Au regard des mutations géopolitiques du XXIè siècle : réélu, Félix Tshisekedi et les élites congolaises face à la réinvention de l’Etat congolais 

Le 31 décembre 2023, Felix-Antoine Tshisekedi est réélu Président de la République avec plus de 73,% de suffrages exprimés. Le 9 janvier 2024, la Cour constitutionnelle confirme définitivement sa réélection avec 73,47%. La réélection de Félix Tshisekedi a un caractère particulier. Pour la première fois dans l’histoire politique de la RDC, après l’élection de Patrice Lumumba en 1960, la légitimité d’un leader politique découle de la volonté du peuple congolais. Bref, le Président Tshisekedi tire sa légitimité du peuple congolais ni Washington ni de Paris ni de Bruxelles. Sa victoire consacre la fin des aventures du « Tintin au Congo » et ouvre une nouvelle ère. Décryptage.

Sans surprise, le Président Félix Tshisekedi a obtenu un second mandat de la plus légitime manière, c’est-à-dire par la voie des urnes, au terme des élections générales du 20 décembre 2023.

Cette légitimité retrouvée grâce aux élections générales, organisées et financées à 100 % par le gouvernement congolais, place Félix Tshisekedi et les parlementaires congolais devant leur responsabilité historique. De ce fait, ils seront face à deux grands défis :  la réinvention de l’Etat congolais et l’implication de cet Etat dans la nouvelle géopolitique mondiale du XXIème siècle. Ce deuxième défi sera traité dans la prochaine publication. Attardons-nous au premier.

La réinvention de l’Etat congolais au cœur de l’Afrique

Le Congo est le produit de la mondialisation capitaliste commencé au 15ème siècle. Avant l’arrivée des Européens, l’espace actuel du Congo fut occupé par des royaumes et des empires : Royaumes Kongo, Luba, Kuba et empire Lunda. (Jan Vansina, The Kingdoms of The Savanna, The University of Wisconsin Press, 1965).

Ces Etats-royaumes connurent leur déclin suite à la traite négrière  instituée par les Européens.  Il s’est agi d’un commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe : les négriers européens capturaient ou achetaient des noirs africains qu’ils vendaient en Amérique où ils les faisaient travailler comme des esclaves dans les plantations de sucre et de coton. Les produits  ce ces champs sont par la suite vendus sur le marché européen, l’argent gagné étant investi dans l’achat des marchandises qui étaient vendus en Afrique en échange des esclaves noirs africains. La boucle est bouclée. (Eric Williams, Capitalisme et esclavage, présence africaine, paris 1968).

D’après John Thornton (1993), « jusqu’au quart de tous les Afro-américains proviennent de l’Afrique centrale et pour la plupart de racines Kongo ». Selon Georges Nzongala-Ntalaja (2020), d’autres populations d’origine congolaise sont au Brésil, Cuba, Haïti, Réunion Guadeloupe et en Tanzanie dans l’Ile Zanzibar.

Avec la révolution industrielle en Angleterre, le capitalisme va prendre une autre dimension. Ainsi, la traite négrière et l’esclavage furent abolis.  Cette abolition ouvre la voie à la colonisation de l’Afrique.  C’est dans ces conditions qu’il faut placer la Conférence de Berlin sur le bassin du Congo. Cette conférence déboucha sur un Acte général de la Conférence de Berlin du 26 février 1885, signé par 14 puissances de l’époque dont 12 Etats européens. Les Etats signataires de l’Acte général ont convenu d’établir la liberté de navigation et la liberté commerciale pour tous les pays, sans discrimination, sur toute l’étendue du bassin conventionnel du Congo.  Cet Acte général de la Conférence donne un caractère spécial à la RDC qu’il porte dans son ADN faisant d’elle « une entreprise multinationale et non un Etat ».

Etat Indépendant du Congo à la colonie Congo-Belge 1885-1960

La RDC, dans ses frontières actuelles, est une construction du Roi Belge Léopold II reconnue souveraine par les Etats-Unis d’Amérique et l’Allemagne et d’autres pays participant à la  Conférence de Berlin, une fois reconnue adhérera à l’Acte de Berlin. 

