Ce que je pense est que le financement des élections constitue un casse-tête pour beaucoup de pays africains. C’est aussi le cas de la République Démocratique du Congo (RDC) qui, à chaque cycle électoral, se déclare ne pas disposer de suffisamment de moyens pour y faire face. Alors que j’étais ministre des Finances entre 2010 et 2012, donc au centre du financement des élections présidentielle et législatives de fin 2011, le Trésor public a déboursé près de 400 millions de dollars américains pour permette à l’Etat congolais de réussir le premier financement des élections sur base de ressources propres après la réunification du pays en 2003. C’était une prouesse exceptionnelle au regard de l’étroitesse de l’espace budgétaire du pays. Beaucoup des pays occidentaux n’y croyaient nullement. Cependant, la rigueur dont nous avions fait montre dans la gestion des finances publiques avait payé.
En 2018, le Trésor public a déboursé près de 600 millions de dollars américains pour venir à bout de ce même type d’élections. C’était la seconde expérience du financement des élections sur ressources propres. Elle était plus couteuse. On peut en déduire qu’en moyenne, il faut près de 500 millions de dollars américains pour sécuriser le financement du paquet des élections sur ressources propres. Ce coût exorbitant est lié principalement à la mauvaise gouvernance et au déficit d’infrastructures de transport et de communication dans le pays. Les multiples dénonciations de détournement des fonds faites au cours de dernières élections en sont la preuve.
Ce que je pense est que la RDC, à l’instar d’autres pays africains, est en mesure d’assurer le financement du cycle électoral sur base de ses ressources propres. Mais, pour y parvenir, il faudra bien planifier l’opération. Prenons l’hypothèse qu’il faut débourser un montant de 500 millions de dollars américains pour financer l’ensemble des élections qui devront se dérouler en décembre 2023. Il faudra que tous les paiements soient effectués six mois avant le jour du scrutin, soit au plus tard le 30 juin 2023. Ce qui permettra de disposer de bulletins de vote et de tous les matériels nécessaires au plus tard le 30 septembre 2023. Cela permettrait à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de disposer du temps nécessaire, soit près de trois mois, pour dispatcher dans le vaste territoire congolais l’ensemble du dispositif électoral.
Si le déboursement des fonds avait commencé au lendemain de dernières élections, c’est-à-dire dès janvier 2019, le déboursement mensuel aurait été uniquement de près de 10 millions de dollars américains. A ce jour, le compte dédié aux élections détiendrait un solde positif de près de 360 millions de dollars américains. Il ne resterait qu’un montant de 140 millions de dollars américains à mobiliser d’ici fin juin 2023. Ce qui serait soutenable pour le budget de l’Etat. Etant donné qu’il ne nous reste plus que dix-sept mois pour exécuter l’ensemble des opérations financières liées aux prochaines élections, l’Etat congolais est obligé de débourser mensuellement près de 30 millions de dollars américains à partir de février 2022 pour prétendre réaliser les 500 millions de dollars américains nécessaires à fin juin 2023. Ces fonds devraient être versés en principe dans un compte spécial de la Ceni pour permettre à cette dernière de s’acquitter convenablement de ses obligations envers l’ensemble de la communauté nationale en décembre 2023.
Ce que je pense est que la cherté du processus électoral en RDC nous replonge dans la problématique de l’opportunité des élections par rapport aux objectifs de développement économique dans les pays du Tiers- monde. C’est le fameux dilemme entre la démocratie et le développement. Un Chef d’Etat africain me posait une fois la question de savoir si les élections, vu leur coût exorbitant, ne constituaient pas un frein au développement des nations. La question vaut son pesant d’or lorsqu’il apparait qu’avec 500 millions de dollars américains, un pays en développement est en mesure de financer plusieurs projets et de faire avancer significativement son agenda du développement. A titre d’exemple, avec ce montant, selon qu’on le consacre entièrement à un seul projet, on peut bitumer 400 à 500 kilomètres de routes, financer deux parcs agro-industriels, acquérir cinq avions airbus 319 neufs, acheter plus de quatre mille bus neufs de transport en commun de marque Mercedes, construire plus de quatre mille écoles primaires et secondaires, bâtir plus de 30 universités, ériger plus de 30 hôpitaux modernes, construire plus de cinq barrages hydro-électriques à dimension moyenne ou plus de 50 centrales de production d’eau potable.
