Brics : une coalition élargie dominera les marchés des hydrocarbures et des métaux

Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), réunis en sommet à Johannesburg, vont accueillir dès janvier 2024 six nouveaux membres, dont l’Iran, a annoncé jeudi le président sud-africain Cyril Ramaphosa. L’Iran, l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis rejoignent le groupe des pays émergents qui veut gagner en influence dans le monde.« L’adhésion prendra effet à compter du 1er janvier 2024», a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors d’une conférence de presse conjointe des dirigeants des cinq nations qui composent actuellement le bloc. «Avec ce sommet, les Brics entament un nouveau chapitre», s’est-il félicité.
Le sommet des Brics s’est terminé jeudi à Johannesburg (Afrique du Sud). Il a entériné l’élargissement à une quarantaine de nouveaux membres dont la liste comptera des poids lourds comme l’Arabie saoudite, l’Indonésie, le Nigéria et l’Iran. Il va constituer un bloc face au bloc occidental, mais surtout redessiner les configurations du financement du développement des émergents et dominer les marchés des hydrocarbures et des métaux cruciaux dans la transition énergétique.
Le président brésilien Lula da Silva Brazil’s, le président chinois Xi Jinping, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le Premier ministre indien Narendra Modi and le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov pris en photo au sommet des Brics à Johannesburg (Afrique du Sud), le 23 août.
Le président brésilien Lula da Silva Brazil’s, le président chinois Xi Jinping, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le Premier ministre indien Narendra Modi and le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov pris en photo au sommet des Brics à Johannesburg (Afrique du Sud), le 23 août. (Crédits : Reuters)
En trouvant mercredi soir un accord pour élargir, comme le voulaient Pékin et Moscou, le club des cinq grands pays émergents à une quarantaine de nouveaux membres dont la liste officielle sera connue ce jeudi à la fin du Sommet en Afrique du sud, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud) ambitionnent de constituer un bloc émergent face au bloc occidental dominé par les Etats-Unis.
Mardi, la Maison-Blanche, par la voix de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, avait pris les devants en annonçant que le président des Etats-Unis plaiderait lors du prochain sommet du G20 en Inde les 9 et 10 septembre en faveur de «la modernisation des banques de développement multilatérales, y compris la Banque mondiale et le FMI» pour rivaliser avec les prêts «contraignants et non durables que fait la Chine au travers des «Nouvelles routes de la soie».

Fragmentation de la mondialisation
Cette prise de position, pour le moins claire, montre à nouveau la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis. La fragmentation de la mondialisation, déjà initiée lors de la présidence de Donald Trump, s’est accentuée avec la pandémie du Covid-19 et, surtout, la guerre menée par la Russie en Ukraine. Les sanctions imposées par les pays du G7 à la Russie ont montré à nombre d’émergents la nécessité d’avoir une protection géopolitique dans un monde qui aujourd’hui se reconstitue en deux blocs. «Les Brics doivent œuvrer en faveur du multilatéralisme et ne pas créer de petits blocs. Nous devons intégrer davantage de pays dans la famille des Brics», a expliqué d’ailleurs le président Xi Jinping, présent à Johannesburg.
Outre l’accord sur l’élargissement à de nouveaux membres, le Sommet a également mis en discussion la création d’une monnaie commune. Le but d’une telle monnaie vise avant tout à faciliter les échanges commerciaux et les financements des infrastructures entre futurs pays membres qu’à détrôner le dollar qui domine largement les échanges commerciaux mondiaux.
«Des considérations politiques peuvent également entrer en ligne de compte. Par exemple, en contrôlant le dollar, les Etats-Unis peuvent plus facilement imposer des sanctions économiques en bloquant l’utilisation de leur monnaie (par exemple à l’égard de Cuba, de l’Iran ou de la Russie), une menace potentielle à laquelle la Chine pourrait vouloir se soustraire», note Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès. En raison de l’extraterritorialité du droit des Etats-Unis, un juge américain peut en effet tirer prétexte de son utilisation pour engager des poursuites judiciaires contre un pays, une entreprise ou un individu hors du sol des Etats-Unis.

