Si les routes sont les veines de l’économie, l’électricité est définitivement le sang qui y circule. De ce fait, étant donné que le taux de desserte en électricité de la RDC est de moins de 15%, le développement de notre pays est donc suspendu à la réalisation de ces deux conditions préalables que sont les routes et l’électricité. Ainsi, tous les moyens possibles doivent être mis en place pour favoriser les investissements dans ces deux secteurs stratégiques. Il y va de l’avenir de la RDC donc de l’émergence du continent africain. Pourtant, les mesures incitatives mis en place pour attirer ce type d’investissement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.
1. CONTEXTE
Comme le feu du temps des hommes préhistoriques, l’électricité a changé la vie de l’humanité. Elle est devenue indispensable à tout ce qui fait notre vie quotidienne : se nourrir, se chauffer, s’éclairer, se laver, soigner, communiquer, se déplacer, fabriquer…C’est donc un préalable indispensable au développement d’une nation. Si les routes sont les veines de l’économie, l’électricité est définitivement le sang qui y circule. De ce fait, compte tenu que le taux de déserte en électricité de la RDC est seulement de 15%, le développement de notre pays est donc suspendu à la réalisation de ces deux conditions préalables que sont les routes et l’électricité. Pour faire face au défi particulier de l’électricité, la RDC a entamée la mise en œuvre libéralisation du secteur de l’électricité par l’adoption de la loi n°14 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité qui prévoit les régimes juridiques suivants :
Cependant, pour attirer les investissements dans le secteur d’électricité, il ne suffit pas d’avoir une loi, encore faut-il avoir un climat des affaires propice à ce type d’investissement. À cet effet, la RDC s’est dotée des structures adéquates, des mesures d’encadrement nécessaires, d’une fiscalité claire et d’une identification précise des opportunités d’investissement dans le secteur de l’électricité. Néanmoins, dans le cadre de particulier de la fiscalité, il faut noter que, hormis l’arrêté interministériel fixant les taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du Ministère des ressources hydrauliques et de l’électricité, la RDC a également prise le décret n°18/054 du 27 décembre 2018 portant mesures d’allégement fiscaux et douaniers applicables à la production, à l’importation et à l’exportation de l’énergie électrique dans le but de promouvoir et de faciliter les investissements privés dans le secteur de l’électricité.
Malheureusement, après une analyse rigoureuse de ses mesures d’allégements fiscaux, je note plusieurs problématiques qui les rendent peu attractives ou pire, inapplicables. Je m’explique !
2. PRINCIPES
Sur le plan fiscal, l’article 117 de la loi n°14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’énergie stipule que « sous réserve des avantages leur accordés dans le cadre des concessions du service public de l’électricité, les opérateurs du secteur sont soumis aux régimes fiscal, douanier et social en vigueur en République Démocratique du Congo ». Afin de renforcer cette disposition et en vue de promouvoir et de faciliter les investissements privés dans le secteur de l’électricité, le Premier ministre a pris le décret n°18/054 du 27 décembre 2018 portant mesures d’allégement fiscaux et douaniers applicables à la production, à l’importation et à l’exportation de l’énergie électrique qui, en son article 1er nous rappelle que «l’énergie électrique, les biens d’équipements, les matériels, les outillages et les pièces détachées importées et destinés exclusivement à la production, au transport, à la distribution et à la commercialisation de l’électricité ainsi qu’à l’exploitation de l’énergie solaire et de toute autre source d’énergie renouvelable sont soumis au tarif des droits et taxes à l’importation et à la l’exportation instituées par les Ordonnances-Lois n°011/2012 et 012/2012 du 21 septembre 2012 ».
Cependant, comme l’indique le titre décret, son article 2, «par dérogation» à l’article 1, prévoit les avantages fiscaux et douaniers suivants :
– la suspension de la perception des droits de douane et de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) à l’importation sur :
•l’énergie électrique importée pour assurer le service public de l’électricité et pour couvrir les besoins de l’industrie locale ;
•les matériels, équipements, outillages ainsi que les pièces détachées et de rechange importés et destinés à l’aménagement et à la maintenance des infrastructures des activités de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique;
•les matériels et les équipements d’économie de l’énergie électrique notamment les équipements de compensation de l’énergie réactive, les filtres d’harmoniques et les compteurs d’énergie électrique;
•les matériels et les équipements d’exploitation de l’énergie solaire et ceux adaptés aux autres énergies renouvelables ;
•les intrants destinés à la fabrication et au montage local des matériels et équipements ci-avant concernés par le présent décret.
