Dans le Parc national des Virunga (province du Nord-Kivu), classé patrimoine mondial de l’Unesco, la conservation de la nature a cédé la place à la production de Bitcoin, autrement dit la cryptomonnaie. Tout se fait avec la bénédiction de l’Union européenne (UE), financier du projet. Curieusement, la Société civile, trop regardante dans la protection de la nature lorsqu’il s’agit des autres, reste silencieuse. Personne n’en parle. Et personne non plus n’ose lever sa voix pour dénoncer ce que fait l’UE de l’énergie électrique qu’elle produit dans le parc, via Virunga Energies. A Kinshasa, le Gouvernement est tout aussi aphone sur ce qui est entrepris dans le Parc Virunga où l’UE fait ce qu’elle veut, dans l’opacité la plus totale – comme dans un pays conquis. Tour d’horizon.
Que fait l’Union européenne de l’énergie électrique produite dans le Parc national des Virunga ? Vous serez tenté de croire que cette électricité sert à accompagner les activités de conservation de la biodiversité du Parc ou encore à subvenir aux besoins en énergie de la population. Détrompez-vous ! Car, ce n’est pas le cas.
De toute l’énergie produite dans le Parc des Virunga, dans le cadre du programme Virunga Energies, juste une infime partie est injectée dans le réseau domestique. Le reste – en toute la plus grande partie – sert à autre chose, c’est-à-dire la production de Bitcoin, la cryptomonnaie.
Voilà ce que l’UE fait exactement de l’énergie qu’elle produit dans le Parc, loin des actions touchant à la conservation de la nature, selon le cahier des charges convenu avec l’Etat congolais.
C’est une première dans l’histoire de la RDC ! Le Parc national de Virunga, dans l’espoir menacé de sauvegarder la biodiversité dont il est garant depuis presque cent ans, s’est donc muni de sa propre ferme de minage de Bitcoin. Une initiative qui jette dans l’incompréhension bon nombre de personnes. Car, à première vue, quel rapport entre la cryptomonnaie et la protection de l’environnement ?
Cryptomonnaie, une industrie polluante
A priori, minage de crypto actifs et développement durable ne font pas bon ménage. Le minage de cryptomonnaie étant une pratique extrêmement énergivore, on voit mal comment cette industrie pourrait être, sinon bénéfique, du moins cohérente, avec les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) définis par l’Organisation des Nations Unies, du reste ratifiés par la RDC.
A ce sujet, les chercheurs M. J. Krause et T. Tolaymat, ont estimé que, sur la période qui s’étend de janvier 2016 à juin 2018, le seul minage des jetons BTC, ETH, Litecoin et Monero est responsable de l’émission de 3 à 15 millions de tonnes de gaz à effet de serre ; pour vous donner un ordre d’idée, dites-vous qu’un pays tel que l’Afghanistan émet 7.44 millions de tonne de CO2 par année.
Alors comment concilier une industrie si avide d’énergie aux objectifs de développement durable dans le cas spécifique du Parc national des Virunga ?
A Kinshasa, aucun officiel ne se hasarde sur ce terrain. De passage dernièrement dans le Parc de Virunga, le ministre national du Tourisme, Modero Nsimba, a tenté de comprendre ce qui se trame derrière le projet énergétique de l’UE à l’intérieur, avant de se rétracter. On comprend aisément que le ministre s’est retrouvé dans un terrain où les enjeux le dépassaient
Quant à la Société civile qui se montre généralement active dans les actions touchant à l’environnement, personne n’ose, à ce jour, lever son petit doigt pour pousser l’Union européenne à dire toute la vérité sur ce qui se trame dans le Parc des Virunga.
La raison est bien simple. Grand mécène de la plupart d’ONGs présentes en RDC, l’UE est parvenue à les réduire toutes au silence. Etant sous la botte de l’UE, aucune ONG de la Société civile ne s’intéresse à ce qui se passe dans le Parc des Virunga, par peur d’irriter le grand financier.
