Resté hors des radars et entretenant le mystère, muré dans un mutisme qui a le mérite d’en inquiéter plus d’un, Joseph Kabila est finalement sorti de sa réserve légendaire depuis bientôt une semaine. Dans sa ferme de Kashamata à la périphérie de Lubumbashi en effet, le Raïs consulte dans la plus grande discrétion.
Le président honoraire Joseph Kabila s’est retranché dans sa ferme de Kashamata, à Lubumbashi. Il a quitté Kingakati sans faire de bruits comme dans ses habitudes. Un voyage ordinaire qui n’avait attiré l’attention de personne. Mais, arrivé sur place, c’est un pèlerinage politique qui s’est mis en place.
Tous les bonzes du Front commun pour le Congo (FCC) ont retrouvé l’axe Kinshasa-Lubumbashi. Le plus révélateur est le retour en force de ces ténors du FCC qui étaient tombés totalement en disgrâce, après la fin de la coalition FCC-CACH. Kabila ne les prenait plus au téléphone. Pire, il ne les appelait plus. Il n’y avait plus que quelques rares comme Moïse Ekanga qui bénéficiait du privilège d’avoir accès à celui que certains ont baptisé « le taiseux » président congolais.
Le pèlerinage de Kashamata a vu Albert Yuma, Aubin Minaku et les autres en consultation auprès du « Raïs ». Les raisons de ces visites tournent autour des élections de 2023. Cette échéance arrive à grand pas, Joseph Kabila veut continuer de jouer un rôle dans le jeu politique du pays.
L’ancien président de la République a décidé de se lancer dans le soutien d’une coalition électorale face au Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, et son camp. Apparemment, tous les protagonistes des élections de 2023 ont pris conscience que les scrutins vont se tenir à cette échéance constitutionnelle. Que Kabila se soit retranché à Lubumbashi démontre que la consolidation des alliances électorales est déterminant. Kabila le sait.
Loin de Kinshasa
Pour le moment, rien ne filtre de ses entrevues avec ceux qui lui sont restés fidèles au sein d’un PPRD à la dérive et de derniers résistants de ce qui fut, jusqu’à la fin 2020, la toute puissante plateforme du Front commun pour le Congo. D’éminentes personnalités de tous les horizons, dont des chefs traditionnels, des membres de la Société civile ou de la poignée des partis politiques alliés sont attendues, ou ont déjà été ses hôtes.
Il était temps, car depuis son départ en janvier 2019 et ce que l’on a qualifié de « passation pacifique et civilisée du pouvoir » avec son successeur, l’ancien président de la République est resté à son corps défendant au centre des discussions politiques. Son ombre est omniprésente. Sénateur à vie et, de ce fait, inéligible à la présidentielle – c’est selon – certains n’hésitent pas à lui prêter la secrète intention de chercher à briguer la magistrature suprême lors des élections prévues en 2023.
Régulièrement, des experts en matière constitutionnelle (dont le plus acharné reste le 1er vice-président de l’Assemblée nationale l’UDPS, André Mbata) démontrent dans les médias avec force arguments que l’ancien chef de l’Etat ne peut prétendre au fauteuil présidentiel. Ce à quoi l’intéressé n’a jamais daigné répliquer.
Oublier le «troisième faux pénalty »
Ils sont nombreux qui donneraient cher pour percer le «mystère » des consultations de Kashamata. Cherche-t-il à jauger la température avant de se jeter à l’eau ? Donnera-t-il des consignes de vote ? Si oui, en faveur de qui ? Le moment n’est-il pas indiqué pour une normalisation des relations avec Moise Katumbi, candidat putatif à la présidentielle ?
Sur ce dernier point, il n’est pas superflu de se remémorer la fameuse et chaleureuse poignée de mains échangée avec Moïse Katumbi à la clôture du Forum sur l’unité et la réconciliation entre Katangais de mai 2022 organisé par l’archevêque de Lubumbashi Mgr Fulgence Muteba.
Les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés depuis la dissidence de l’ancien gouverneur du Katanga et la sortie tonitruante de ce dernier du PPRD, alors parti présidentiel. Sa dénonciation du « faux troisième penalty » en 2015, image footballistique figurant la volonté prêtée à l’époque au président de se présenter pour un troisième mandat avait valu Moise Katumbi une longue période de vicissitudes faite d’exils et de rejet de sa candidature aux élections de décembre 2018.
Le tout couronné à son retour d’exil par la création de son propre parti politique. Ensemble pour la République qui a saigné à blanc le PPRD, obtenant le ralliement de ses hauts cadres avec lesquels il a rejoint l’Union sacrée de la Nation fondé par Félix Tshisekedi à l’éclatement de la coalition FCC-CACH.
Une perche tendue à Moïse Katumbi ?
Depuis le Forum de Lubumbashi et cette poignée de main qui avait soulevé moult interrogations, Kabila et Katumbi ne se sont plus revus, du moins en public. Ce dernier et son parti traversent actuellement une zone de fortes turbulences marquée par son éjection irréversible de l’Union sacrée.
Bien plus, avant même cette échéance, une quarantaine de députés nationaux de la plateforme Ensemble pour la République l’on désavoué et réaffirmé leur fidélité au chef de l’Etat. Par ces temps mauvais, Katumbi a plus que jamais besoin de nouvelles alliances et il ne sera pas en position d’ignorer l’éventuelle main tendue de Joseph Kabila qui reste en dépit des apparences une sorte de faiseur de rois.
Les consultations de Kashamata, si elles sont rendues publiques, ne manqueront pas de jeter un fameux pavé dans la mare aux crocodiles du microcosme politique congolais. Kabila n’est certes pas coutumier de coups de théâtre, mais sa sortie sera scrutée avec un grand intérêt tans dans l’opinion nationale qu’internationale.
Econews