Bénédiction des couples homosexuel : pourquoi l’Afrique se rebiffe

La décision du Vatican d’autoriser la bénédiction des couples de même sexe a provoqué une levée de boucliers sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Analyse.

Les conférences épiscopales, réunies à Accra, ont annoncé en bloc leur refus de pratiquer la directive du Vatican (Fiducia supplicans) qui permet de bénir les couples homosexuels. Pour autant, faut-il craindre une scission entre le pape et les Églises d’Afrique ? La question mérite d’être posée, bien que le continent semble ne pas être uni sur cette question puisque dans un communiqué, à l’issue de leur assemblée plénière tenue du 11 au 15 janvier, les évêques d’Afrique du Nord (qui regroupe les évêques de Rabat, de Tripoli ou encore d’Alger) se sont déclarés ouverts à la bénédiction «des couples irréguliers et ceux de même sexe», marquant leur différence avec l’organisation qui réunit les responsables catholiques du continent.

Il faut dire que rarement dernière semaine avant une célébration de la naissance du Christ n’avait été aussi tendue au sein de l’Église catholique. Quelques jours avant, le 18 décembre exactement, le dicastère pour la doctrine de la foi, l’organisme de la curie romaine chargé de veiller à la rigueur idéologique, publiait une Fiducia supplicans ou une «déclaration doctrinale» autorisant la bénédiction des couples en situation «irrégulière », notamment homosexuels, d’après l’Église catholique.

En Afrique, ce document a fait l’effet d’une bombe. «La doctrine de l’Église sur le mariage chrétien et la sexualité reste inchangée », a réagi le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) dans un communiqué publié jeudi dernier à Accra, la capitale du Ghana. «Pour cette raison, nous, les évêques africains, ne considérons pas qu’il soit approprié pour l’Afrique de bénir les unions homosexuelles ou les couples de même sexe.» Le SCEAM représente les évêques catholiques du continent.

L’homosexualité encore illégale dans de nombreux pays africains

Des réactions qui s’expliquent aussi par le fait que l’homosexualité est encore illégale dans de nombreux pays africains où les autorités religieuses occupent un rôle social prépondérant. Il faut savoir que seule l’Afrique du Sud autorise le mariage homosexuel, qu’elle a légalisé en 2006. Et que seule une poignée d’États ont dépénalisé les relations sexuelles entre homosexuels, il s’agit du Cap-Vert, du Gabon, de la Guinée-Bissau, du Lesotho, du Mozambique et des Seychelles.

Ce qui explique que du Malawi au Burkina en passant par la Zambie, le Togo, le Bénin, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et bien d’autres pays, le document promulgué par le souverain pontife a été largement commenté si ce n’est rejeté.

Devant le séisme qu’a provoqué la nouvelle, le Vatican s’est expliqué en publiant un long communiqué de presse. En effet, à travers la même Fudicia supplicans, le Vatican a pris le soin de marquer avec fermeté son opposition au mariage homosexuel. «Il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage », indique le document. Et d’ajouter : «Pour éviter toute forme de confusion ou de scandale, lorsque la prière de bénédiction, bien qu’exprimée en dehors des rites prescrits par les livres liturgiques, est demandée par un couple en situation irrégulière, cette bénédiction ne sera jamais accomplie en même temps que les rites civils d’union, ni même en relation avec eux. Ni non plus avec des vêtements, des gestes ou des paroles propres au mariage. Il en va de même lorsque la bénédiction est demandée par un couple de même sexe ».

Pour le Vatican, l’Église poursuit les principes du «sacrement de l’amour infini de Dieu » et que «même lorsque la relation avec Dieu est obscurcie par le péché, il est toujours possible de demander une bénédiction, en lui tendant la main ».

