Un revirement jurisprudentiel : est une décision rendue par une juridiction qui, pour une situation juridique donnée, se prononce en faveur d’une solution opposée à celle qui était appliquée précédemment.
Il faut bien comprendre qu’un arrêt n’est généralement pas isolé. Il s’inscrit dans un courant jurisprudentiel. Il est vraisemblablement précédé ou suivi d’autres arrêts rendus sur la même question.
Les décisions judiciaires ont pour but de départager les parties dans un conflit né suite à plusieurs raisons sociales et de rétablir l’ordre social trouble par ledit conflit, et elles jouent un rôle régulateur dans la société en y apportant la paix entre ses composants.
Parmi les décisions rendues, il y a celles qui reviennent très souvent dans d’autres procès pour appuyer une position ou un argument de droit que pose une partie qui veut obtenir gain de cause comme ce fut le cas du bénéficiaire de ladite décision brandi, et deviennent ce qu’on appelle «jurisprudence».
En d’autres termes, la jurisprudence désigne l’ensemble des décisions rendues par les juridictions nationales (sens large) ou la solution habituellement donnée par les tribunaux à une question de droit (sens étroit); c’est dans ce dernier sens qu’on dit qu’une décision «fait jurisprudence ».
La question de la jurisprudence divise deux courants selon qu’ils la considèrent comme une source du droit, à l’instar de la RDC qui la classe hiérarchiquement juste après la loi, et ceux qui ne la considèrent pas comme une source de droit, car devant ces Etats, elle est considérée comme une source «contestée» ou «officieuse» du droit. Le juge n’est que «la bouche qui prononce les paroles de la loi», à l’instar de la France qui dispose de plusieurs textes de valeurs constitutionnelles et législatives qui interdisent aux juges de «créer» des règles de droit.
Comme nous l’avons mentionné ci-haut, la jurisprudence est une source formelle du droit positif congolais et fait partie intégrante de notre arsenal juridique.
Tant qu’une décision jurisprudentielle est en conformité avec la réalité sociale elle ne pose pas de problème dans son application et elle suivra son cours normal sans obstacles.
Cependant, lorsqu’une décision jurisprudentielle ne correspond plus à une réalité sociale, elle commence à poser problème et son application aux nouveaux cas fait naître des incohérences et c’est là, que vous assisterez à l’émergence d’une position soit contraire à celle qui était autrement jurisprudentielle ou une autre qui est évolutive laissant tomber celle qui était jusque-là évoquée. C’est ce qu’on appelle un «revirement jurisprudentiel ».
En effet, ce revirement est en quelque sorte une autre jurisprudence qui vient répondre à la question de droit à laquelle la position renversée ne répondait plus. Il convient de signaler que cette nouvelle jurisprudence, contrairement à la première, prend du temps pour être adoptée dans la mesure où elle est à ses débuts considérée comme ne respectant pas les normes de droit, elle est au départ une décision isolée qui doit se frayer le chemin devant une autre qui existe déjà et qui a une histoire.
Le revirement de jurisprudence peut se définir comme «l’abandon par les Cours et Tribunaux eux-mêmes d’une solution qu’ils avaient jusqu’alors admise; adoption d’une solution contraire à celle qu’ils consacraient; renversement de tendance dans la manière de juger ».
Et l’ancienne jurisprudence qui a subi les effets du revirement jurisprudentiel pourra même être jugée contralegem et ne pourra plus être suivie si elle est évoquée par une partie au procès–CA.kin/Gom., 14 mars 1996, R.T.A 3286, R.K. 1996, P.105.
Une autre question qui se pose est l’étendue de l’application des décisions du revirement jurisprudentiel ?
En effet, abordant la question du revirement jurisprudentiel, il faut relever qu’une décision rendue, dessaissant une juridiction est revêtue de l’autorité de la chose jugée.
«Principe de l’autorité de la chose jugée » : ce principe voudrait que le juge ne soit pas tenu par les décisions qu’il a rendues antérieurement.
L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
C’est ici l’occasion de dégager la grande différence avec le Droit Anglais (Common Law) en ce que les arrêts des juridictions du droit qui constituent des règles prétoriennes obligatoires pour toutes les juridictions inferieures «précédents» ou «staredécisis »).
En effet, le revirement jurisprudentiel régit les situations antérieures à l’énonce de la nouvelle norme. Elle opère rétroactivement pour les cas dont les décisions ne sont pas devenues irrévocables, c’est ça le principe.
Cependant, même pour ces cas des décisions qui ne sont pas devenues irrévocables, les hautes juridictions s’aut0risent a écarter l’application immédiate de leurs revirements lorsque la nouvelle interprétation aboutirait à supprimer le droit au recours du justiciable ou à méconnaître gravement la sécurité des relations juridiques, les chambres criminelles d’ailleurs semblent soumettre ces revirements, à la règle de nonrétroactivité de la loi pénale plus sévère, excluant l’application d’une jurisprudence nouvelle à des faits antérieurs au changement, dès lors que la solution est défavorable au justiciable.
Enfin lorsque une décision est devenue irrévocable, c’est-à-dire qui a acquis la force de la chose jugée, une nouvelle demande en justice pour les mêmes faits se heurterait a un obstacle légal de «fin de non recevoir » en ce sens que cette autorité de la chose jugée est absolue ou ergaomnes s’appliquant à tous, c’est-à-dire non seulement aux partiesau procès, mais aussi à l’ensemble des tiers.
Somme toute, le revirement jurisprudentiel dans son application est buté à deuxobstacles qui sont celui de la chose jugéequi est absolue et de la non-rétroactivité qui est relative.
Quel est l’impact de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle sous R.const 1816 dans l’affaire Matata ?
