Le dossier portant sur les 36 millions USD que réclame le cabinet sud-africain «Centurion Law Group» à l’Etat congolais sur les 180 millions USD qu’a accepté de payer à l’Etat congolais la société Glencore, grand négociant suisse dans le secteur des mines, a véritablement pris une autre dimension. Alors que Centurion a saisi la Cour arbitrale de Paris pour trouver gain de cause dans une créance de 36 millions USD qu’il réclame à la République Démocratique du Congo, à Kinshasa, le Gouvernement de la République a pris la décision de contrattaquer en justice. C’est ce qu’on retient d’une correspondance de Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice et Garde des sceaux, Rose Mutombo Kiese, datée du 4 septembre 2023 et adressée au Procureur Général près la Cour de cassation. L’objet de la lettre est bien clair : «Injonction aux fins d’enquêtes et des poursuites. Dossier RDC C/Cabinet Centurion Law Group». Si Kinshasa a levé l’option de couper l’herbe sous le pied du cabinet sud-africain, Mme la ministre d’Etat – qui reconnait la responsabilité du coordonnateur de l’APLC (Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption) dans cette supercherie – ne dit pas clairement le sort qui lui est réservé. Pourtant, c’est par un acte maladroit, posé par le coordonnateur de l’APLC que la République doit comparaitre en arbitrage à Paris dans une affaire où elle risque de débourser 36 millions USD à un cabinet sud-africain qui n’a posé aucun acte dans l’affaire Glencore.
A Kinshasa, le dossier Glencore a pris une autre dimension. Le négociant suisse refuse-t-il de payer les 180 millions USD convenus avec l’Etat congolais pour réparation des activités illicites entreprises en RDC ? Il n’en est nullement question. Bien au contraire, le montant a déjà été payé.
Le problème reste plutôt dans l’intrusion dans ce dossier d’un cabinet sud-africain, dénommé «Centurion Law Group» qui exige de la RDC le paiement à son profit d’un montant de 36 millions USD, équivalent à 20% de la somme convenue, pour avoir, dit-il, assister la RDC dans le litige l’ayant opposé au négociant suisse.
Curieusement à Kinshasa, les autorités congolaises, encore moins, le Suisse Glencore, ne reconnaissent pas une quelconque intervention du cabinet sud-africain.
Se disant lésé, «Centurion» a, depuis lors, apporté le dossier devant la Cour arbitrale de Paris, exigeant de l’Etat congolais le paiement de ce montant réclamé.
Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
C’est dans une correspondance datée du 4 septembre 2023 et adressée au Procureur près la Cour de cassation que Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice, Rose Mutombo, décrit clairement cet épilogue.
En effet, le gouvernement a décidé d’intenter une action en justice contre «Centurion», dans la mesure où, à Kinshasa on ne reconnaît pas avoir signé un quelconque contrat d’assistance judiciaire avec le cabinet sud-africain. Il y a donc une question qui se pose : comment Centurion Law Group se retrouve impliqué dans le dossier Glencore ? La réponse se trouve dans la correspondance de Mme Rose Mutombo.
La vérité cachée
S’adressant au procureur près la Cour de cassation, Mme la ministre d’Etat indique : «J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’en date du 13 juin 2022, le secrétaire exécutif de la Cellule Nationale des Renseignements Financiers «CENAREF», en complément d’éléments que je détenais des Aviseurs sur le même dossier, m’a saisie m’informant des enquêtes enclenchées par la justice américaine à charge du Groupe Glencore pour corruption et manipulation des marchés en Afrique et en Amérique du Sud. Lors de ces enquêtes, Glencore avait reconnu avoir versé plus de 100.000.000 USD de pots de vin à des fonctionnaires au Brésil, au Nigeria, en République Démocratique du Congo et en Venezuela soit pour obtenir des contrats pétroliers et miniers, soit pour éviter des audits gouvernementaux, soit pour faire obstruction à la justice. S’agissant de la République Démocratique du Congo, ces actes indélicats ont été commis dans l’intervalle de temps compris entre les années 2007 et 2018. En tant que victime, il était tout à fait légitime pour notre pays d’envisager des actions pour en réclamer une réparation».
A Mme la ministre d’Etat de préciser par la suite : «Pour éviter de se lancer dans des longues procédures judiciaires parfois couteuses, en date du 17 juin 2022, j’avais invité Glencore à approcher le ministre de la Justice pour des discussions idoines en vue d’une réparation extrajudiciaire. En réponse, ce dernier était favorable aux négociations qui débutèrent au mois de juillet 2022 entre ses avocats, les Experts de la CENAREF, ceux du Ministère de la Justice ainsi que deux cabinets d’avocats de la République que j’avais constitués conseils à cet effet. A l’issue d’un marathon des discussions menées sous les auspices du secrétaire exécutif de la CENAREF et de moi-même, un Protocole d’accord transactionnel fut finalisé le 2 décembre 2022, aux termes duquel Glencore s’est engagé à payer à la République Démocratique du Congo la somme de 180.000.000 USD. La signature a eu lieu en présence du Ministre des Finances, de vous-même et du secrétaire exécutif de la Cenaref ».