– les droits de douane est soumis au taux d’1% à l’exportation de l’énergie électrique ;
– des avantages garantis par le Code des investissements, notamment :
• exonération de la contribution professionnelle sur les revenus provenant des bénéfices réalisés par les investissements ;
•amortissement dégressif sur les investissements en infrastructures socio-économique, telles que écoles, hôpitaux, infrastructures sportives et routes ;
•exonération de la contribution sur la superficie des concessions foncières et des propriétés bâties.
3. PROBLEMATIQUES
3.1. Mesures anticonstitutionnelles
La première problématique est d’ordre constitutionnel. En effet, selon l’article 174 al.3 de la Constitution « il ne peut être établi d’exemption et d’allégement fiscal qu’en vertu de la loi ». À ce sujet, à la lecture de la loi relative à l’électricité citée plus haut, particulièrement de son article 117, les seuls allégements ou avantages prévus se font au bénéfice exclusif aux « concessions de service public », c’est-à-dire de contrat par lequel un opérateur s’engage à gérer un service public contre une rémunération versée par les usagers et à reverser à la personne publique une redevance destinée à contribuer à l’amortissement des investissements réalisés. Hormis cette catégorie, la loi ne prévoit aucun avantage pour les autres types d’exploitations. De ce fait, le décret n° 18/054 du 27 décembre 2018 portant mesures d’allègements fiscaux et douaniers applicables à la production, à l’importation et à l’exportation de l’énergie électrique est anticonstitutionnel concernant les autres modes d’exploitation compte tenu que le Premier ministre n’a pas qualité à établir des exemptions ou des allégements fiscaux qui ne sont pas prévus par la loi.
3.2. Instabilité politique
Un décret est l’acte par lequel le Premier ministre agit. Ainsi, ce dernier peut-on modifier les dispositions en tout temps. Au regard de ce fait, force est de conclure que les avantages prévus dans le décret n°18/054 du 27 décembre 2018 sont donc, par nature, instables et un investisseur ne peut s’y fier pour un projet à long terme comme c’est le cas dans le secteur de l’électricité.
3.3. La portée limitée
Je tiens à rappeler que l’article 2 du décret n° 18/054 du 27 décembre 2018 stipule qu’ «en sus des avantages garantis par le Code des investissements, la suspension de la perception de la TVA est consentie à la vente des matériels et équipements ci-dessus produits localement». De plus, l’article 7 dudit décret nous indique également que «sont éligibles aux avantages prévus dans le présent Décret : – les opérateurs du secteur d’électricité en règle avec la réglementation en vigueur; – les titulaires des droits miniers en règle avec la réglementation; – les promoteurs des projets d’investissement industriels. » Partant de ces deux dispositions du décret, force est de conclure que les exploitants miniers qui se consacrent à la réalisation d’un projet de production d’électrique peuvent bénéficier des avantages prévus dans le décret, y compris, par ricochet ceux prévus dans le Code des investissements. Pourtant, l’article 3 de la loi n°004 du 21 février 2002 relatif au Code des investissements stipule que «les dispositions de la présente loi ne s’appliquent pas aux mines ».
Ainsi, compte tenu de la hiérarchie des normes, c’est la loi, donc le Code des investissements, qui prévaut par rapport décret. De ce fait, la portée des « avantages» prévus dans le décret n°18/054 du 27 décembre 2018 est en réalité limitée pour les titulaires des droits miniers. Pourtant, il est inutile de vous rappeler le préjudice que constitue le déficit énergétique du secteur minier congolais qui empêche une valorisation optimale des ressources minérales.
3.4. La durée limitée
Je tiens encore à rappeler que l’article 2 du décret n° 18/054 du 27 décembre 2018 stipule qu’ «en sus des avantages garantis par le Code des investissements, la suspension de la perception de la TVA est consentie à la vente des matériels et équipements ci-dessus produits localement ». Quant à la durée, l’article 5 dudit décret stipule que «la durée des avantages douaniers et fiscaux visés par le présent Décret est de quatre (4) ans renouvelables, le cas échéant, après évaluation, exception faite de l’importation et de l’exportation de l’énergie électrique dont la durée est de cinq (ans) ans ». Ainsi, au regard de ces deux dispositions, force est de conclure que les projets de production d’électricité peuvent, via les possibilités que donne ce décret, bénéficier des avantages prévus dans le code des investissements pour une durée de 4 ans renouvelable. Cependant, deux problématiques se posent.