La Cour Constitutionnelle composée de neuf juges, avait rendu sous RP 0001, un arrêt se déclarant incompétente pour juger l’ancien premier ministre Matata, au motif prit du fait qu’au sens de l’article 164 de la Constitution, elle ne peut juger qu’un Président de la République et un Premier ministre en fonction. L’Interprétation faitepar la Cour Constitutionnelle dans le cas d’espèce avait son fondement car étant en matière pénale, l’interprétation analogique n’est pas autorisée.
Un fait extrêmement grave est à évoquer dans l’arrêt R.Const 1816; il faut dire que cette Cour qui vient d’interpréter l’article 164 de la Constitution dans les conditions de violation flagrante de la procédure (article 161 de la Constitution) car elle ne se saisit pas d’office dans une procédure d’interprétation et ayant déclaré la requête de la Cour de Cassation irrecevable, une juridiction impartiale ne pouvait plus évoquer un seul élément au risque de statuer «ultra petita».
Ce sont les mêmes juges qui avaient connu la cause sous RP 0001 déclarant la Cour constitutionnelle incompétente, (qu’est-ce qui a changé ? la pression populaire ?).
Dans les règles ordinaires, un juge qui a déjà opiné dans un dossier qui oppose les parties, n’est pas autorisé à revenir encore pour donner un autre avis, d’où les règles «de déport du juge ou raison de la récusation».
Le récent arrêt sous R.Const 1816, doit-il rétroagir pour reprendre le dossier Matata ?
Il y a lieu de rappeler ici que dés lors qu’une juridiction a vidé sa saisine sur une question lui posée, elle se dessaisi automatiquement, car sa décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée dès son prononcé.
Les arrêts de la Cour Constitutionnelle étant irrévocables, et opposables à tous (article 168 de la Constitution «…….»), nous sommes tentés de soutenir sans crainte d’être contredit que, nous sommes en face de deux arrêts, tous irrévocables et opposables à tous.
L’arrêt RP 0001 n’a jamais été annulé jusqu’à preuve du contraire, il sera donc mal venu de reprendre le même dossier pour juger Matata.
La seule possibilité de juger Matata aujourd’hui, serait de monter un autre dossier et le PG devra saisir le congrès pour obtenir l’autorisation des poursuites avant de poser un quelconque acte, car on ne sait pas appliquer à un prévenu une disposition constitutionnelle en partie au fallacieux motif qu’il n’est plus en fonction.
Le dossier Bukanga-Lonzo a eu l’avantage de montrer à la face du monde que la justice en RDC n’est pas indépendante.
Il est inconcevable que ces va et vient se fassent devant les plus hautes juridictions du pays.
A ce niveau des responsabilités, les hauts magistrats peinent à prendre une décision courageuse pour dire le droit dans l’intérêt du peuple congolais, le dossier Bukanga-Lonzo a commencé ses entraînements au Parquet Général près la Cour constitutionnelle où le Procureur general près cette Cour a déposé dans l’espace de trois mois trois requêtes. La première saisissant le congrès en date du 3 mai 22020, la seconde saisissant le Sénat (rejetée) et enfin, profitant des vacances parlementaires, la requête sera réintroduite et c’est le bureau du Sénat qui va à son tour autoriser les poursuites mais pour un autre dossier (zaïrianisation).
Ce scénario ne va pas se limiter au Parquet Général, la Cour constitutionnelle va se déclarer incompétente, le procureur général près cette Cour reprend de force le dossier et le transmet au Parquet Général près la Cour de cassation, ce dernier, dans une lettre qui a fuité, donne son avis sur son incompétence d’instruire un dossier sur lequel, existe un arrêt opposable à tous, mais fixe quand même le dossier pour s’en débarrasser à la Cour de cassation.
La Cour de cassation ne voulant pas porter la responsabilité devant l’histoire va chercher par toutes les voies pour s’en sortir, il va prendre un arrêt avant dire droit saisissant la Cour Constitutionnelle pour prétendue inconstitutionnalité de l’article 164 de la Constitution.
La Cour constitutionnelle entre en jeu et prend les choses en charge et rend son arrêt inique tout en déclarant la requête de la Cour de cassation irrecevable, mais au lieu de se limiter là, la Cour constitutionnelle évoque la théorie de «dialogue des juges ».
«Dialogue de juges qu’est-ce ? »
C’est une théorie selon laquelle différentes juridictions, de façon la plus informelle, dialoguent pour élaborer des jurisprudences tenant compte les unes des autres, (en RDC, on parle des plénières).
Cette expression est de Bruno Genevois. Objectif : le dialogue des juges a pour vocation de permettre la formation de jurisprudences communes ou, tout du moins, compatibles les unes avec lesautres, entre différentes juridictions qu’elles appartiennent à un même ordreou non.
Disons que le dossier Matata fait travailler les juges congolais et exige la relecture de nos différentes lois par le Parlement.
Pour terminer notre propos, il y a lieu de noter qu’il est interdit à un juge d’opiner deux fois sur la même affaire qui oppose les mêmes parties dans un même litige; le revirement jurisprudentiel ne rétroagit pas contre des décisions de justice devenues irrévocables; qu’aux termes de l’article 168 de la Constitution, les arrêts de la Cour constitutionnelle sont dépourvus de voies de recours et donc irrévocables; l’arrêt R.Const 1816 ne peut pas concerner le dossier Bukanga-Lonzo; la Cour de cassation sera signifiée de l’arrêt R.Const 1816 rendu par la Cour constitutionnelle et va se déclarer incompétente.
Si nous sommes un Etat de droit, un Etat sérieux, ce dossier sera clôturé à la Cour de cassation avec son arrêt d’incompétence.
Me Constant Kaiko Mutamba
Docteur en Droit
(Texas/USA)