Au moins 48 civils abattus par les forces armées le 30 août dans le chef-lieu du Nord-Kivu. À moins de quatre mois de la présidentielle en République Démocratique du Congo, l’Est du pays a basculé dans une nouvelle vague de violence. Le mercredi 30 août 2023, les forces armées congolaises sont intervenues pour «empêcher une manifestation contre l’ONU», selon le lieutenant-général Constant Ndima, gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, placé, comme la province voisine de l’Ituri, sous état de siège depuis le mois de mai 2021.
Le premier bilan diffusé quelques heures après l’intervention militaire faisait état de 6 morts dont un policier. Mais ce chiffre n’a pas tenu face aux divers enregistrements vidéo diffusés sur les réseaux sociaux par des habitants de la ville.
Sur ces images, on aperçoit des soldats portant la tenue de la garde républicaine jeter sans ménagement au moins une dizaine de corps sans vie à l’arrière d’un véhicule militaire. Certains cadavres sont traînés au sol, recouverts de sang. « Le nombre des victimes du carnage mené par l’armée contre des civils non armés demandant le départ de la Monusco à Goma avoisine la cinquantaine», a rapidement déclaré la Lucha, un mouvement pro-démocratie né à Goma et très actif en RDC.
Les opposants au régime du président Félix Tshisekedi ont unanimement condamné cette «répression aveugle». Moïse Katumbi, candidat annoncé à la présidentielle a évoqué «un crime contre l’humanité» signé «par des militaires contre des hommes non armés». Le docteur Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, qui n’a toujours pas éclairci sa position en vue de la présidentielle, a parlé lui « d’un carnage », tandis que Delly Sessanga, autre candidat président, a lancé que « Goma n’est pas une zone de non-droit où la force peut s’exercer sans contrôle. […]. L’état de siège ne justifie nullement que notre armée tourne les armes contre ses citoyens qu’elle est censée protéger ».
Le gouverneur militaire du Nord-Kivu a tenté de justifier l’action de ses hommes en rejetant la faute sur les manifestants qui « ont tué un policier et allaient investir la base de la Monusco. Ils allaient commencer à chasser les blancs. Ils allaient commencer à s’attaquer aux ONG et aux forces de l’EAC […] Les policiers n’ont pas pu contenir le feu. C’est ainsi que l’armée est intervenue voyant que quelque chose pouvait se cacher derrière».
Une version démentie par plusieurs témoignages de blessés recueillis ce week-end. «Les soldats sont arrivés très tôt, avant même que la marche ne commence », a déclaré vendredi à l’AFP un blessé soigné par le Comité international de la Croix-Rouge pour une blessure par balle à l’épaule.
Il se trouvait alors dans le temple de la secte «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», qui mêle rites chrétiens et animistes, d’où les manifestants prévoyaient de partir pour marcher dans Goma.
«Nous n’étions pas armés», assure le jeune homme de 20 ans, dont l’anonymat est préservé pour sa sécurité. «Ils nous ont tués sans état d’âme», ajoute-t-il, décrivant «des corps qui explosent, des jambes cassées, et cela sans aucune justification».
Enquête indépendante ?
La violence de la répression qui a fait au moins 48 morts, près de cent blessés et plusieurs dizaines d’arrestations a poussé l’Onu a demandé une « enquête exhaustive ». Trois jours après les faits, à l’occasion du conseil des ministres, le président Tshisekedi a exprimé sa «condamnation» face à «ce drame […] qui ne demeurera pas impuni ».
De nombreuses voix s’élèvent d’ailleurs pour exiger une enquête internationale indépendante tout en insistant sur la nécessité d’une absolue transparence. «Pas comme dans le dossier de l’assassinat de Chérubin Okende», explique un parlementaire provincial du Nord-Kivu. Chérubin Okende, ancien ministre, porte-parole du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi a été retrouvé assassiné dans sa voiture le 13 juillet dernier non loin du centre de Kinshasa. Une enquête est en cours, des experts légistes belges et sud-africains ont assisté l’équipe d’enquêteurs congolais et une autopsie a été réalisée le 4 août dernier. Un mois plus tard, la chape de plomb pèse toujours sur ce dossier.
Ce massacre du 30 août, deux semaines après un appel à la levée de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri lancé après un séminaire de trois jours mené à Kinshasa par les élus nationaux et provinciaux, des responsables traditionnels, religieux et associatifs pose question. Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, accueille désormais plusieurs centaines de « mercenaires » au service de l’État congolais, un QG de la Monusco, les centres névralgiques des troupes de l’East African community et des dizaines de milices communautaires. «», Un millefeuille explosif selon un diplomate africain qui insiste sur «l’impossibilité de gérer cette situation». L’État congolais, à l’origine de cet afflux de troupes, se montre dépassé et incapable de faire face à une situation qui risque chaque jour de dégénérer.
Avec La Libre Belgique Afrique