Le conflit dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), souvent réduit aux exactions du M23, masque en réalité une lutte régionale et internationale pour le contrôle des routes commerciales et des corridors stratégiques. Derrière cette instabilité se cache une guerre secrète où s’opposent plusieurs pays de la région et des puissances internationales, avec en jeu le transit des minerais stratégiques congolais et l’accès aux marchés de l’Afrique centrale.
1. Une lutte pour le contrôle des infrastructures de transport
L’analyse des projets d’infrastructures en RDC met en lumière l’enjeu majeur du contrôle des routes, des chemins de fer et des ports qui structurent le commerce régional. Plusieurs axes de tensions se dégagent :
1.1. Les routes congolaises au cœur des rivalités régionales
L’accord entre Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni pour la construction de 1.200 km de routes en RDC a profondément irrité le Rwanda. Ces routes, reliant l’Ouganda aux villes stratégiques de Goma, Bunia et Beni, visent à faciliter le commerce et les échanges entre les deux pays. Cependant, Kigali perçoit ce développement comme une menace à son influence économique et politique sur la région.
Hypothèse : Le Rwanda, marginalisé par ce projet, aurait réactivé le M23 pour perturber les travaux et maintenir son influence.
1.2. L’Ouganda face à la rivalité entre le Kenya et la Tanzanie
L’Ouganda, qui dépend traditionnellement du port de Mombasa au Kenya pour ses importations et exportations, cherche désormais à diversifier ses routes d’approvisionnement en privilégiant la Tanzanie.
D’abord en choisissant l’oléoduc EACOP (East African Crude Oil Pipeline) via la Tanzanie plutôt que le Kenya. Ensuite, en négociant l’importation de carburant via le port tanzanien de Tanga plutôt que Mombasa.
Conséquence : Cette stratégie fragilise le Kenya, qui voit une partie de son monopole logistique menacée, et exacerbe les tensions économiques régionales.
2. Le corridor ferroviaire Tanzanie-Burundi-RDC : un coup dur pour le Rwanda
Un autre projet structurant, financé par la Banque africaine de développement (BAD), est le «corridor ferroviaire Tanzanie-Burundi-RDC », excluant complètement le Rwanda.
Ce projet vise à relier la Tanzanie à la RDC et au Burundi grâce à un réseau ferroviaire moderne.
Il contourne Kigali, ce qui accentue l’isolement économique du Rwanda et motive son soutien aux mouvements rebelles pour déstabiliser l’Est de la RDC.
=ØIÜ Conséquence : L’isolement du Rwanda dans ce projet pourrait expliquer son engagement militaire et logistique auprès du M23, afin de peser sur la situation régionale et négocier un accès aux infrastructures.
3. La ligne ferroviaire Tazara : un enjeu de rivalité sino-occidentale
En parallèle des conflits intra-africains, la bataille pour les infrastructures en RDC attire également les grandes puissances mondiales.
La Chine prévoit d’investir un (1) milliard de dollars US pour réhabiliter le chemin de fer Tazara (Tanzanie-Zambie), un axe clé pour l’exportation du cuivre congolais et zambien.
Ce projet s’inscrit dans l’initiative chinoise «la Ceinture et la Route», en concurrence directe avec les corridors soutenus par les États-Unis et l’Union Européenne via l’Angola.
– Enjeu : La Chine cherche à verrouiller le transit des minerais stratégiques d’Afrique centrale vers ses ports, tandis que l’Occident essaie d’établir des alternatives via l’Angola et d’autres partenaires.
4. Une guerre commerciale qui alimente le chaos sécuritaire
La situation sécuritaire en RDC ne peut être dissociée de ces enjeux économiques et géopolitiques. Le M23 et d’autres groupes rebelles ne sont pas uniquement des factions armées irrégulières : ils servent souvent d’instruments à des États qui cherchent à influencer la gestion des ressources naturelles et des infrastructures stratégiques.
Les motivations cachées derrière les conflits sont, entre autres :
– Le Rwanda veut maintenir un accès direct aux ressources minières congolaises et ne pas être exclu des nouveaux corridors de transport.
– L’Ouganda tente d’assurer son propre accès au commerce congolais sans passer par le Rwanda.
Le Kenya lutte pour conserver sa position dominante dans le transit régional, alors que l’Ouganda s’oriente vers la Tanzanie.
– La Tanzanie cherche à consolider ses corridors d’évacuation des minerais et à capter une part plus importante du commerce régional.
– La Chine et l’Occident se disputent le contrôle des routes stratégiques du cuivre et d’autres minerais essentiels à l’industrie technologique et militaire.
Conclusion : Une guerre de l’ombre pour le contrôle des ressources et des routes commerciales
La guerre dans l’Est de la RDC dépasse largement les affrontements militaires visibles. Elle est le reflet d’une lutte économique intense où chaque pays cherche à protéger ses intérêts stratégiques.
Les conflits armés ne sont que la face visible d’une guerre économique et commerciale. Les corridors de transport et les infrastructures sont devenus des armes de domination régionale. Les puissances étrangères, notamment la Chine et les États-Unis, instrumentalisent cette situation pour sécuriser leur accès aux minerais stratégiques.
Si la RDC veut réellement mettre fin à l’instabilité dans l’Est, elle devra non seulement renforcer sa souveraineté militaire, mais aussi reprendre le contrôle de ses routes d’exportation pour ne pas être une simple zone de transit dans une guerre économique qui se joue à son détriment.
CP