• La première est que l’article 9 du Code des investissements stipule que « bénéficieront des avantages y afférents pour une durée de : Trois (3) ans lorsqu’ils sont réalisés dans la Région économique A ; Quatre (4) ans lorsqu’ils sont réalisés dans la Région économique B ; Cinq (5) ans lorsqu’ils sont réalisés dans la Région économique C ». Sachant cela, la question qui se pose est de savoir, à titre illustratif, le porteur d’un projet de production d’électricité dans la région économique C (Lualaba, Haut-Katanga) bénéficiera des avantages du Code des investissements pour une durée 5 ans comme le prévoit le Code des investissements ou de 4 ans comme le prévoit ledit décret ? Pour ma part, au regard du principe de la hiérarchie des normes, c’est la durée prévue dans la loi (Code des investissements) qui prévaut par rapport à celle du décret. De plus, le Premier ministre n’a pas compétence à modifier la loi de son propre chef. Fort de ce raisonnement, il est donc quelque peu inexact de stipuler que la durée des avantages prévue dans ledit décret est de 4 ans renouvelable puisque s’agissant des avantages du Code des investissements, cela peut être de 5 ans si le projet se trouve dans la région économique C. Cependant, il s’agit ici de mon interprétation et non de celle des pouvoirs publics, d’où l’incertitude de l’investisseur.
• La deuxième problématique est de la même veine. En effet, les articles 2 et 5 du décret indique que les «avantages garantis par le Code des investissements » sont « renouvelables » tandis que l’article 18 du Code des investissements stipule clairement que « les avantages douaniers, fiscaux et parafiscaux prévus dans la présente loi ne sont accordés qu’une seule fois ». Encore ici, au regard du principe de la hiérarchie des normes, c’est la disposition de la loi qui prévaut par rapport au décret. De plus, le Premier ministre n’a pas compétence à élargir de son propre chef la portée des avantages prévus dans la loi (Code des investissements). Fort de ce raisonnement, il est donc quelque peu inexact de stipuler que les avantages accordés via ledit décret sont renouvelables puisque s’agissant des avantages du Code des investissements, aucun renouvellement n’est possible. Cependant, il s’agit ici de mon interprétation et non de celle des pouvoirs publics, d’où l’incertitude de l’investisseur.
3.5. Avantages limités
Pour bénéficier des avantages dudit décret, la question logique que l’on se pose à la lecture du décret est de savoir quelle est la procédure que doit effectuer l’investisseur pour profiter de ses avantages. À cette question, le décret ne dit pas grand-chose sur les modalités d’application. Son article 8 indique toutefois, que « le bénéfice des avantages prévus ci-dessus est subordonné à l’approbation par le Ministre ayant les Finances dans ses attributions de la liste quantitative de matériels et équipements à importer, après avis du Ministre ayant l’Electricité dans ses attributions». Cette disposition sous-entend que les avantages prévus dans le décret ne concernent que ceux ayant trait à l’importation des équipements ou du matériel, donc au régime douanier. Qu’en est-il du régime fiscal (impôt). De plus, on remarque qu’il n’est prévu aucun un avantage sur les recettes non fiscales et la parafiscalité des organismes publics (droits, taxes et redevances) encore moins sur le régime de change (devise). Ces insuffisances sont de nature à aller à l’encontre de « la volonté du Gouvernement de promouvoir et faciliter les investissements privés dans le secteur de l’électricité ».
4. RECOMMANDATIONS
Pour faire face à ce défi qu’est l’amélioration du taux desserte en électricité et afin de soutenir réellement la volonté du gouvernement à faciliter les investissements privés dans le secteur de l’électricité, je recommande au gouvernement d’élaborer et de soumettre au Parlement un projet loi relative aux mesures incitatives à l’investissement privé dans le secteur de l’électricité qui tiendra compte des principes suivants :
• des avantages douaniers, fiscaux, sur les recettes non fiscales et sur la parafiscalité ainsi que la stabilité de ces régimes ;
• une durée liée à la réalisation du projet et l’amortissement de l’investissement ;
• un renouvellement sous condition ;
• des modalités d’application renvoyée aux ministres sectoriels (Électricité et finance) ;
• des avantages adaptés à chaque phase du projet qui sont : (1) l’acquisition ou mise à disposition des terrains, (2) la faisabilité technique, économico-financière et socio-environnementale, (3) le bouclage du financement ou signature des accords de financement, (4) la construction de l’infrastructure (5) l’exploitation ;
• des avantages adaptés à chaque zone d’intervention en tenant compte des contraintes naturelles et des infrastructures existantes ainsi que du taux de desserte en électricité de ladite zone ;
• une redevabilité et une transparence vis-à-vis des autorités compétentes et du public.
5. CONCLUSION
Je le répète : Si les routes sont les veines de l’économie, l’électricité est définitivement le sang qui y circule. De ce fait, étant donné que le taux de desserte en électricité de la RDC est de moins de 15%, le développement de notre pays est donc suspendu à la réalisation de ces deux conditions préalables que sont les routes et l’électricité. Ainsi, tous les moyens possibles doivent être mis en place pour favoriser les investissements dans ces deux secteurs stratégiques. Il y va de l’avenir de la RDC donc de l’émergence du continent africain.
ENGUNDA IKALA (Tiré de Kongo Capital)