Interview-choc de mon patron son Excellence le ministre des «Questions Statistiques et Tactiques». Interview sous forme de bilan. Interview dans un journal qui a pignon sur rue à Kinshasa. J’ai, pour ainsi dire, ramassé le journal sur la banquette-arrière de la voiture où il avait été négligemment abandonné. Voici en entier la fameuse interview :
Journaliste : Bonjour, Excellence, quelle est votre température en cette fin d’année ?
Excellence : Température constante et stable : 36°. Le secret ? La philosophie chinoise : « Se vaincre soi-même est plus valeureux que vaincre dix escadrons surarmés ».
Journaliste : l’année 2021 a été quelque peu tumultueuse, avec des remous sociopolitiques, avec les assauts meurtriers de la Covid. Quel est votre bilan à vous ?
S.E. : La vie n’est pas un fleuve tranquille. C’est un cours d’eau ambitieux, impétueux, porté vers le grand large, surmontant et balayant les écueils et les typhons ; mais c’est un courant qui porte en soi ses propres revers, ses propres tourments, son propre danger inscrits naturellement dans sa propre course folle.
Journaliste : Hmm ! On a l’impression qu’il y a de nouveau des bruits de botte dans l’Est du pays, avec en plus des rumeurs sur de nouveaux envahisseurs. Qu’en dites-vous ?
S.E. : Fake news ! RDC : Eloko makasi, inzulukable, autrement dit inoxydable, insécable, indivisible, inbalkanisable, impérissable. L’autre jour pourtant j’ai entendu ces paroles turbulentes et troublantes d’un artiste musicien de renom : «Nakati na ngai eteni y’ebale, po mokolo ekonginda na mokili, nayeba epayi nakobatama» («J’ai taillé, à partir du fleuve, ma part de nappe d’eau ; parce qu’en cas de turbulences sur la terre ferme, je sais où m’abriter »). Pas d’accord avec l’artiste !
Journaliste : En cette fin d’année, difficile pour les travailleurs de nouer les deux bouts du mois. Par exemple les travailleurs peuvent-ils espérer un 13e mois, comme au beau vieux temps de nos pères ?
S.E. : Papa Wemba a chanté : «Mvula epanzaka matanga, kasi zando te. Zando libumu na biso» (« La pluie disperse le deuil mais pas le marché. Le marché est notre ventre commun »). Ventre affamé, n’est-ce pas, n’a point d’oreilles, mais nous veillons. Quant au chiffre 13, il est tabou dans ma tradition…
Journaliste : bonne nouvelle pour le Congo-Kinshasa et le Congo-Brazza : l’inscription de la rumba dans la liste du patrimoine de l’Humanité. Votre sentiment ?
S.E. : Ah ! Rumba ! Ah ! Rumba ! Rythme de la rumba comme cadence du fleuve, avec ses ondulations dandinantes et trémoussantes, avec ses ressacs au calme trompeur, avec ses … soukouss impétueux, avec ses élans vertigineux et orgasmiques dans la béance de l’océan. Dieu m’a beaucoup donné, mais m’a privé d’un don précieux, celui de danseur de la rumba ! Je m’inscrirai à l’Institut National des Arts ; en auditeur et praticien libre…
Journaliste : êtes-vous un homme heureux ? Etes-vous un homme politique heureux ?
S.E. : Hmm. «Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie ». Hmm. «Un homme politique rêve de la prochaine élection, un homme d’Etat rêve de la prochaine génération. Je suis un homme d’Etat.»
Fin de l’interview.
Professeur Yoka Lye Mudaba
Ecrivain et DG de l’INA