le jour même de la découverte du corps, que la victime avait été tuée par arme à feu, que celle-ci avait été retrouvée dans son véhicule et qu’elle appartenait à son garde du corps ? Et pourquoi le renseignement militaire a-t-il interpellé Okende la veille du jour où il était convoqué à la Cour constitutionnelle pour s’expliquer sur sa déclaration de patrimoine ?
Le rapport de l’ANR ne le dit pas, mais cite un agent de la Demiap et «diverses sources» selon lesquels Chérubin Okende devait être entendu « sur la propriété d’un immeuble situé dans le quartier Mont Fleury acheté par l’honorable Okende [et qu’un] responsable du cabinet du président de la République convoitait et désirait acquérir ».
(*) Le titre est de la rédaction
Avec Jeune Afrique