Ma tribune, publiée en ce début du mois de septembre, s’interroge si le sankarisme est de retour au Burkina Faso avec l’accession au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. A voir de près, le nouveau président du Burkina est un réformateur sankariste très engagé. Bonne chance à lui !
Ce que je pense est que Thomas Sankara était un leader qui a marqué l’Afrique et le monde. I1 était très apprécié par les africains, particulièrement les jeunes.
Né le 21 décembre 1949 à Yako (Nord du pays), il est devenu président de la République, le 04 aout 1983. Il a changé le nom du pays (anciennement appelé Haute-Volta), devenu depuis lors Burkina Faso, ce qui signifie « le pays ou la patrie des hommes intègres ». En accédant au pouvoir a 34 ans, il avait une vision pour son pays, à savoir l’extirper du sous-développement. Il avait des objectifs précis pour y arriver. Dans le domaine agricole, par exemple, il visait l’autosuffisance alimentaire. A cet effet, il avait engagé une réforme agraire vigoureuse qui avait rapidement donné de résultats L’une des mesures fortes prises était l’interdiction d’importer les fruits et légumes. En même temps, il incitait les agriculteurs à les produire localement. En 1986, soit trois ans après sa prise de pouvoir, le Burkina Faso devenait alimentairement auto-suffisant. Une performance exceptionnelle. En outre, il avait mis en œuvre un plan de lutte contre l’analphabétisme qui avait fait passer le taux de scolarisation de 6 à 24 % en quatre ans. Extraordinaire ! Politiquement, Sankara était un marxiste révolutionnaire proche du pouvoir soviétique.
Il était panafricaniste et tiers-mondiste. Détaché des biens matériels et vivant proche de la population, il roulait dans une petite voiture Renault 5, dénommé R5, et habitait dans un quartier populaire. Il disait que le pouvoir appartient au peuple qui devait bénéficier de ses retombées. I1 se déclarait anti-impérialiste et fustigeait le néo-colonialisme. Le 04 octobre 1984, s’adressant à l’assemblée générale des Nations unies, il avait recommandé notamment la légitime révolte des pays du Tiers-monde exploités par l’impérialisme considéré comme un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé. En particulier, il entretenait des relations houleuses avec la France, l’ancienne puissance coloniale. Sankara désignait la France comme le principal frein au développement de l’Afrique. Il boycottait les sommets France-Afrique pour manifester son hostilité contre la France dirigée à l’époque par le Président François Mitterrand.
Recevant ce dernier à Ouagadougou, il n’avait pas hésité de condamner la France, en sa présence, pour ses ingérences et de fustiger le capitalisme. Le président français n’avait pas manqué de réagir sur place : « C’est un président un peu dérangeant, le président Sankara ». Par ailleurs, Sankara était un écologiste précoce. Pour contrer l’avancée du désert et les sécheresses récurrentes, il demandait à chaque famille de planter des arbres dans sa parcelle et de cultiver un potager. Il encourageait également la plantation de bandes boisées traversant le pays d’est à l’ouest. Enfin, il était un féministe. Il s’était engagé à promouvoir les droits de la femme. Par exemple, il avait mis fin à la dot, aux mariages forcés, interdit l’excision, et tenté de s’opposer à la prostitution et à la polygamie. En 1983, il avait nommé trois femmes dans son gouvernement.
Ce que je pense est que globalement la révolution sankariste était un succès. Elle avait conduit à l’amélioration des conditions de vie des Burkinabés.
Ce qui avait permis d’accroître significativement la popularité de Sankara à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Ses prises de positions anti-impérialiste et anticolonialiste, d’une part, et ses appels aux africains à se soustraire de la dépendance politique et économique occidentale et à se syndiquer contre le paiement de la dette extérieure, d’autre part, l’avaient rendu célèbre auprès des africains Du coup, plusieurs présidents africains évitaient de l’inviter dans leurs pays respectifs.