Quand, sans titre ni qualité, le coordonnateur de l’APLC engage la République
Avant de révéler la supercherie qui se trame derrière l’intrusion du cabinet «Centurion» : «Alors que les aviseurs, les experts de la Cenaref, ceux du Ministère de la Justice et les avocats qui ont travaillé pour parvenir au Protocole d’accord transactionnel ne sont pas encore rémunérés, bien que Glencore se soit intégralement acquitté en décembre 2022, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que la République Démocratique du Congo fait l’objet, depuis le mois de juin 2023, d’une procédure d’arbitrage initiée à son encontre par le cabinet Centurion Law Group (PTY) LTD sous l’égide de la Cour d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), enregistrée sous le n°27880/SP ».
« Ce cabinet, poursuit Mme la ministre, réclame à notre pays et par ricochet à l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption «APLC», la somme de 36 millions de dollars américains, soit l’équivalent de 20% du montant payé par Glencore, en s’appuyant sur un accord qu’il aurait conclu avec ladite Agence qui n’a pas qualité pour engager la République, notamment pour recueillir des informations concernant les faits de corruption impliquant Glencore, en prétendant avoir déployé son expertise pour parvenir à la conclusion du Protocole d’accord transactionnel intervenu entre Glencore et la République».
A Kinshasa, tous ont donc été surpris par l’intrusion de Centurion, alors que la Gouvernement dit n’avoir jamais contacté le cabinet sud-africain.
Pour contrer cette infamie, Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice rappelle au PG près la Cour de cassation qu’ «aussitôt informé de la procédure d’arbitrage, j’ai engagé les cabinets RACHIDA et OPLUS basés à Paris qui vont collaborer avec deux cabinets à Kinshasa pour défendre la République».
Si Kinshasa ne reconnaît pas avoir approché le cabinet Centurion, il en de même pour Glencore. A ce sujet, Mme la ministre souligne : «Dans l’entre temps, interrogé pour savoir si le cabinet Centurion Law Group l’avait contacté ou a eu des discussions avec lui au sujet de ce dossier, Glencore a déclaré que ni lui ni ses entités affiliées n’étaient approchées ou n’ont eu des discussions avec ce cabinet avant ou après la signature du Protocole d’accord intervenu entre lui et la République Démocratique du Congo en date du 2 décembre 2022».
Une arnaque partie de l’APLC
Mme la ministre d’Etat est dès lors convaincue que le cabinet de Centurion s’est servi d’un acte posé par le coordonnateur de l’APLC pour soutirer injustement 36 millions USD à la RDC.
Au PG près la Cour de cassation, Mme la ministre d’Etat fait remarquer : «Au regard de ce qui précède, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la démarche du cabinet Centrurion Law Group n’est qu’une arnaque montée de toutes pièces pour tenter de soutirer indument de millions de dollars à la République qui se voit encore obligée d’exposer, pour cette procédure arbitrale, des dépenses pécuniaires à titre d’honoraires des avocats et autres ». Et de préciser : «Dès lors, en vue de préserver l’Etat contre les effets de cette grande arnaque et décourager ceux qui s’adonnent aux aventures de ce genre, je vous enjoins d’ouvrir une information judiciaire à charge des responsables du cabinet Centurion Law Group et, le cas échéant, d’engager des poursuites répressives à leur encontre pour ce comportement répréhensible».
La République a été trahie
Si Centurion réclame 36 millions USD à la RDC, il s’appuie sur un accord qu’il aurait signé non pas avec le gouvernement congolais, mais plutôt avec Thierry Mbulamoko, coordonnateur de l’APLC, un service spécialisé de la Présidence de la République.
Comment en est-on arrivé là ? Y aurait-il des électrons libres dans l’entourage du Chef de l’Etat au point d’engager la République dans passer ni par le Premier ministre ni par le Conseil des ministres ? Que reste-t-il de l’autorité si tout citoyen, revêtu d’une quelconque fonction officielle, peut signer pour le compte de l’Etat ? C’est le dessous de cette affaire qui révèle au grand jour la légèreté avec laquelle sont traités certains dossiers de la République.
Econews a vu juste
La lettre de Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice donne finalement raison à l’alerte lancée en début de semaine par Econews.
En effet, Econews a enquêté pour comprendre les dessous de carte des liens qui existent entre le cabinet d’avocats sud-africain Centurion et le Coordonnateur de l’APLC, M. Thierry Mbulamoko.
Aujourd’hui, avec les révélations qu’apporte Mme la Garde des sceaux, on a la certitude de l’existence d’un contrat sous forme d’une «Lettre d’engagement» entre le cabinet Centurion et l’APLC, signé par le Coordonnateur de l’APLC Thierry Mbulamoko, après l’avoir lu et approuvé, le vendredi 22 juillet 2022. Dans ce document, le Coordonnateur a présenté l’APLC comme étant une «agence de la République Démocratique du Congo», pouvant se substituer au Gouvernement.