Ce que je pense est qu’autant il faut financer le développement économique, autant il faut financer les élections. Sans toutefois chercher à soutenir le financement des élections quel que soit son coût, il n’en est pas moins vrai qu’elles demeurent cruciales pour garantir un développement harmonieux et durable des pays. Car elles permettent de disposer de meilleurs dirigeants pour son pays tant au niveau national que provincial. Mais, il faut que ces élections reflètent effectivement le choix de la population, c’est-à-dire, qu’elles servent à proclamer des dirigeants réellement élus par la population. Parce que si les élections ne constituent qu’une pièce de théâtre tragicomique, comme on en a vu plus d’une fois, pour nommer des dirigeants nationaux et provinciaux, ou les députés nationaux et provinciaux, le développement économique risque de ne jamais être au rendez-vous. L’on donnerait alors raison aux pourfendeurs des élections alors que celles-ci n’ont jamais été de vraies.
À quoi ça servirait de dépenser 500 millions de dollars pour financer le sous-développement au travers d’un simulacre d’élections ?
Ce que je pense est qu’il faut que les opérateurs politiques congolais se réveillent pour se rappeler du sens exact des élections qui n’est autre que de permettre au peuple de se choisir de meilleurs acteurs du progrès économique à l’échelle tant nationale que régionale. C’est ce que les pays occidentaux et orientaux ont fait et continuent de faire pour faire avancer l’agenda de développement de leurs pays. Sinon, les élections n’ont aucun sens. Il faut que les opérateurs politiques se réveillent pour se rappeler que les institutions chargées d’organiser les élections – comme la Ceni en RDC – ne sont pas des machines à fabrication des dirigeants politiques ou des députés, mais plutôt des véhicules précieux de canalisation et d’expression de la volonté et du choix du peuple. Ce sont des personnes élues qui doivent être proclamées. Sinon, les élections ne valent rien.
Il faut que les opérateurs politiques se réveillent pour se rappeler qu’on ne peut pas dépenser un demi-milliard de dollars américains, voire plus comme en 2018, pour faire des élections dans un pays où il n’y a pas de routes, d’écoles et d’hôpitaux de qualité. C’est irrationnel. C’est inacceptable. Dans ce pays, on peut faire des élections avec 250 millions de dollars, voire moins, si les élections sont planifiées, budgétisées et si les ressources y affectées sont gérées de manière efficiente.
Ce que je pense est qu’il ne faut jamais compter sur l’aide extérieure pour organiser les élections dans son pays. D’abord, parce qu’elle ne viendra pas ; l’Occident a ses problèmes financiers actuellement, notamment à cause de la Covid-19. Ensuite, si elle arrive, ce ne sera que sous forme d’appui, notamment en termes d’observateurs indépendants ou d’aide de transport pour dispatcher le matériel électoral. Voilà pourquoi il faut rationaliser la gestion des fonds par la Ceni pour premièrement réduire l’enveloppe de financement des élections à plus ou moins 250 millions de dollars américains. Ensuite, investir dans la réhabilitation des infrastructures de transport et de communication pour réduire significativement le coût lié au déploiement des équipements et du personnel à travers le pays. Enfin, savoir stocker les équipements qui peuvent être réutilisés (machines à voter et autres matériels). Si cela n’est pas fait, ce sera un éternel recommencement.
Le problème de financement des élections se posera toujours à chaque cycle électoral et le glissement du mandat politique au pouvoir paraitra toujours la meilleure solution pour résoudre le problème. Et pourtant, le glissement est le meilleur moyen d’inviter la mauvaise gouvernance dans la gestion des affaires publiques au travers d’un gouvernement d’union nationale issu d’un dialogue national. Ce serait l’éternel recommencement sur le chemin du sous-développement.
Kinshasa, le 28 janvier 2022
Matata Ponyo Mapon
Sénateur