Ce qui se limitait encore il y a peu à de simples rumeurs de salon, ou à d’acerbes échanges sur les réseaux sociaux est apparu au grand jour : l’UDPS vient de confirmer la volonté du parti présidentiel de réviser (ou de changer) la Constitution de 2006 révisée en 2010. Devant ses militants, le secrétaire général et président intérimaire Augustin Kabuya n’en fait plus mystère, annonçant même une campagne de sensibilisation en vue du futur référendum constitutionnel. Mais le projet ne passe pas, même au sein de la Majorité présidentielle où quelques voix s’élèvent déjà pour fustiger une démarche déguisée mais en réalité destinée au mieux, à prolonger le mandat présidentiel qui passerait de 5 à 7 ans et au pire, à faire table rase des dispositions actuelles et ouvrir la voie à Félix Tshisekedi pour un troisième mandat, et qui serait le premier dans une Quatrième République. En qualifiant l’actuelle loi fondamentale d’obsolète et rédigée au profit des étrangers, Augustin Kabuya se met en porte-à-faux avec le combat de son parti en 2015-2016 quand l’opposition menée par la même UDPS avait pris la tête d’une contestation acharnée contre le même projet prêté en son temps à Joseph Kabila, alors président de la République. L’affirmation selon laquelle l’initiative procéderait d’un testament politique de feu Etienne Tshisekedi est un paravent transparent qui cache mal les ambitions totalitaires d’un pouvoir affaibli par de multiples scandales de détournements de fonds publics et de corruption, et aussi par une situation sécuritaire dans l’impasse.
Le premier à donner le ton, Steve Mbikayi, président du Parti travailliste et membre de l’Union sacrée de la Nation. S’exprimant sur son compte X, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire sous Joseph Kabila révélait déjà : «Au sein de la Majorité et en coulisses, les avis sont diamétralement opposés.
Les anti ont peur de se dévoiler à temps, tandis que les pro-changement ont peur de l’opinion publique. Recourons à la Dialectique.
Un débat s’impose au Parlement et non à la télévision. Le peuple est en droit de connaître la position de chaque force politique […] Les masques doivent tomber à temps afin que la configuration de la classe politique change. En cette matière, la neutralité n’est pas possible ».
La prise de position courageuse exprimée par Steve Mbikayi, a fait l’effet d’une bombe au sein d’une plateforme politique où les opinions contraires à la ligne inflexible est assimilée à un crime de lèse-majesté n’est pas étrangère à la sortie publique d’Augustin Kabuya dont la traditionnelle matinée politique n’a pas tourné à son avantage.
Des violences ont éclaté opposant les «tshisekedistes» se réclamant de la ligne tracée par Etienne Tshisekedi et les « fatshistes » ancrée à l’idéologie réformatrice de Félix Tshisekedi dont la volonté de se maintenir à tout prix au pouvoir ne fait plus de doute. La scission entre «combattants» a pris une nouvelle tournure quand, dépassé, Kabuya a ordonné à la police présente sur les lieux de tirer sur tous ceux qui s’opposaient à son appel à une sensibilisation en vue de la révision de la Constitution. Au moins cinquante manifestants ont été interpellés, et une dizaine de blessés enregistrés.
Et comme pour envenimer la situation au désavantage de l’UDPS, le député Ngoyi Kasanji et ancien gouverneur du Kasaï Oriental n’y est pas allé non plus avec des gants : « L’UDPS est tombée dans son propre piège du fait que ce parti de l’opposition à l’époque s’opposait farouchement à toute modification de la Constitution. Nous avons des déclarations multiples du PR Tshisekedi quant à ce. A quoi jouez-vous ? », interroge-t-il sur le même média, avant d’avertir qu’« il ne faut pas que nous ouvrions une voie qui détourne l’attention de tous, dès le début du mandat, alors qu’il y a des attentes énormes du souverain primaire. Soyons sérieux et aidons le président Tshilombo à marquer notre population en posant des actes de grande envergure ».
REMETTRE LES COMPTEURS À ZERO
Faute de prouver en quoi la Constitution de 2006 est nocive par des arguments politiquement motivés, l’UDPS (et Kabuya) ouvre la voie à un flot de réactions dont certaines ne sont pas dénuées de pertinence. Il se trouve en effet une opinion favorable à la révision de quelques dispositions constitutionnelles qui porteraient sur la réduction du nombre de provinces de 26 à 11 ou sur la suppression du sénat, une institution jugée inutilement budgétivore. L’opposition ne rejette pas non plus la possibilité du retour à un scrutin présidentiel à deux tours.
Une autre série d’interrogations souvent entendues est dans le genre : est-ce la Constitution actuelle, jugée défaillante par l’UDPS, qui fait perdurer la guerre dans l’Est, qui favorise la corruption, la mauvaise gouvernance, le manque d’infrastructures et le quotidien difficile des Congolais ? Des questions souvent éludées au cours des matinées politiques d’Augustin Kabuya.
En déclarant publiquement que le mandat présidentiel de cinq ans se réduit dans les faits à trois, les deux années restantes étant consacrées la première à la mise sur pied des institutions (gouvernement, assemblée nationale et sénat) et la dernière étant exclusivement électorale, Augustin Kabuya laissait entrevoir la possibilité d’instaurer un mandat de sept ans indéfiniment renouvelable.
EMBARRAS GENERALISÉ À L’USN
En mettant en exergue et de façon répétitive le nombre et la durée des mandats présidentiels, Kabuya crée un malaise au sein de la majorité, étouffant à l’avance les ambitions des uns et des autres à briguer un mandat présidentiel à l’échéance de 2028.
Le plus cité parmi les frustrés qui pour l’heure se gardent de se positionner est Vital Kamerhe, actuel président de l’Assemblée nationale et ancien partenaire de Tshisekedi avec lequel il avait fondé la plateforme ‘‘Cap pour le Changement’’ (CACH) en 2018, avec l’assurance du soutien de Tshisekedi à la présidentielle de 2023. Un rêve abandonné depuis, mais que l’intéressé ne se gênerait pas de rappeler le moment venu.
LE SILENCE DES CACIQUES USN
Quoiqu’affaiblie et très divisée, l’opposition ne manque pas de donner de la voix. Pour André Lubaya, le projet de l’UDPS constitue «un aveu d’échec pour le premier mandat de Félix Tshisekedi ».
Pour sa part Envol, le parti de l’opposant Delly Sesanga, c’est là un pénible retour aux années Kabila. Selon lui, « réviser la Constitution risque de plonger le pays dans la désolation, la division et d’accroître l’autoritarisme de quelques individus au détriment de la stabilité ».
Pendant ce temps, les grandes figures de la majorité présidentielle restent dans l’expectative.
Les Vital Kamerhe, Modeste Bahati, Mboso N’kodia ou encore Jean-Pierre Bemba observent un mutisme difficile à décrypter.
Une attitude prudente mais qui n’est pas toujours du goût des proches de Félix Tshisekedi qui exigent que la loyauté à leur leader s’exprime à haute et intelligible voix. Au cas contraire, l’arme fatale est brandie : celle de la collusion avec l’ennemi rwandais.
MWIN M.F.