Le 1er juillet 1885, Léopold II, par décret, proclama son accession au trône du Congo et la création de l’Etat Indépendant du Congo (EIC). Le 1er août 1885, il notifia à tous les signataires de l’Acte général de la Conférence de Berlin que le nouvel Etat serait neutre politiquement. (Jean Stengers, Congo Mythes et réalités, 100 ans d’histoire, Document Duculot, Bruxelles 1989).

De 1885 à 1908, à la place de liberté de commerce sur toute l’étendue du Congo, Léopold II a mis en place un système de monopole économique à travers un Etat esclavagiste exploitant les populations congolaises par l’imposition des taxes et la production du caoutchouc pour satisfaire la demande sur le marché mondial. Conséquence plus de 10 millions congolais ont péris à cause de ce système du capitalisme d’accumulation par dépossession. (Adam Hochschild, Les Fantômes du Roi Léopold, un holocauste oublié, Belfond, Paris, 1998).

N’ayant pas respecté la règle fixée dans l’Acte de Berlin de la liberté de commerce, les puissances capitalistes décidèrent de confisquer l’Etat Indépendant du Congo pour l’annexer à la Belgique en 1908. C’est la naissance du Congo-Belge.

Devenue une colonie, le gouvernement belge va gérer le Congo pour le bien des intérêts de tous, c’est-à-dire ceux des intérêts des capitalistes ayant signé les accords avec l’Etat Indépendant du Congo pour la mise en valeur de cet Etat depuis sa création en 1885.

Avec la décolonisation déclenchée par la deuxième guerre mondiale et l’émergence des Etats-Unis comme première puissance militaire et économique mondiale, le 30 juin 1960, le Congo-Belge accède à sa souveraineté internationale.  Le personnel belge qui gérait toutes les institutions coloniales est chassé du Congo par les Congolais  provoquant l’effondrement de l’Etat colonial construit par le Roi des belges Léopold II. (Crawford Young, Politics in The Congo, Princeton University Press, 1965).

Etat sous Mobutu de 1965 à 1997

Le vide laissé par l’effondrement de l’Etat colonial sera comblé par les rebellions accentuées par la guerre froide entre le camp communiste et le camp capitaliste.  Ces rebellions sont nées après l’assassinat du Premier ministre Patrice-Emery Lumumba en 1961 par la CIA. Deux parties du pays furent marquées par les rebellions contre le gouvernement central à Kinshasa. Il s’agit d’abord de la rébellion menée dans les provinces de l’Est du pays par les partisans de Lumumba soutenus par la Chine et l’Union Soviétique. Ensuite un autre foyer mené par Pierre Mulele, après sa formation en Chine. Ces rebellions ont pris 5 ans de 1961 à 1965. (Benoit Verhaegen, Rebellions au Congo tome 1 et 2, Les Dossiers du CRISP, Bruxelles 1966).

A la suite de ces chaos, de la désorganisation et de la faiblesse de la classe politique congolaise, l’armée congolaise, après sa réforme et avec le soutien des puissances occidentales, va prendre le pouvoir par un coup d’Etat le 24 novembre 1965. Toutes les activités politiques sont suspendues.

Deux ans après la prise du pouvoir par le Général Mobutu, le Mouvement populaire de la Révolution (MPR) est créé en 1967 avec la possibilité d’avoir un deuxième parti politique. En 1970, le MPR se mue en parti unique. Cette mutation s’explique par l’environnement économique international dominé par la pensée économique américaine, à savoir la théorie de la modernisation du professeur Rostow (Charles King, Le véritable consensus de Washington, Théorie de la modernisation et illusions de la stratégie américaine in Foreign Affairs, le 24 octobre 2023).

En 1974, le parti unique devient parti-Etat. L’Etat est confondu avec le MPR. (Histoire du Mouvement Populaire de la Révolution, Forcad, Ecole du Parti, Kinshasa, 1976).

