L’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, Moïse Katumbi, a décidé de se lancer dans la course à la présidentielle et de rompre avec Félix Tshisekedi. Mais pour peser dans une présidentielle à un seul tour, l’homme d’affaires doit nouer des alliances politiques.
Sa position d’équilibriste était de plus en plus intenable. Avec un pied dans l’Union sacrée de Félix Tshisekedi, avec ministres et députés, et un pied en dehors, dans la peau d’un possible concurrent au président sortant, Moïse Katumbi a finalement tranché. L’homme d’affaires a mis fin au suspense sur France 24 et RFI en annonçant son départ de la majorité présidentielle, mais surtout sa candidature à la magistrature suprême, en 2023. Le patron d’Ensemble pour la République a officiellement acté sa rupture avec le président Tshisekedi dont il juge le bilan «très mauvais » et « chaotique».
Sa posture politique est désormais connue depuis 2015, L’homme d’affaires met en avant son expérience, lorsqu’il était à la tête de la riche province minière du Katanga entre 2007 et 2015. Il s’est posé en «sauveur » d’un peuple «en danger» avec « une vision », «un programme » pour créer des emplois et reconstruire les infrastructures.
CENI, loi Tshiani : les lignes rouges de Katumbi
L’ancien gouverneur et président du prestigieux club de football, le Tout Puissant Mazembe, clarifie un positionnement politique qu’il était de plus en plus difficile à suivre. Moïse Katumbi était en désaccord sur plusieurs points avec la majorité fidèle à Félix Tshisekedi. Il y avait tout d’abord l’absence de consensus autour des membres de la Commission électorale (CENI), jugés trop proches du chef de l’Etat, candidat à sa propre réélection. Le bureau et la plénière de la CENI ne sont plus représentatifs des équilibres politiques selon Moïse Katumbi. Il y a ensuite le projet de loi Tshiani, censé exclure de toute élection les Congolais nés d’un parent étranger, ce qui est le cas de Moïse Katumbi dont le père est italien, d’origine juive. Ce projet de loi cousu « sur mesure » pour priver l’homme d’affaires de concourir à la présidentielle, reste tout de même une épée de Damoclès au-dessus de tête.
Opposition frontale
Mais pour justifier son départ de l’Union sacrée, Moïse Katumbi ne s’est pas gêné pour également dénoncer la mise en place de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, en proie aux groupes armés. Il faut dire que depuis mai 2021, cette mesure d’exception n’a pas produit les effets escomptés. Les ADF continuent leurs massacres sans fin et la rébellion du M23 est réapparue fin 2021 et occupe désormais de nombreuses localités du Nord-Kivu, à quelques kilomètres de la ville de Goma.
Le positionnement politique de Moïse Katumbi apparaît donc maintenant au grand jour, et se place clairement dans une opposition frontale au président Tshisekedi. Il rejoint maintenant les nombreuses personnalités qui se sont déjà déclarées candidates au fauteuil présidentiel.
Un parti qui perd ses troupes
A un an du scrutin, théoriquement prévu le 20 décembre 2023, Moïse Katumbi arrive en campagne avec des troupes légèrement déplumées. Depuis plusieurs mois, le camp Tshisekedi s’est, en effet, évertué à siphonner consciencieusement les proches de l’ancien gouverneur pour les rallier derrière la bannière présidentielle. Sur les cinq ministres issus d’Ensemble pour la République, trois ont déjà déclaré soutenir la candidature de Félix Tshisekedi à sa réélection.
Un groupe de députés katumbistes du «Courant révolutionnaire progressiste», soit une bonne trentaine d’élus, se sont déclarés « non-concernés » par le départ de Moïse Katumbi de la majorité présidentielle. Interrogé sur France 24 et RFI, le chef de file d’Ensemble faisait bonne figure, estimant qu’il continuerait « avec de vrais combattants, qui veulent qu’on change la situation de notre pays ensemble, pour un Congo meilleur ».
Un parti aux portes grandes ouvertes
Avec une présidentielle à un seul tour et des institutions verrouillées par le président congolais, Moïse Katumbi doit trouver la parade pour exister dans une campagne, où il devra affronter, certes, le président sortant, mais aussi d’autres opposants comme Martin Fayulu, les anciens Premiers ministres Matata Ponyo, Adolphe Muzito, ou même, peut-être, le prix Nobel de la paix Denis Mukwege… sans compter le camp de l’ancien président Joseph Kabila, toujours en embuscade ! Pour la convention de son parti politique, Ensemble pour la République, qui a entériné sa candidature à la présidentielle, Moïse Katumbi a décidé d’ouvrir grandes les portes de son mouvement.
Matata, Bemba, Kamerhe…
Dans un étrange grand écart, dont seule la politique congolaise a le secret, Ensemble pourrait se rapprocher du PPRD de Joseph Kabila. La poignée de main entre les deux leaders katangais en mai dernier avait scellé la réconciliation des deux frères ennemis – voir notre article. L’ancien Premier ministre Matata Ponyo, qui malgré ses déboires judiciaires, semble bien décidé à se présenter à la présidentielle, pourrait aussi être approché. Au sein de la plateforme katumbiste, on n’hésite pas également à évoquer des contacts vers Jean-Pierre Bemba ou Vital Kamerhe. Même si ces deux poids lourds de la politique congolaise ont, pour le moment, fait allégeance au président Tshisekedi, pour des questions financières pour le premier, judiciaires pour le second.
Des alliances de circonstances
On voit bien que pour réussir à créer la surprise dans un scrutin qui semble joué d’avance, Moïse Katumbi tente de créer un front anti-Tshiskedi à large spectre, susceptible de drainer le maximum de voix d’opposition. Les appels du pied vers toutes ces personnalités seront-ils entendus ? Dans un paysage politique ou les alliances se font et se défont en quelques semaines, rien n’est impossible. Mais on voit bien que sans alliances solides avec d’autres leaders politiques, la candidature de Moïse Katumbi risque de se diluer avec les autres candidatures d’opposition.
L’inconstance politique étant une pratique très développée à Kinshasa, on ne serait pas surpris de voir se nouer des alliances de circonstances capables de peser face à la candidature « poids lourd » de Félix Tshisekedi. Fayulu, Katumbi et Mukwege sont les trois challengers les plus dangereux pour le président sortant. Avec la déclaration de candidature de Moïse Katumbi, la campagne électorale vient d’être lancée et ne fait que commencer. Une chose est sûre, elle sera tout, sauf un long fleuve tranquille.
Avec Afrikarabia