Si le rôle du Rwanda dans la déstabilisation de l’Est de la RD Congo par son soutien actif au M23 ne fait l’ombre d’aucun doute désormais, la participation de l’Ouganda en revanche reste à établir officiellement, la diplomatie de Kampala étant entourée de mystère. Un état de fait du reste entretenu par le gouvernement congolais qui feint de ne pas être informé du tumulte général mettant en cause les manœuvres de Kampala, sans lesquelles le M23 et les troupes rwandaises ne seraient pas parvenues à occuper la cité frontalière de Bunagana dans le Rutshuru (Nord-Kivu). Plusieurs signaux ont été émis par le régime du président Museveni qui, à l’analyse, laissent clairement apparaître le double-jeu du potentat ougandais au pouvoir depuis 38 ans.
De retour de Luanda à l’issue du sommet tripartite qui avait réuni le 6 juillet 2022 autour du président angolais ses homologues congolais et rwandais, le ministre des Affaires étrangères de la RD Congo avait, au cours d’une conférence de presse, révélé une confidence d’un haut responsable rwandais. Selon Christophe Lutundula, le général rwandais James Kararebe, conseiller spécial de Paul Kagame, lui aurait confié qu’en ce qui concernait la prise de Bunagana par le M23, le rôle de l’Ouganda avait été déterminant. «Ce n’est pas nous qui attaquons», aurait-il déclaré.
Cette affirmation avait soulevé un tollé dans les milieux politiques de Kinshasa au point que dès le lendemain, le président Tshisekedi avait dépêché une délégation à Kampala auprès du chef de l’Etat ougandais. Il s’agissait de s’enquérir de la véracité des «allégations» du général rwandais. La mission, conduite inexplicablement par le ministre des Infrastructures Alexis Gisaro, presque humiliée à Kampala, n’avait pas rapporté au pays de bonnes nouvelles. Loin de là.
En effet, sur un ton de moquerie, presque goguenard, Yoweri Museveni avait recommandé aux émissaires de Kinshasa, et ce, à l’attention de leur gouvernement, de réfléchir à cette alternative : ou vous négociez avec le M23, ou vous faites la guerre ! Depuis, bien d’eau a coulé sous le pont. L’armée ougandaise déployée dans le cadre de la force régionale de l’EAC opère désormais en Ituri aux côtés des FARDC dans leur traque des rebelles ougandais des EDF et autres groupes armés locaux.
La stratégie ougandaise est, à ce point, fumeuse que les appels aux négociations lancées par diverses médiations impliquent immanquablement le gouvernement congolais, le M23 et le Rwanda. L’Ouganda n’étant jamais mis en position de partie majeure au conflit.
Une rhétorique invariable
A telle enseigne que la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la région des Grands Lacs tenue le 26 octobre 2022 a repris la même rhétorique sans que l’Ouganda ne soit mentionné dans le communiqué publié ce 17 octobre : «Nous appelons également les acteurs étatiques à cesser de soutenir ces groupes, notamment l’aide apportée par les Forces de défense rwandaises au M23», estime la délégation américaine au Conseil de sécurité.
Concernant la force régionale de l’EAC, les Etats-Unis émettent leur crainte qu’à mesure que ces actions progressent, il est impératif que qu’elles ne viennent une situation déjà tendue. «Nous demandons aux dirigeants régionaux de veiller à ce que les forces bilatérales et multilatérales respectent les droits humains, donnent la priorité à la sécurité des civils et s’abstiennent de toute activité illicite, telle que l’extraction de ressources naturelles», note le communiqué du Conseil de sécurité.
Les regards restent rivés sur le gouvernement de Kinshasa appelé à éclaircir l’état des relations non seulement avec l’Ouganda, mais aussi avec les Etats partenaires contributeurs des troupes dans la force de l’EAC d’une part, et du retrait du contingent kényan dont les officiers en équipe d’avance auraient repris le chemin de leur pays, d’autres part.
Mercredi, le Conseil de sécurité des Nations Unies a inscrit la RDC à son ordre du jour. C’était l’occasion pour la RDC d’exiger plus de fermeté de l’organe de décision de l’ONU à l’encontre du Rwanda, présenté comme agresseur de la RDC avec des preuves évidentes.
Grands Lacs : l’appel de l’envoyé spécial du SG de l’ONU
Venu présenter, mercredi à New York, au siège des Nations-Unies, le rapport sur la mise en œuvre de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République Démocratique du Congo et la région («Accord-cadre d’Addis-Abeba»), l’envoyé spécial du secrétaire général pour la région des Grands Lacs, Huang Xia, a demandé le soutien du Conseil de sécurité et de la communauté internationale dans son ensemble, aux efforts régionaux entrepris pour cette mise en œuvre.
Présentant les initiatives régionales, qu’il demande au Conseil de sécurité de soutenir, l’envoyé spécial Huang Xia a expliqué que ces efforts comprennent, outre le processus de paix de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) sur la situation dans l’est de la RDC, dit «processus de Nairobi», des efforts de médiation entre le Rwanda et la RDC conduits par le Président de l’Angola et le Président en exercice de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Le mécanisme de consultation entre le processus de Luanda et le processus de Nairobi a aussi été mentionné parmi les efforts régionaux du volet politique.