En voyage en Afrique, Sankara était parfois mieux ovationné que le président du pays d’accueil. Cependant, La rigueur et l’intégrité de Sankara ne plaisaient pas à tout le monde. Au fil des années, son action politique avait fini par créer des frustrations et de mécontentements, particulièrement au sein de l’équipe restreinte de compagnons de la révolution au pouvoir. Ceux-ci avaient décidé de l’éliminer. Et, ils l’ont assassiné le 15 octobre 1987. Le capitaine Blaise Compaoré, le meilleur ami de Sankara depuis l’enfance, avait été cité comme le principal instigateur du putsch. C’est bien lui qui lui avait succédé à la présidence de la république. La France aussi était soupçonnée d’avoir soutenu l’opération. Depuis lors, Sankara est entré dans le panthéon des héros africains aux côtés des hommes célèbres comme Mandela et Lumumba.
Ce que je pense est que Thomas Sankara est resté vivant dans l’esprit de la majorité des africains. Pendant quatre ans de règne, il avait fait rêver les africains de s’affranchir de la dépendance occidentale et de se remettre sur le chemin du développement. Depuis lors, lorsqu’un président africain parle de l’anti-impérialisme ou l’anticolonialisme en des termes forts, c’est bien l’image de Sankara qui revient en premier lieu dans l’esprit de deux dernières générations des africains. C’est bien le cas du président Ibrahim Traoré arrivé au pouvoir à 34 ans comme Sankara et dans le même pays des hommes intègres !
Né le 14 mars 1988 à Kera (commune de Bondokuy), il est licencié en géologie à l’université publique de Ouagadougou. C’est un ancien responsable de l’association des étudiants du Burkina (ANEB). Les burkinabés l’appellent, désormais «IB», l’homme pressé.
C’est un souverainiste qui porte toujours le treillis militaire avec un béret rouge comme Sankara aimait le faire. Désigné président du Burkina Faso depuis le 6 octobre 2022 à la suite d’un coup d’Etat contre un autre militaire, il est un anti-impérialiste et anticolonialiste virulent comme Sankara. C’est aussi un africaniste qui plaide pour la libération de l’ensemble du continent tel que le souhaitait aussi le bouillant révolutionnaire burkinabé assassiné. Il ne ménage pas non plus la France comme Sankara. Il a d’ailleurs demandé que tous les accords signés avec la France soient réexaminées. Le monde entier a particulièrement découvert Traoré lors du dernier sommet Russie-Afrique qui a eu lieu le 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, en Russie. Dans son intervention musclée en présence de ses pairs africains, cet invité d’honneur du président Poutine a fustigé avec sévérité le néocolonialisme occidental qui serait principalement à la base de la pauvreté du continent africain en dépit de ses multiples richesses. Comme Sankara, il a demandé aux autres présidents africains de travailler dur pour l’autosuffisance alimentaire de leurs pays au lieu de toujours importer des produits agricoles de la Russie ou d’ailleurs.
A l’instar du père du Burkina Faso, il a conseillé les présidents africains de cesser de se ranger du coté des capitalistes occidentaux, tireurs de ficelles, et de se comporter comme de marionnettes à leur solde. Les Africains doivent se réveiller et se remettre au travail, a souligné l’homme fort du Burkina Faso.
Parlant de son propre pays, Traoré s’est offusqué des critiques des occidentaux qui qualifient des milices les comités de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) créés par son gouvernement pour lutter contre le terrorisme qui ravage son pays depuis près de huit ans. Ce sont des groupes constitues de supplétifs civils entraines pour soutenir l’armée dans la lutte contre le terrorisme. Le président Traoré considère d’ailleurs les attaques de groupes armés affiliés à Al-Qaida et à l’Etat islamique comme la manifestation la plus barbare, la plus violente de l’impérialisme. C’est même, dit-il, une forme d’esclavage que les occidentaux veulent imposer aux burkinabés. Les africains doivent donc se libérer de ce joug et croire à la victoire quels que soient les obstacles tendus par les impérialistes. Voilà pourquoi, Traoré termine souvent ses allocutions par ces mots, comme le faisait maitre Sankara, «à la patrie ou la mort, nous vaincrons ! »
Ce que je pense est que les idées de Ibrahim Traoré sont presque identiques à celles de son compatriote révolutionnaire assassiné Thomas Sankara. Traoré rend souvent hommage à ce dernier tué cinq mois avant qu’il ne naisse.
