Jamais depuis l’indépendance de la République Démocratique du Congo, l’annonce de la visite d’un chef d’Etat étranger ne souleva autant la controverse. Pendant que le gouvernement se prépare activement et dans la plus grande discrétion à l’accueil du président français Emmanuel Macron attendu dans la capitale ce 3 mars 2023, les réseaux sociaux fourmillent de messages qui se rejoignent au moins sur un point : Emmanuel Macron ne devrait pas s’attendre à un accueil délirant. Les plus radicaux des internautes n’hésitant pas à afficher leur désapprobation, jusqu’à proclamer que le successeur de François Hollande ne serait pas le bienvenu en RDC. Et ils avancent leurs raisons qui ne sont pas nécessairement farfelues.
Emmanuel Macron n’est pas le pape François. Les rues ne sont pas pavoisées de panneaux publicitaires géants arborant le portrait du président français, autant que le drapeau tricolore n’est pas visible sur les artères publiques de Kinshasa. Les médias publics eux-mêmes, ordinairement enclins à monter en épingle la moindre visite des officiels des puissances occidentales semblent observer un mot d’ordre tacite à ne pas trop en faire.
À trois jours d’une visite pour le moins controversée, le malaise est palpable non seulement dans la capitale, Kinshasa, mais il devient aigu quand on interroge des Congolais du Nord-Kivu en particulier, province partiellement occupée par la « rébellion » du M23 ouvertement et activement soutenue par l’armée rwandaise. Eux qui vivent au quotidien les affres de la guerre avec leur lot de tueries et déplacements forcés, contraints de s’entasser dans des camps surpeuplés où ils sont laissés à leur triste sort, se déclarent parfaitement fondés à en vouloir à l’un des soutiens majeurs du Rwanda, pays agresseur et source de leurs malheurs.
Des griefs tangibles
Si l’annonce suscite de la gêne jusque dans les cercles du pouvoir, où des soutiens les plus farouches du chef de l’Etat se gardent pourtant d’afficher publiquement leur désapprobation à la veille d’une visite dont le peuple congolais, dans sa grande majorité, se serait bien épargnée, c’est que les griefs à l’encontre de «Jupiter» (surnom d’Emmanuel Macron, ndlr) ne manquent pas.
Le plus récent, les observateurs l’imputent à l’absence de la condamnation du Rwanda lors de la conférence de presse du président français le 26 février à l’Elysée, à la veille de son périple africain (Gabon, Congo, RDC, Angola). Sa longue tirade, en présence d’une brochette de journalistes africains – dont des Congolais – a concerné le nouveau partenariat que la France envisage d’inaugurer avec les pays d’Afrique, l’annonce de la fermeture de certaines bases militaires sur le continent, dont certaines seraient transformées en académies ou cogérées avec les armées des pays d’accueil qui le souhaiteraient.
Sachant qu’il devait se rendre à la troisième étape de son voyage dans la capitale de la RDC, Emmanuel Macron s’est cependant gardé d’évoquer l’appui du Rwanda au M23. Un terrain glissant sur lequel surfent des multinationales qui portent à bout de bras le gouvernement autocratique de Paul Kagamé.
L’autre grief, et pas des moindres est la décision prise par l’Union européenne, à l’instigation de la France, à accorder une assistance militaire de 20 millions d’euros à l’armée rwandaise, prétendument destinée à appuyer les troupes rwandaises présentes au Mozambique où le français TotalEnergies est en train d’implanter un important complexe gazier dans la province du Cabo Delgado. Mais à Kinshasa, personne n’est dupe.
Le troisième reproche, et non des moindres, est l’imposition de l’ex-ministre rwandaise des Affaires étrangères à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie en octobre 2018. En obtenant le départ à cette date de la Canadienne Michaëlle Jean (d’origine haïtienne), Emmanuel Macron promeut Louise Mushikiwabo dont le pays qui avait abandonné le français comme langue officielle au profit de l’anglais venait pourtant d’adhérer au Commonwealth.
Un exercice d’équilibrisme diplomatique
Si au Gabon et au Congo-Brazzaville Emmanuel Macron se sentira comme un poisson dans l’eau, les deux pays étant d’anciennes colonies françaises et acteurs prépondérants de la Françafrique, et qu’à Luanda les enjeux pétroliers seront au centre de ses entretiens avec les officiels angolais, à Kinshasa en revanche, il devra déployer des trésors d’équilibrisme diplomatique pour louvoyer entre la désapprobation populaire et son souci de préserver ses bonnes relations avec l’ombrageux Paul Kagamé.
Dans les milieux politiques congolais, l’on estime qu’un simple discours assorti d’une énième «condamnation» ne suffira pas, quoiqu’il reste peu probable qu’il adresse un message ferme et sans ambages au maître de Kigali. Au mieux, il se contentera de circonlocutions diplomatiques à la langue de bois; et au pire, il appellera Kinshasa à engager un dialogue politique avec le M23. Une pilule amère qui ne passera pas.