Il y a tout aussi l’existence de «notes d’honoraires» du cabinet Centurion, transmis et réceptionnés par le coordonnateur Thierry Mbulamoko, selon les termes repris dans la Lettre d’engagement dans sa partie «IV. Accord sur les frais». A cela s’ajoute l’existence d’un courrier du cabinet Centurion ayant pour objet «Demande de Rémunération selon le Contrat du 21 juillet 2022», adressé et réceptionné par le coordonnateur de l’APLC Thierry Mbulamoko.
Tous ces documents démontrent combien le Coordonnateur de l’APLC Thierry Mbulamoko s’est permis d’une part, d’engager l’APLC qui est une Agence spécialisée au sein du Cabinet du Chef de l’Etat, et d’autre part, d’accorder à ce cabinet d’avocat, un certain nombre de pouvoirs sans en avoir les autorisations ni les qualités requises.
La majorité des autres membres de la coordination de l’APLC ainsi que du comité technique de l’APLC qu’Econews a pu contacter ont reconnu ne jamais avoir été associés de près ou de loin, et d’aucune quelconque manière, à cet engagement pris par le Coordonnateur de l’APLC.
Bien plus, Econews, toujours dans ses investigations, a découvert que malgré la sensibilité et la complexité du dossier, le Coordonnateur de l’APLC Thierry Mbulamoko a agi en véritable électron libre – les autres membres de la coordination de l’APLC (les trois coordonnateurs adjoints) n’ont eu connaissance du différend qui oppose le cabinet d’avocats Centurion et l’APLC, que juste après la publication dans les médias, de la menace de ce cabinet (site journal OURAGAN).
C’est à partir de cette divulgation, a-t-on rapporté à Econews, que le coordonnateur de l’APLC a dû convoquer une réunion urgente de la coordination pour tenter d’expliquer à ses collègues le problème dans lequel il avait mis l’APLC et solliciter leur soutien dans la communication qu’il souhaitait faire sur ce sujet, dans les médias.
Selon des témoignages parvenus à Econews, ses collaborateurs auraient refusé de cautionner une «histoire louche» dont ils ne disposaient que d’une infime partie de la vérité.
«L’attitude habituelle du coordonnateur de se permettre de croire qu’il pouvait engager l’APLC sans tenir compte de ses trois collègues ne correspond pas à la vision du Président de la République, lorsqu’il signa l’ordonnance portant création et fonctionnement de l’APLC, pour la lutte contre la corruption», a dit à Econews l’un des membres de la coordination de l’APLC.
Pour rappel, l’APLC est un service rattaché au Cabinet du Chef de l’État. En cas de besoin pour toutes signatures entre l’APLC et des tiers, c’est le Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat qui a qualité.
C’est dire que le flou entretenu par M. Thierry Mbulamoko dans cette affaire, en isolant toute l’APLC et le Cabinet du Chef de l’État ainsi que le Gouvernement, pourrait paraitre comme une tentative d’enrichissement personnel ou d’escroquerie en bande organisée.
Malheureusement, la République est appelée à se défendre pour la réclamation de 36 millions USD par le cabinet d’avocat Centurion.
A Paris, la République devra engager d’énormes dépenses pour se soustraire de cette «frappe» en règle de 36 millions USD. Des dépenses qu’on n’aurait évitées si Thierry Mbulamoko était apte et compétent à comprendre l’étendue de son pouvoir, en tant que coordonnateur de l’APLC.
A ce titre, Mme la ministre d’Etat ferait mieux d’étendre son action jusqu’au coordonnateur de l’APLC, en ouvrant également une information judiciaire à sa charge et de le poursuivre également pour ce comportement répréhensible et très grave.
Dans ce dossier qui risque de faire perdre 36 millions USD à la République, le silence du directeur de Cabinet du Chef de l’État, commence à gêner l’opinion publique, les milieux des investisseurs et hommes d’affaires ainsi que certains services de bonne gouvernance de la République, car, l’acte posé par Thierry Mbulamoko a jeté un discrédit sur les efforts louables du Chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi, dans la lutte contre la corruption.
Econews ne peut donc que saluer l’initiative de Mme la ministre d’État en charge de la Justice qui a écrit au procureur général près la Cour de cassation d’amorcer une action judiciaire contre le cabinet d’avocats sud-africain Centurion. Afin de préciser les faits et surtout pour éviter que des victimes innocentes tombent dans la marmite du repas dont les secrets sont connus exclusivement par Thierry Mbulamoko et ce cabinet d’avocats sud-africain Centurion, les autres membres de la Coordination de l’APLC et ceux du Comité technique devraient normalement se constituer partie civile dans l’éventuel procès de la République contre Centurion.
Au nom de la démocratie et de l’État de droit, Econews les encourage à le faire. Le peuple veut sentir et voir un vrai changement dans les comportements et les actes des personnes en qui le Président de la République a fait confiance. Mais hélas, certaines se distinguent par des agendas cachés qui trahissent la Nation et la vision du Président Félix Tshisekedi.
Le profil de Thierry Mbulamoko à la tête de l’APLC est une véritable équation. Il est aujourd’hui évident que l’homme n’est pas à sa place !
Econews