Cinq questions au Professeur Titus Edzoa : «La science doit se mettre au service des campagnes comme des villes» (*)

Ce vendredi 6 septembre 2024 à la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa, le professeur Titus Edzoa, professeur agrégé de médecine et chirurgien, présente son livre sur «Les urgences chirurgicales en milieu tropical». En séjour à Kinshasa, il a répondu aux questions d’Econews. Interview.

1. Professeur, vous publiez un livre inédit en Afrique sur «Les urgences chirurgicales en milieu tropical», c’est le premier livre complet qui présente les maladies auxquelles les Africains font généralement face et qui en appellent à des interventions urgentes de chirurgiens. Le métier de chirurgien est-il le plus difficile à exercer en Médecine en Afrique au regard de la variété de cas et d’interventions que vous devez faire chaque jour dans un environnement marqué sans cesse des coupures de courant électrique, des embouteillages, un mauvais état des routes, très peu d’ambulances et des salles d’opérations obsolètes voire inadaptées ?

Professeur. Non. Le métier de chirurgien ne me semble pas le plus difficile en tant que tel, car chaque métier est truffé d’écueils spécifiques. Toutefois, en plus de ces aléas généraux que vous avez cités, le chirurgien trouve sur son chemin des écueils plus spécifiques en Afrique, à savoir une ignorance généralisée des patients et de leurs familles en matière médico-sanitaire; une exaltation plutôt exubérante des tradipraticiens et autres privilégiant leurs pratiques cultuelles, ce qui retarde toujours hélas la prise en charge du patient; l’insuffisance drastique des tableaux techniques performants, au coût prohibitif quand ils existent; une clochardisation galopante du personnel médical et paramédical, déconnecté progressivement de la notion scientifique essentielle de leur profession; une absence aiguë de la couverture santé universelle.

En bref, des aléas aussi restrictifs qu’embarrants que le chirurgien doit intégrer dans sa démarche diagnostique, lui permettant de prendre, sans délai, une décision d’intervention urgente éventuelle…

2. Pourquoi avez-vous écrit ce livre quand on sait qu’il est rare de trouver des chirurgiens dans nos campagnes et que les meilleurs préfèrent travailler dans les grandes villes ?

Cet ouvrage est écrit pour tout chirurgien exerçant dans les villes comme dans les campagnes. Ce bagage intellectuel supplémentaire est une arme qui permettra aux uns et aux autres de résoudre de nombreux problèmes embarrassants dans la démarche diagnostique et la décision à prendre sans délai. La science doit se mettre au service des campagnes comme des villes. Il appartient au chirurgien de s’adapter sans équivoque. Et plus il sera compétent, plus l’exercice de son métier sera efficace et exaltant.

3. Dans votre livre,  vous parlez de morsures de serpents, de grossesses extra-utérines, d’appendicites aiguës, de fractures et de brûlures graves, comment un chirurgien africain peut-il opérer des patients dans l’environnement que nous venons de décrire sachant que le pronostic vital fait partie du cauchemar  du chirurgien ?

Il n’existe pas de chirurgien africain, mais de chirurgien tout court, exerçant en Afrique, en Asie, en Europe ou ailleurs. Cet ouvrage donne à chacun une nouvelle opportunité de pouvoir mieux s’adapter au contexte. Cette adaptation ne peut se faire que par une compétence construite avec abnégation pendant de longues années. En Afrique, l’urgence chirurgicale est toujours un drame, eu égard à un environnement particulièrement délétère en matière de santé publique et de développement. C’est un défi en même temps qu’un pari ardu…

4. Professeur, ce livre que certains chirurgiens considèrent déjà comme une œuvre exceptionnelle est à l’honneur pour sa sortie académique à l’université de Kinshasa, pourquoi avoir choisi la RDC  pour présenter cette petite encyclopédie de chirurgie ?

Dès la sortie de cet ouvrage, le Recteur et le Chef de département de chirurgie de l’Université de Kinshasa ont été les premiers exaltés qu’ils étaient, à solliciter la présentation de cet ouvrage dans leur Université, agrémentée d’échanges scientifiques. J’en ai été très honoré et mon accord a été aussi spontané que chaleureux. Il y a d’autres sorties prévues en stand-by,  en Afrique comme en Europe. La science n’a pas de frontière…

5. Qu’espérez-vous pour le métier de chirurgien en Afrique après la publication de ce livre ?

Je n’espère rien de particulier pour le métier de chirurgien; il a toujours été le même dans son essence et le demeurera. Mon seul souhait est qu’en Afrique l’on privilégie la santé publique et se rappeler que la santé n’a pas de prix ….Le chirurgien, où qu’il se trouve, a le devoir de redonner au patient la joie du sourire et le bonheur de revivre dans un corps sain comme dans un esprit sain…

(*) Camerounais, Professeur agrégé en médecine et chirurgien.

Propos recueillis par F. M.