En 1990, suite à la fin de la guerre froide, le président Mobutu mit fin à l’hégémonie de MPR parti-Etat, annonçant le multipartisme intégral. 

En 1997, le régime de Mobutu est chassé du pouvoir et toutes les institutions de l’Etat zaïrois sont balayées après une guerre d’agression et d’occupation menée par le Rwanda et l’Ouganda, soutenue par les multinationales et les puissances occidentales. (Gérard Prunier, Africa’s World War, Congo, The Rwandan génocide, and the making of a continental catastrophe, Oxford unisersity press, 2009).

Comme après son Indépendance le 30 juin 1960, le Congo va se retrouver, après 1997, dans un vide étatique provoqué par l’effondrement de l’Etat colonial construit par Léopold II de 1885 à 1960.  Cette fois-ci, ce sont les armées ougandaise et rwandaise qui ont balayé les institutions de l’Etat zaïrois construit par le président Mobutu de 1965 à 1997.

C’est la deuxième fois que le vide étatique est créé et perdure jusqu’aujourd’hui. Toutes les tentatives de reconstruire un nouvel Etat sont vouées à l’échec. Entre-temps,  dans le monde occidental, plusieurs plans sont concoctés pour rayer le Congo de ses frontières héritées de la Conférence de Berlin de 1885.

La question de la réinvention de l’Etat en RDC

Après l’investiture du Président Félix Tshisekedi le 20 janvier 2024 pour son deuxième mandat,  la réinvention de l’Etat Congolais reste une question existentielle.  Pourquoi ?

Tout observateur de la politique congolaise est d’avis que si l’Etat congolais existe sur le plan international, les institutions politiques ne fonctionnent plus, pour ne pas dire n’existent plus. Les intérêts privés ont pris le pas sur les relations administratives publiques.

Le gouvernement congolais est incapable de défendre le territoire national menacé par les Etats voisins. Voilà plus de 25 ans que les armées ougandaise et rwandaise mènent les guerres de pillage des richesses du Congo.

Depuis une année, par le groupe terroriste M23 interposé, ces armées étrangères occupent une partie de la province du Nord-Kivu sans que l’armée nationale ne soit capable de les déloger.

En effet, depuis son indépendance, la corruption et le détournement sont devenus un sport national. Bref, l’Etat congolais est devenu un Etat contre le peuple congolais.

Cet état de lieu peut s’expliquer par le fait que l’Etat congolais dans ces frontières actuelles n’a jamais été au service du peuple congolais. Le premier Etat créé avec la Conférence de Berlin, c’est-à-dire l’Etat Indépendant du Congo, fut au service des multinationales occidentales et de la métropole, la Belgique. Le deuxième Etat, mis en place par le président Mobutu, était au service du capitalisme international et d’une petite élite congolaise compradore.

Ces Etats partageaient la même caractéristique : un Etat importé. (Bertrand Badie, L’Etat importé, l’occidentalisation de l’ordre politique, Fayard, 1992).

Face à cette situation, la réinvention de l’Etat congolais passe par la révision constitutionnelle. L’actuelle Constitution est le fruit des belligérants qui ont mené les guerres contre la République Démocratique du Congo. L’objectif poursuivi était de régler une crise politique provoquée par la guerre d’agression menée par le Rwanda et l’Ouganda et non d’organiser la société congolaise.  (Jean-Louis Esamba Kangashe, La Constitution congolaise du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionnalisme, Academia Bruylant, Bruxelles, 2010).

Quoi qu’il en soit, avec la légitimité du Président Félix Tshisekedi, issue des élections du 31 décembre 2023, les élites congolaises ont l’obligation de réviser la Constitution du 18 février 2006 pour d’un côté, répondre à la volonté du peuple congolais, et de l’autre,  permettre l’organisation d’un Etat puissant et prospère au centre de l’Afrique. 

Le débat public sur ce sujet s’impose d’urgence.

Freddy Mulumba Kabuayi wa Bondo

Politologue