Conflit intercommunautaire Yaka-Teke : les «mains noires » sont partout !

Par définition, «la main noire » désigne une force obscure ; une force occulte qui manipule dans l’ombre les protagonistes d’un conflit ou les membres infiltrés dans une organisation politique ou sociale dans un dessein de déstabilisation. La «main noire» blottie dans l’ombre manipule ses cinquièmes colonnes qui lui préparent le terrain en prévision de son entrée en action par des assauts-éclairs souvent victorieux.
Contrairement au «serpent de mer» dont tout le monde parle à défaut de l’avoir jamais vu, la « main noire » finit par se dévoiler un jour au cours des négociations où elle se présente en position de force. En RD Congo cependant, la notion de «main noire » est galvaudée. Devenue une doxa désarticulée, elle s’exprime à temps et à contretemps, masquant la plupart du temps l’impuissance des institutions à éradiquer les foyers de tensions.
L’entretien accordé le mercredi 21 septembre par le chef de l’Etat à deux médias francais (RFI et France 24) fera date. Non seulement à cause du ton ferme resté dans la ligne droite de son adresse la veille devant l’Assemblée générale de l’Onu, mais aussi de sa déclaration selon laquelle il y avait derrière le conflit intercommunautaire qui oppose Yaka et Téké dans le territoire de Kwamouth (Mai-Ndombe) une «main noire» qui s’emploierait à saboter la tenue des élections prévues en décembre 2023.
Depuis, «la main noire » est déclinée dans toutes les langues. Exit le «nouveau narratif » mis à la mode par le ministre de la Communication et Médias qui faisait hier encore les choux gras des rédacteurs des médias de la capitale et des invités cacophoniques des plateaux des télévisions. Désormais, pas de débat ni d’«analyse» qui ne se réfère à la «main noire».
Si dans l’occupation de Bunagana depuis trois mois, la mainmise du président rwandais Paul Kagame est affirmée, il n’en est pas de même des tueries parties de Kwamouth et qui tendent à se métastaser dans les provinces voisines du Kwango et du Kwilu. Le mode opératoire des antagonistes (les assaillants), leur cruauté qui se traduit par des décapitations et des démembrements de chefs coutumiers et de leurs sujets sans distinction d’âge ni de sexe fait dire aux inconditionnels de la « main noire » que la nouveauté dans la cruauté est d’importation récente.
Comme pour confirmer l’implication d’une force étrangère, des personnes ne parlant pas l’une ou l’autre des langues locales appréhendées par les forces de l’ordre sont exhibées à la télévision. Et alors resurgit la polémique née de l’arrivée dans le Kwango en 2018 d’éleveurs parlant le kinyarwanda avec leurs troupeaux de gros bétail.
Ces éleveurs dont on avait dit qu’ils étaient venus des hauts plateaux du Sud-Kivu se seraient évanouis dans la nature. Ou à tout le moins, il ne resterait plus grand-chose de leurs troupeaux. Très vite, la conclusion est tirée : «la main noire », c’est eux. Ou, pour être plus précis, ils ne seraient que les agents d’unités avancées dépêchées par la «main noire » en chef. Son nom n’est pas cité, mais les allusions et circonlocutions subtiles ne laissent pas l’ombre d’un doute.

La politique pas épargnée non plus
L’annonce à la mi-juillet de la création de l’Alliance pour le Changement de Jean-Marc-Kabund-a-Kabund, ancien président intérimaire de l’UDPS et premier vice-président honoraire de l’Assemblée nationale, a suscité une levée de boucliers sans précédent.
De son côté, le leader du Mouvement lumumbiste progressiste (MLP), Franck Diongo, resté dans la même veine des accusations d’incompétence, du climat de terreur, ou de l’échec de la gratuité de l’enseignement de base, est aussi dans la ligne de mire des partisans de Félix Tshisekedi. Son brusque revirement a conduit quelques cadres du MLP à l’exclure pour « manque de reconnaissance » envers le chef de l’Etat.
Dans l’un et l’autre cas – parmi d’autres – les laudateurs et les légions de «communicateurs » auto-proclamés de l’Union sacrée sont montés au créneau, dénoncant «les mains noires », ces mentors cachés dans l’ombre qui inspirent des crimes de lèse-majesté.
Dès lors, la « main noire » est cette force maléfique capable de manipuler des esprits que l’on croit – souvent à tort – dépourvus du moindre libre-arbitre. Mais en politique, la « main noire » a ceci de particulier qu’il n’est pas nécessaire – il est même risqué – d’en citer le propriétaire : le temps et les alliances naturelles ou contre-nature faisant le reste.

M.M.F.