Changement de la Constitution : le ballon d’essai de Tshisekedi

Après avoir décidé d’écourter sa tournée européenne à la suite des bombardements des sites d’accueil des déplacés à la périphérie de Goma, dont celui de Mugunga, et qui se sont soldés par le bilan lourd de 14 tués et de nombreux blessés vendredi 3 mai, c’est finalement en fin de matinée de dimanche que le Président de la République a regagné Kinshasa. Après sa visite officielle en France, suivie d’un séjour en Belgique, il a dû écourter sa tournée et annuler une autre visite officielle en Hongrie, afin de venir suivre de près la situation découlant de la tragédie de Goma. Si la visite officielle de deux jours en France a revêtu des airs de déjà entendu et vu, entre le dîner officiel avec Emmanuel Macron à l’Elysée, une entrevue avec les chefs d’entreprises françaises ou à l’Ecole de Guerre, c’est en revanche au cours de ses échanges avec les Congolais de la «diaspora» que Félix Tshisekedi s’est lâché sur des matières préoccupantes au plus haut point pour la vie de la Nation. Le cumul des mandats électifs, la corruption devenue institutionnelle et le sort à réserver à la Constitution de 2006… Tshisekedi avait réponse à tout, et l’on ne peut pas affirmer que l’unanimité absolue était au rendez-vous. Révision ou changement de la Constitution, Félix Tshisekedi y pense – à haute voix d’ailleurs…

Parmi les temps forts de la double rencontre avec ses compatriotes à Paris d’abord le 1er mai, puis à Bruxelles le 3 mai, devant des assistances visiblement acquises à sa cause et préalablement motivées, Félix Tshisekedi a répondu à la demande (bruyante) de l’assistance relative au changement de la Constitution. Une loi fondamentale promulguée en 2006 que lui-même trouve obsolète et vouée, selon ses dires, aux intérêts du Rwanda par le manque de leadership de son prédécesseur Joseph Kabila.

Si dans la capitale française le chef de l’Etat s’est montré passablement mesuré sur cette réforme sensible, il a changé d’opinion deux jours plus tard à Bruxelles, jetant le trouble dans les esprits.

CURIEUSE VOLTE-FACE

Aux Congolais de la diaspora réunis dans la salle Apollo de l’Espace Charenton à Paris, devant l’insistance des militants de l’UDPS, il a lancé : «Ne faites pas de moi un dictateur s’il vous plaît.  Cela ne relève pas de mes compétences pour changer la Constitution. Il y a plusieurs méthodes, notamment la population congolaise à travers ses représentants à l’Assemblée nationale qui doit en décider; donc ca ne relève pas de moi».

Deux jours plus tard, il a affiché un revirement plein de surprises : «Je mettrai en place une commission qui réfléchira sur comment nous doter d’une Constitution digne de notre pays».

LA LIGNE ROUGE A NE PAS FRANCHIR

L’opposition, dont Ensemble de Moïse Katumbi, a déjà prévenu que la révision (ou le changement) de la Constitution est une ligne rouge à ne pas franchir. Et que le rôle de ses députés à l’Assemblée nationale consistera justement à bloquer toute démarche y relative.

Cependant, le combat de l’opposition semble perdu d’avance dans l’hémicycle, compte tenu du raz-de-marée électoral de l’UDPS et de ses alliés qui ont raflé pas moins de 470 sièges sur les 500 que compte la chambre basse. Un baroud d’honneur qui aura au moins le mérite de tenir éveillées les consciences qui croient encore à un semblant de démocratie.

De son côté, l’activiste et président de l’ASADHO, Me Jean-Claude Katende, estime dans un message sur les réseaux sociaux que «cette Constitution reste l’unique instrument qui met les Congolais ensemble», la priorité restant la sécurisation de l’est du pays.

«En Afrique», poursuit-il, «je n’ai pas encore vu un Président de la République qui a révisé ou changé la constitution de manière désintéressée et uniquement pour l’intérêt du pays. Je doute que l’initiative que le Président a annoncée soit dans l’intérêt du pays. Sa gouvernance ne me permet pas de croire le contraire».

Me Katende fait allusion aux dispositions constitutionnelles dites «verrouillées», dont l’article 220 qui interdit de modifier la durée des mandats présidentiels ou à la forme de l’Etat.

«Révisez toutes les autres dispositions de la Constitution, mais abstenez-vous de toucher aux dispositions verrouillées. Prenez vraiment en compte ce conseil qui est dur, surtout quand on a déjà touché aux délices du pouvoir, mais qui est juste et vrai », conclue-t-il.

KABUYA : «QUI VOUS A DIT QUE CECI EST LE DERNIER MANDAT ?»

Le renversement de la majorité parlementaire issue des élections générales de 2018 au profit de l’UDPS et de ses alliés, le parti de Félix Tshisekedi ne cache plus sa volonté de modifier ou de changer carrément la Constitution.

Son secrétaire général Augustin Kabuya demandait au cours d’une matinée politique aux militants de l’UDPS : «Qui vous a dit que ceci est le dernier mandat ? (du chef de l’Etat, NDLR)».

Lors de ses rencontres avec les diasporas congolaises de France et du Benelux, le président Tshisekedi n’a pas évoqué une modification, mais bien un changement de la Constitution. Auquel cas, les choses seraient remises à plat dont les mandats présidentiels. Tshisekedi aurait alors droit à deux mandats successifs, soit 10 ans pour deux quinquennats, ou 14 ans si l’on passe au régime de septennats.

La configuration actuelle des assemblées délibérantes acquises dans leur écrasante majorité, mais surtout avide de corruption ferait difficilement douter de l’aboutissement du dessein de l’UDPS, sauf réveil (tardif) des consciences des masses dont les premiers frémissements tardent à se manifester.

Econews