Dans les années de la rébellion, l’Armée libération du Congo que coordonne le MLC de Jean-Pierre Bemba, actuel vice-Premier ministre en charge de la Défense nationale, organise une opération punitive dans les zones sous son contrôle, avec nom de code « Effacer le tableau ». Selon divers de la Monusco (Monuc à l’époque des faits), c’est le général MLC Constant Ndima qui aurait commandé cette opération. Après le dialogue intercongolais, le dossier sera classé. Une vingtaine d’années, c’est encore le même général Constant Ndima qui se retrouve dans le rôle de gouverneur-militaire du Nord-Kivu quand un carnage est perpétré à Goma, le 30 août 2023. Le bilan officiel, légèrement revu à la hausse, fait état de 51 morts et de nombreux blessés. A Goma, a-t-on vécu une copie conforme de l’opération «Effacer le tableau» des années de la rébellion. Curieusement, deux acteurs cités à époque, à savoir Jean-Pierre Bemba, actuel vice-Premier ministre en charge de la Défense, et Constant Ndima se retrouvent encore au centre de l’opération militaire du 30 août 2023 à Goma. Le carnage de Goma porterait-il la dernière signature de Constant Ndima, «Effacer le tableau» ? Mystère !
Un communiqué des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) a annoncé – par inadvertance peut-être – la nomination du général Nduru Chaligonza comme commandant militaire intérimaire de la province du Nord-Kivu en remplacement du Général Constant Ndima, également gouverneur de la province, rappelé d’urgence à Kinshasa après le massacre de civils à Goma la semaine dernière. Le communiqué n’indique, cependant, pas si le nouveau commandant des opérations va également assumer l’intérim de cette province qui a comme vice-gouverneur un officier général de la Police nationale congolaise.
Mercredi au cours du briefing de presse, le VPM en charge de l’Intérieur, Peter Kazadi, avait assuré que cette nomination n’est pas à confondre avec un remplacement du Gouverneur militaire. « Le Gouverneur militaire est administrativement rappelé à Kinshasa pour consultation. On n’a pas nommé un autre Gouverneur militaire au Nord-Kivu. Le général Nduru Chaligonza est à Goma dans le cadre de ses responsabilités dans la mesure où il est chef d’état-major adjoint en charge des opérations», a souligné le VPM Peter Kazadi.
Qui a aussi souligné qu’«il n’y a aucun acte à ce jour qui prive le Gouverneur de ses fonctions. Il reste Gouverneur. C’est le vice-gouverneur qui assume l’intérim ».
Mais pour combien de temps, se demande-t-on surtout à Goma où un ouf de soulagement a été poussé à l’annonce de ce Gouverneur militaire qui, dans les montagnes du Kivu, n’a vraiment jamais été le bienvenu.
Quand «Effacer le tableau» fait lapider «Baïmoto»
Et les Gomatraciens l’ont manifesté de manière particulière avec des dégâts sur le cortège de Bemba dont le cortège avait essuyé des jets de projectile lors du séjour d’une délégation gouvernementale dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de plus de 48 manifestants. La réalité, en effet, est que le VPM de la défense subissait là les dégâts collatéraux du rejet de Constant Ndima, un général issu du MLC et que personne n’a oublié ici sous son appellation de «Effacer le tableau».
En effet, personne n’avait compris pourquoi seul le cortège de JP Bemba, qui n’était pas chef de la délégation, a été pris à partie. Une interrogation d’autant plus intéressante que le même Bemba a séjourné dans cette ville voici lus ou moins un mois dans le cadre, notamment, de l’évaluation de la présence des troupes de l’EAC à l’Est. Et cette fois-là, il avait été particulièrement bien mieux accueilli que cette fois-ci.
L’on a fini par comprendre que le VPM en charge de la défense a essuyé la colère de la population contre le Gouverneur militaire Constant Ndima, issu du MLC. Une colère en embuscade, en fait, depuis que ce général de l’armée congolaise a été désigné pour diriger le Nord-Kivu dans le cadre de l’Etat de siège décrété en son temps par le Président de la République.
Victime du rejet de Constant Ndima, Jean-Pierre Bemba s’est retrouvé, en réalité, face à son passé de chef de la rébellion du MLC avec toute la charge historique dont se sont souvenu les populations du Nord-Kivu depuis la nomination de Constant Ndima et son affectation au Nord-Kivu dans des conditions plutôt controversées. On se souvient, en effet, que c’est plutôt en Ituri que le général Constant Ndima avait été affecté dans l’ordonnance de nomination du Chef de l’Etat, tandis que l’actuel gouverneur de cette province avait, lui été affecté au Nord-Kivu.
Un changement sera opéré dans les heures qui suivaient la publication de ces nominations à la suite d’une vive colère qu’avait suscitée rien que l’évocation du nom de Constant Ndima en Ituri, mais aussi dans le Nord-Kivu. Ici et là, en effet, ce nom a rappelé la tristement célèbre opération dénommée « Effacer le tableau », attribuée à des forces spéciales de la rébellion du MLC et qui s’était révélée particulièrement répressive dans les années 2002. «Effacer le tableau» était également le nom attribué à cette unité spéciale documentée jusque dans les rapports de l’ONU comme ayant commis de nombreuses atrocités contre les civils.
La même dénomination renvoyait aussi au général Constant Ndima, présenté à l’époque comme ayant été à la tête de ces opérations.
« Après la campagne ‘Effacer le tableau’, peut-on retrouver dans les archives des Nations-Unies, la Monuc d’alors (Monusco aujourd’hui) diligente une enquête fin 2001. L’équipe recueille plus de 500 témoignages à Mangina, Oicha, Butembo, Erengeti et Beni (toutes des contrées du Nord-Kivu), mais également à Mambasa et à Mandima dans l’Ituri ». D’après le rapport de la Monuc, « le général Constant Ndima est épinglé ainsi que deux autres commandants ».
Mais après ce rapport, le MLC va publier une déclaration pour affirmer que Constant Ndima n’avait pas pris part à ces opérations. Et c’est dans la même période de la polémique sur cette opération « Effacer le tableau » que Constant Ndima revient aux affaires comme gouverneur.
Le sombre pedigree de «Effacer le tableau» sous l’état de siège
Son mandat sous l’état de siège ne va, cependant, pas être de tous les apaisements comme on l’espérait. De nombreux rapports documentent, en effet, un accroissement de la répression et une forte restriction des libertés sous le règne de Constant Ndima.
Il y a quelque trois mois, Amnesty international avait publié un rapport sur l’état de siège au Nord-Kivu, esquissant un tableau sombre de la gestion de Ndima. Depuis 2 ans, la situation sécuritaire s’est donc constamment détériorée, alors que l’état de siège était activé, indiquait ce rapport avant de poursuivre que « sans résultat sur le terrain militaire, l’état de siège a, par contre, fortement augmenté les restrictions de libertés ».
Selon Amnesty International, en effet, « les autorités militaires ont utilisé les pouvoirs conférés par l’état de siège pour restreindre systématiquement les droits humains ». Critiquer l’état de siège ou manifester deviennent maintenant répréhensibles. Les nouvelles autorités ont «harcelé et incarcéré des journalistes, et tué des défenseurs des droits et des militants politiques. Elles ont également recouru à la détention provisoire massive des personnes considérées comme une menace, dans des centres où les conditions sont bien souvent épouvantables». D’autant que la police et l’armée sont souvent responsables «de violations graves des droits humains à l’encontre des civils».
JDW