Un rôle accru pour la New Development Bank, la banque des Brics
Pour la Chine, l’élargissement permet d’accélérer son projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative) (BRI) officiellement lancé en 2013 dont l’ambition est de relier l’Empire du Milieu à l’Europe, via un réseau routier et ferroviaires qui intègre l’ensemble des pays traversés. Il a aussi sa version par mer, via les pays africains situés sur les rives de l’Océan indien. Il concerne près de 70 pays peuplés de 4,4 milliards d’habitants, pesant 40% du PIB mondial. Or les financements ne sont pas fournis par les institutions internationales comme la Banque mondiale ou le FMI, mais par la Chine à travers sa Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). Demain, les Brics pourront mobiliser leur banque multilatérale de développement, créée en 2014, la New Development Bank (NDB), dirigée par l’ancienne présidente du Brésil, Dilma Rousseff, permettant aux pays émergents de financer des projets sans passer par les conditions du FMI et de la Banque mondiale. La NDB a déjà approuvé plus de 30 milliards de dollars de prêts.
Avant la tenue du sommet, la Maison-Blanche a d’ailleurs tenté de dissuader certains pays de rejoindre les Brics, en s’engageant à débloquer «environ 50 milliards de dollars de prêts pour des pays à revenu intermédiaire et des pays pauvres de la part des seuls Etats-Unis », et en invitant leurs alliés et partenaires à contribuer pour porter le montant total des sommes disponibles « à 200 milliards de dollars ».

La majorité des pays membres de l’Opep+ bientôt intégrée aux Brics
En effet, un bloc Brics élargi à une quarantaine de nouveaux membres pourrait lui donner une place prépondérante sur les marchés des hydrocarbures et des métaux, devenus nécessaires pour assurer la transition énergétique. En effet, parmi les nouveaux entrants, on compte des membres majeurs du partenariat Opep+, comme l’Arabie saoudite, qui depuis l’été 2022 avait clairement exprimé le désir d’intégrer le club des cinq, le Nigeria, l’Algérie, ou encore les Emirats arabes unis (EAU), déjà actionnaire de la NDB.
De facto, une Opep+ — dont la plupart des membres de ce partenariat, 13 pays de l’Opep et 10 pays exportateurs de pétrole dont la Russie et le Kazakhstan sont candidats — intégrée dans les Brics et d’autres producteurs comme l’Egypte pourrait représenter plus de 60% de la production mondiale d’or noir et 40% des capacités de raffinage. «La Chine et l’Inde, membres des Brics, sont déjà les principaux importateurs de brut des pays du Golfe, et également les principaux partenaires commerciaux de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe. Rejoindre les Brics renforcera la coopération économique entre le Royaume et les pays membres, et contribuera à la croissance de l’économie saoudienne dans l’avenir», indiquait en juillet les Brics dans un communiqué. Sur les autres hydrocarbures, la coalition va représenter plus de 50% de la production de gaz naturel, avec notamment le Qatar et l’Iran, et quelque 80% de celle de charbon, dominée par la Chine et l’Indonésie. L’approvisionnement en pétrole et gaz est notamment vital pour la Chine, qui importe une majeure partie de ses besoins.

L’enjeu des chaînes de valeurs crées avec la transition énergétique
Pour les métaux, la concentration est encore plus importante et devient plus stratégique avec nombre de pays émergents qui veulent profiter de la transition énergétique pour pouvoir eux aussi développer leurs chaînes industrielles mondiales et bénéficier de chaînes de valeur comme le font les Etats-Unis avec le plan Biden, l’IRA, ou l’Europe avec les 750 milliards d’euros de Next Generation UE.
Ainsi, l’Indonésie est le premier producteur de nickel, la Russie en est le troisième. L’Indonésie est également le deuxième producteur de cobalt dont la majeure partie est extraite par un autre candidat aux Brics, la République démocratique du Congo (RDC). Les terres rares sont pratiquement le fait de la Chine qui domine également les capacités de raffinage pour transformer les minéraux en métaux. Le platine et le palladium sont produits majoritairement en Russie et Afrique du sud.
Ce poids dans le secteur des hydrocarbures et des métaux, et de leurs réserves, est de nature à favoriser demain la convergence des intérêts entre producteurs et consommateurs au sein des Brics et modifier la configuration actuelle des marchés internationaux et des chaînes d’approvisionnement — comme l’a déjà fait pour le pétrole et le gaz la guerre russe en Ukraine —, notamment en développant le secteur minier sur le continent africain.

L’Europe trop dépendante des Brics ?
Or si les Etats-Unis peuvent compter sur leurs productions de pétrole et de gaz, et dans une certaine mesure de métaux, avec l’aide du Canada, ce n’est pas le cas de l’Europe qui pourrait être fragilisée par de telles perspectives, dépendante largement pour ses hydrocarbures de futurs pays membres des Brics, notamment du Proche Orient et de l’Afrique. Le président français Emmanuel Macron, qui avait manifesté le désir de participer à ce sommet des Brics s’est d’ailleurs fait éconduire, au prétexte que c’était «trop tôt».
Robert Jules (latribune.fr)