Des prises de position fermes en Afrique subsaharienne

Ces précisions n’ont visiblement pas suffi pour qu’à quelques mots et expressions près, les évêques du continent affichent leurs réserves vis-à-vis du texte. Dans un communiqué, la Conférence épiscopale Burkina/Niger qui réunit les prélats des deux pays ouest-africains n’a pas manqué de souligner que «la doctrine catholique sur le mariage ne change pas et [que] l’Église n’approuve pas les unions irrégulières ou entre des personnes du même sexe. Toutefois, toutes les questions pastorales que posent la mise en œuvre du document Fiducia supplicans seront approfondies et feront l’objet d’une déclaration circonstanciée des évêques de cette Conférence», a annoncé la Conférence.

Même prudence en Côte d’Ivoire où dans un courrier en date du 19 décembre, soit au lendemain de la déclaration Fudiacia supplicans, et adressé aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et aux fidèles laïcs, les archevêques et évêques de ce pays ont déclaré : «Nous ne pouvons pas cacher le risque de confusion et de scandale que la bénédiction des couples de même sexe pourrait générer au sein de notre église locale ».

Au Togo, la position des évêques sur la déclaration émanant du Vatican est plus tranchée. En effet, la Conférence des évêques n’y est pas allée de main morte pour appeler à «s’abstenir» de la bénédiction des couples de même sexe. Et de rappeler que dans les réponses du souverain pontife aux Dubia de deux cardinaux en juillet dernier, François déclarait «inadmissibles les rites et prières qui pourraient créer une confusion entre ce qui est constitutif du mariage, à savoir une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la génération d’enfants et ce qui le contredit».

Même son de cloche en Zambie, au Ghana ou encore au Nigeria. Pour l’épiscopat de la Zambie, pays d’Afrique australe, les Saintes Écritures présentent les actes homosexuels comme «des actes de grave désordre moraux et contraires aux lois de la nature». Une bénédiction des couples homosexuels, on n’en veut pas non plus au Malawi, cet autre État sud-africain. Les évêques de la Conférence épiscopale de ce pays proposent en revanche « une clarification de la déclaration sur la signification pastorale des bénédictions Fiducia supplicans ».

Vers l’acceptation du mariage homosexuel ?

Pour de nombreux fidèles et observateurs, la réticence ou la réprobation suscitée par la déclaration du Fiducia Supplicans se justifie. Les craintes de voir les bénédictions des couples du même sexe conduire à l’acceptation du mariage homosexuel par l’Église catholique sont réels en Afrique. Il faut savoir qu’une part importante de l’opinion de plusieurs pays du continent se montre peu favorable aux unions homosexuelles. En partie, les évêques de la Zambie justifient d’ailleurs leur opposition à une bénédiction des couples homosexuels par une volonté de «ne pas enfreindre la loi de notre pays qui interdit les unions et activités entre personnes de même sexe», et tenant aussi compte d’un «héritage culturel qui n’accepte pas les relations entre personnes de même sexe ».

L’une des réactions qui éclaire le mieux sur la position des Africains sur ce sujet est celle du père Ugochukwu Ugwoke, un prêtre nigérian, sur son compte X (ex-Twitter), «une approbation du mariage homosexuel n’arrivera jamais sans que l’Église ne coure le risque de schisme. Les mariages homosexuels sont un péché et ne peuvent jamais être approuvés».

Tout comme dans le milieu religieux, la déclaration du 18 décembre a beaucoup fait réagir des fidèles, particulièrement sur les réseaux sociaux. «L’Église va mal », «ce pape n’est pas proche des Africains, la preuve, il n’y a plus de cardinal africain responsable de dicastère »; «le pape risque d’être contraint à la retraite»; «c’est du même Vatican que l’esclavage des Noirs avait été élaboré, puis imposé aux Noirs pendant au moins 400 ans. Si le pape Nicolas V s’était limité aux écritures en 1445, l’esclavage des Noirs par les Occidentaux n’aurait jamais été pratiqué…», «Il ne reste plus qu’au Vatican de décharger les prêtres rebelles comme ce fut le cas de monseigneur Gaillot dans les années 1990 » peut-on lire çà et là. Signe que le débat est loin d’être clos.

Par Bernard Kaboré, à Ouagadougou (Le Point Afrique)