Les initiatives diplomatiques se multiplient autour de la crise sécuritaire à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Un retrait du M23 de ses positions est maintenant sur la table pour entamer le retour des négociations à Nairobi et Luanda. Mais beaucoup redoutent que la force régionale est-africaine qui se déploie ne soit qu’une simple «force tampon ».
Il y a, tout juste dix ans, les rebelles du M23 entraient dans la ville de Goma. Un choc pour tous les Congolais. 10 ans plus tard, la rébellion a repris les armes, après avoir été défaite en 2013, et se retrouve de nouveau aux portes de la capitale provinciale du Nord-Kivu. Les dernières semaines d’affrontements ont permis au M23 de prendre les localités de Rutshuru, Kiwanja, et surtout Kibumba, une zone qui se trouve à seulement une vingtaine de kilomètres de Goma. Une contre-offensive de l’armée congolaise a réussi pour l’instant à stopper l’avancée rebelle, mais les dernières informations en provenance du front font état d’une nouvelle percée du M23 vers l’Ouest, à Tongo, Mulimbi, en direction de Kitchanga et Kilolirwe.
Des forces kényanes pour éviter la prise de Goma
La prise de Goma semble aujourd’hui un objectif difficile à atteindre pour le groupe armé soutenu par le Rwanda, militairement, mais surtout politiquement et diplomatiquement. Militairement, la mise en place de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), avec l’arrivée des 200 premiers soldats kényans à Goma, a sans doute refroidi les velléités offensives des rebelles sur la ville.
Au total, ce sont 900 hommes qui seront déployés par Nairobi dans la zone. Une force qui devrait éviter une nouvelle prise de Goma par le M23, qui a donc décidé d’étendre son emprise à l’Ouest en se dirigeant vers le Masisi. Mais la rébellion doit aussi faire face à une importante agitation diplomatique tout azimut.
Retour des négociations à Nairobi et Luanda
Cette semaine doivent s’ouvrir deux espaces de dialogue pour tenter de ramener la paix à l’Est du Congo. Il y a tout d’abord la reprise des discussions de Nairobi entre le gouvernement congolais et les groupes armés, puis il y a l’initiative du président angolais qui a décidé d’inviter les présidents Tshisekedi et Kagame à Luanda pour tenter de trouver une porte de sortie au conflit. A Nairobi, les autorités congolaises ont posé leurs conditions pour accepter le retour du M23 autour de la table du dialogue, et notamment de se retirer des localités occupées. Jusque-là, les rebelles étaient restés sourds aux préalables du gouvernement congolais et ont allègrement continué de conquérir de nouveaux territoires.
Mais ce week-end, l’ancien président kenyan, Uhuru Kenyatta, facilitateur pour la paix à l’Est du Congo, a exercé une ultime pression sur le président Kagame pour lui demander d’exhorter le M23 « à cesser le combat et à se retirer des territoires sous son contrôle ». Une requête acceptée par le président rwandais. Reste maintenant à savoir si elle matérialisera sur le front.
Kigali et Kampala sous pression onusienne
Car le temps est compté avant l’ouverture des deux initiatives de dialogue de Nairobi et Luanda. Pour Kinshasa et le M23, il s’agit d’arriver en position de force autour de la table des négociations. L’armée congolaise n’a pas réussi à reprendre la main sur le terrain militaire. Félix Tshisekedi doit une nouvelle fois compter sur la diplomatie régionale et ses voisins pour tenter de faire reculer les rebelles. Les cartes se trouvent désormais entre les mains de Paul Kagame et du M23, dont les liens ont été reconnus par les Nations Unies.
Ce week-end, une délégation du Conseil de sécurité de l’ONU, dirigée par Michel Xavier Biang, a rencontré le président ougandais Yoweri Museveni à Kampala. Selon des sources diplomatiques, la délégation a déposé « des preuves solides » du soutien rwandais au M23, mais aussi de l’aide d’un commandant ougandais à cette même rébellion. L’étau se resserre donc autour de Kigali et Kampala, sommés désormais de peser de tout leur poids pour faire reculer le M23 pour entamer l’inévitable round de négociation.
Risque de statuquo militaire
L’arrivée des troupes kényanes autour de Goma et la pression diplomatique maximale qui pèse maintenant sur le M23, le Rwanda et l’Ouganda, pourrait signer un tournant décisif dans le conflit. Le M23 pourrait en effet effectuer quelques replis stratégiques et laisser s’installer les forces régionales d’Afrique de l’Est. Ce scénario, c’est celui avancé par Emmanuel Macron, en marge du Sommet de la Francophonie de Djerba.
Le président français plaide pour un soutien des processus de Nairobi et de Luanda avec un retrait progressif du M23 et le déploiement des forces est-africaines. La question est maintenant de savoir si ce scénario ne risque pas de figer une situation militaire où il n’y aurait que des perdants : le M23 en acceptant de reculer et le gouvernement congolais en ne récupérant pas l’intégralité de son territoire, qui serait occupé par les forces d’Afrique de l’Est.
Vers une zone tampon ?
Ce statu quo inquiète à Kinshasa. C’est le cas du député congolais Juvénal Munubo qui redoute qu’«un retrait du M23 sans un plan de retrait, de désengagement total et de récupération par le gouvernement, laisse un flou ».
L’élu de Walikale, qui est aussi membre de la commission de défense à l’Assemblée nationale, souhaiterait avant tout «éviter la création d’une zone tampon». Selon lui, « la force régionale devrait être une force offensive d’imposition de la paix et non d’interposition ». Et pour l’instant, peu d’experts militaires imaginent, en effet, l’armée kényane aller affronter le M23 sur la ligne de front. Au Nord-Kivu, on redoute que la force régionale d’Afrique de l’Est ne se retrouve dans la même situation que celle des casques bleus de la Monusco, qui ont échoué pendant de longues années à ramener la paix au Congo.
Avec Afrikarabia