Point de vue d’un analyste
Le 27 février 2023 au palais de l’Elysée à Paris, Emmanuel Macron a présenté sa stratégie africaine à 48 heures d’un voyage en Afrique, loin des terres agitées de l’Afrique où la présence française dérange.
Antoine Glaser, spécialiste des questions africaines et co-auteur du «Piège africain de Macron», a commenté les enjeux de ce déplacement présidentiel à Kinshasa.
On se rappelle qu’en décembre dernier, Paris a dénoncé le soutien de Kigali aux rebelles du M23 par la voix de sa secrétaire d’État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, quel rôle peut alors jouer la France dans la résolution du conflit qui secoue l’Est de la RDC ?
A cette question, l’analyste français note ceci : «Plusieurs acteurs se sont engagés dans la médiation de ce conflit comme l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta ou le président angolais João Lourenço. Pour l’instant, ces initiatives n’ont pas fonctionné. Pour Emmanuel Macron, qui ne cache pas son admiration pour Paul Kagamé, la situation est complexe. D’ailleurs, il n’a pas clairement pris position dans son discours du 27 février. La France s’est réconciliée avec le Rwanda et nourrit de grandes ambitions avec ce pays. Parallèlement, les Américains essaient de se réinvestir en RDC. La marge de manœuvre de la France est donc très étroite dans ce dossier».
Quant aux raisons qui ont poussé le président Macron à se rendre à Kinshasa, Antoine Glaser rapporte : « Emmanuel Macron sera accompagné de représentants de la société civile et d’artistes, mais aussi d’entrepreneurs. Il veut montrer que le temps est aux priorités environnementales et culturelles sur fond de francophonie, en parallèle au business. Géant minier et forestier, la République Démocratique du Congo est le plus grand pays francophone d’Afrique et représente un marché considérable. Il y a aussi le dossier du barrage d’Inga dans lequel la France est absente et autour duquel tous les grands acteurs comme la Chine ou les États-Unis se retrouvent. Ce projet monumental du barrage hydroélectrique sur le fleuve Congo au coût de 80 milliards de dollars US sera à terme le plus grand barrage au monde, avec une capacité de production de 40.000 mégawatts. Il pourrait alimenter en énergie plus de la moitié du continent africain».
A tout prendre, Paris a mis les bouchées doubles pour ne pas perdre la face en Afrique Centrale. La France redoute l’épisode de l’Afrique de l’Ouest où son influence est totalement remise en cause. A Paris, pas question de laisser échapper l’Afrique Centrale au profit des Russes ou Chinois. A Kinshasa, Macron aura deux jours pour dicter sa ligne de conduite aux autorités de Kinshasa.
Econews
Réponse du président Macron à la question de Christian Lusakueno
Monsieur le Président, la France défend ses valeurs dont la démocratie et la liberté. La France a souvent défendu l’intangibilité des frontières, est-ce le cas maintenant après le rapport de l’ONU pour le Rwanda en RD Congo? Le président Félix Tshisekedi à Genève ce matin a demandé des sanctions, qu’attend la France pour condamner comme elle le fait avec la communauté internationale contre la Russie?
Président Emmanuel Macron : (…) Pour ce qui est du Rwanda et de la RDC, il faut nommer les choses. Nous assistons dans l’Est du Congo à une régression inacceptable. L’offensive en cours de la milice M23 sous sanction du Conseil de sécurité, est une guerre qui nous ramène dix ans en arrière. Elle a des conséquences terribles pour des populations, je pense en particulier aux centaines de personnes déplacées, à qui tout manque. Et Goma, la capitale de la région, de la région est menacé.
La première urgence est humanitaire et nous y travaillons avec des partenaires européens. J’ai eu à plusieurs reprises et le président Tshisekedi et le président Kagame à ce sujet. Il faudra ensuite rappeler deux principes fondamentaux.
Primo, l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale du Congo ne se discutent pas. C’est notre position constante et cette position n’a pas changé.
Deuxièmement il n’y a pas deux poids deux mesures. La guerre de la RDC ne doit pas être une guerre oubliée. C’est pourquoi j’ai eu le temps de passer avec chacun des acteurs et surtout que notre politique vise à soutenir le cadre de discussion que le Kenya et l’Angola ont mis en place. J’ai échangé avec les deux présidents pour soutenir les médiations régionales qui se sont déployées. Nous avons soutenu le déploiement des troupes kenyanes dès qu’elles ont pu être installées. Nous en avons été à l’initiative diplomatique. Et j’en ai encore parlé pour unifier les initiatives diplomatiques. Je reste convaincu que la réponse doit être collective et c’est précisément le sens des discussions que j’aurais aussi avec mes homologues avant de venir à Kinshasa.
Extraits de la conférence de presse du 27 février 2023 à Paris