Une chose est vraie : l’énergie produite dans le Parc des Virunga sert plus à la production de Bitcoin qu’à la conservation de la nature.
Lorgnant vers d’autres horizons, l’UE veut étendre cette activité jusqu’au Parc national de l’Upemba, dans la province du Haut-Katanga. On comprend toute la hargne de l’UE sur le projet hydroélectrique de Sombwe. Les masques commencent à tomber.
Virunga, le Bitcoin plus rentable que la conservation
On apprend que c’est en février 2020 que le conservateur du Parc national des Virunga, Emmanuel de Merode, faisait la connaissance du fondateur de Big Block Green Service, une entreprise française qui conçoit, produit et livre « clefs en mains » des fermes de minage éco-responsables.
De leur rencontre naîtra le projet d’utiliser l’énergie hydroélectrique produite par le flux des rivières qui serpentent le Parc afin d’alimenter les ordinateurs qui mineront du Bitcoin. Un projet gagnant -gagnant, semble-t-il, car Big Block Green Services ne fait que racheter le surplus d’électricité produit par les systèmes hydroélectriques du parc Virunga qui, avant lui, ne trouvait pas d’acheteur.
Aussi faut-il préciser qu’à cause des conflits quasi constant dans la région entre divers groupes rebelles et les autorités du pays, sans oublier les effets néfastes du Covid, ni ce négligeable 1% du budget total du parc alloué par le Gouvernement, les finances de Virunga était au plus mal. Avec plus de 40% des revenus du Parc provenant du tourisme, c’était le moment de parier gros ; Emmanuel de Merode l’a fait en basculant vers le Bitcoin au détriment de la conservation de la nature.
Avait-il obtenu l’autorisation de sa hiérarchie à Kinshasa ? Pas évident
Bien que le Bitcoin ne soit pas, comme on l’a vu, associé à la conservation de la biodiversité – ce serait plutôt le contraire – Emmanuel de Merode a choisi, ici, de l’intégrer dans un plan plus large qui vise à ce que les précieuse ressources hydroélectriques et territoriales du parc de Virunga profitent tant aux populations locales qu’au bon maintien du parc.
C’est en septembre 2020 que le premier Bitcoin de Virunga a été miné. Et par la suite, concède Emmanuel de Merode : « Le cours du Bitcoin s’est envolé. Nous avons eu de la chance – pour une fois ».
A cette époque, un BTC valait alentour de 10.000 USD. Cinq mois plus tard, en mars 2021, le jeton roi s’échangeait pour environ 44.000 USD ; durant ce mois, le parc Virunga a obtenu environ 150.000 USD grâce à sa mine, soit l’équivalent de ce que rapporte le tourisme en haute saison.
Aujourd’hui la ferme de minage du parc national compte dix conteneurs, chacun accueillant entre 250 et 500 machines. Trois d’entre eux appartiennent au parc, quand les sept autres sont la propriété de l’entreprise du français Sébastien Gouspillou. On comprend facilement l’appui de la Délégation de la Commission européenne en RDC qui a, à sa tête, le Français Jean-Marc Chataigner. Tout s’explique !
Le conservateur de Virunga estime à 500.000 dollars les revenus générés par la mine de sur l’année dernière.
Peu importe que le Bitcoin a perdu 70% de sa valeur sur l’année dernière car, en somme, Emmanuel de Merode considère que : « C’est un excellent investissement pour le Parc. Nous ne spéculons pas sur sa valeur, nous en générons. Si vous achetez du Bitcoin et que sa valeur diminue, vous perdez de l’argent. Nous, nous produisons du Bitcoin grâce à un surplus énergétique et nous monétisons une ressource qui, autrement, n’a aucune valeur ».
C’est dire que Kinshasa ne contrôle plus ce qui se passe dans le Parc national des Virunga. Et la Société civile congolaise, complice sur toute la ligne, a décidé de fermer les yeux pour ne pas froisser son grand bailleur, l’UNION EUROPEENNE.
Dossier à suivre.
Econews