Les États de la région se sont en outre lancés dans la coopération bilatérale dans les domaines sécuritaires et économiques. La RDC a signé des accords sécuritaires avec la République du Congo voisine et avec le Burundi, permettant ainsi le déploiement de militaires burundais dans l’est de la RDC, tandis que le Rwanda et l’Ouganda ont continué à se rapprocher. Sur le plan économique, des accords bilatéraux ont été conclus entre le Burundi, la RDC et la République-Unie de Tanzanie pour la construction d’une ligne de chemin de fer, pendant que l’Ouganda et la Tanzanie se sont mis d’accord sur la construction d’une ligne de transmission électrique de 400 kV allant de Masaka (Ouganda) au port de Mwanza (Tanzanie), comme le décrit le rapport.
Ces développements interviennent dans un contexte où, a poursuivi M. Xia, la situation humanitaire reste préoccupante, avec environ 12 millions de personnes déplacées. Il a également fait part de son inquiétude face à l’activisme des groupes armés, le M23 et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en tête, qui se poursuit, de même que s’intensifient les tensions entre le Rwanda et la RDC. De fait, les deux pays ont continué, devant lee membres du Conseil de sécurité, à s’accuser mutuellement de soutenir les groupes armés actifs dans la région, en particulier les FDLR et le M23.
Pour le Rwanda, «la force génocidaire de 1994», à savoir les FDLR, est installée avec tolérance en RDC. Elle continue, en dépit de plusieurs résolutions appelant à son désarmement et à sa dissolution, à recruter et former des combattants pour commettre des meurtres à caractère ethnique au Rwanda, selon le délégué de ce pays. Ce genre de relation attirera toujours l’attention et la vigilance du Rwanda, a mis en garde le représentant.
Son homologue de la RDC, Georges Nzongola Ntalaja, a quant à lui rappelé que le Rwanda, en violation de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, occupe depuis plus de quatre mois la cité de Bunagana, sous couvert du M23.
«La RDC, son président et sa population ne lâcheront aucun centimètre carré de leur sol », a-t-il prévenu, avant d’appeler le Conseil de sécurité à imposer des sanctions au M23 et au pays qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité dans la région des Grands Lacs. Il a aussi demandé que le Conseil condamne fermement par voie de résolution le Rwanda pour son soutien au groupe armé M23.
Les membres du Conseil de sécurité ont, quant à eux, entendu diversement les appels lancés au Conseil, tentant de répondre à chacune des demandes. Plusieurs délégations ont en effet soutenu l’appel de l’envoyé spécial en faveur du nécessaire soutien aux politiques et initiatives régionales, si l’on veut parvenir à des effets concrets, comme a dit la France.
Pour autant, la paix dans la région des Grands Lacs ne sera pas atteinte sans mesures de confiance et tant que la méfiance entre la RDC et le Rwanda continuera de jeter de l’huile sur le feu, ont estimé les membres des A3 (Gabon, Ghana et Kenya). Ce qu’il faut, c’est le retrait du M23 de toutes les localités occupées, le désarmement et la coopération pour mettre un terme à l’action inhumaine des FDLR, ont notamment proposé ces trois membres africains du Conseil, ainsi que la Norvège et la France.
Le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation a été salué en même temps que la création d’une force régionale actée dans le cadre du Processus de Nairobi. Alors que cette force a besoin d’un soutien politique, technique et financier pour exécuter son mandat, elle doit le faire en étroite et scrupuleuse coordination avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), ont notamment réclamé le Burundi, la Norvège, le Royaume-Uni, le Brésil, les États-Unis et la Fédération de Russie.
Si pour cette dernière, Kinshasa doit garder un rôle moteur, il est impératif que ces forces n’aggravent pas une situation déjà tendue, et il faut qu’elles respectent les droits humains, protègent en priorité les civils et s’abstiennent d’activités illicites, telles que l’extraction de ressources naturelles, ont également insisté les États-Unis. La question des minerais, en particulier les problèmes d’exploitation illégale, de trafic et de commerce, a d’ailleurs été soulevée par les délégations.
De l’avis général, ces problèmes continuent à alimenter le cycle vicieux des affrontements intercommunautaires, des activités des groupes armés ainsi que leur instrumentalisation par les réseaux criminels transfrontaliers.
Il a alors été jugé important, notamment par l’Irlande, l’Inde ou la Chine, de progresser sur les questions de transparence, notamment par le biais du Mécanisme régional de certification de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ou par la mise en œuvre des recommandations de l’atelier régional de haut niveau de Khartoum, de 2021 sur les ressources naturelles. Pour concourir à cet effort, l’envoyé spécial a indiqué avoir effectué une mission conjointe de plaidoyer avec le secrétaire exécutif de la CIRGL à Paris et à Bruxelles en vue d’un soutien accru à une meilleure gouvernance des ressources naturelles. Et d’autres visites sont prévues dans certains pays de destination de ces minerais, a-t-il annoncé.
Econews