«Tuez Sankara et des milliers de Sankara naitront», aurait dit Thomas Sankara quelques mois avant sa mort. Traoré le considère d’ailleurs comme modèle. C’est le Che Guevara africain, aime-t-il rappeler.
Au-delà de l’idéologie sankariste, l’on retrouve en Traoré beaucoup de qualités de son idole et lointain prédécesseur militaire : une vision claire pour son pays, des objectifs précis, l’intégrité, le patriotisme, l’africanisme, l’amour du travail ardu, l’autodiscipline, la volonté d’acquérir l’indépendance politique, économique et culturelle de l’Afrique, le courage de dénoncer l’impérialisme, le capitalisme et le néocolonialisme, la prise de risque pour affronter ouvertement les occidentaux, l’attachement aux valeurs et à la jeunesse burkinabé et africaine, la persévérance dans le combat au profit du peuple, la recherche de résultats, et la volonté affichée de réussir. Bien plus, il est proche de la Russie comme l’était Thomas Sankara.
On peut dire que le sankarisme est effectivement de retour au Burkina Faso. Mais, il faut souhaiter que ça dure… Sankara n’a dirigé que pendant 4 ans et a été tué par ses propres frères, certes avec la bénédiction de ses ennemis occidentaux. Et le rêve burkinabé s’est estompé. Traoré doit se le rappeler : le jour que l’on décide de devenir leader pour faire changer les choses, c’est le jour où l’on crée ses adversaires et ennemis les plus virulents. Le leadership au sommet de l’Etat au profit du peuple est un exercice passionnant, mais difficile et à haut risque.
Le discours patriotique et anticolonialiste soulève beaucoup d’espoir au sein du peuple, mais expose le révolutionnaire a tous les dangers possibles, y compris à la mort. On ne peut pas lutter contre l’impérialisme et demander aux impérialistes de ne pas riposter! On ne peut pas dénoncer le capitalisme et demander aux capitalistes de ne pas vous combattre. On ne peut pas vouloir mettre fin au néocolonialisme et demander aux néocolonialistes de ne pas vous déstabiliser. Patrice Lumumba, l’africaniste et anticolonialiste en est mort.
Le colonel Kadhaû, l’africaniste et l’anti-impérialiste, en a payé le prix. Thomas Sankara, l’ultra anti-impérialiste, en a fait les frais il faut donc se préparer en conséquence.
Il faut mettre en œuvre un programme économique robuste, cohérent et pratique pour matérialiser le rêve de l’ensemble du peuple. Il faut des stratégies pour contrer les pièges et attaques de toute nature concoctés de l’intérieur et de l’extérieur. Car le développement dans son essence s’inscrit dans la durée et uniquement dans la durée. Autant on rêve et fait rêver le peuple, autant on doit travailler dur et se protéger pour que le rêve devienne une réalité. La meilleure façon de combattre l’impérialisme et le néocolonialisme est de devenir économiquement fort et indépendant. Ce qui permet de disposer de moyens de sa propre politique et défense.
Beaucoup des pays indépendants, jadis colonisés, ont su se soustraire de l’emprise de leurs maitres par leur capacité à s’auto-suffire économiquement et à s’auto-sécuriser. Et cela est possible. Les exemples sont légion en Afrique et à travers le monde
Au regard des innombrables et pressantes attentes des burkinabés, nous ne pouvons que souhaiter longue vie au président révolutionnaire Ibrahim Traoré. N’oublions pas, la révolution mange souvent les révolutionnaires.
Kindu, le 23 août 2023
Matata Ponyo Mapon