En froid avec Ruto, Tshisekedi enterre le processus de Nairobi

Au cours d’un entretien sous la forme d’une discussion analytique accordé à l’Initiative de Sécurité en Afrique et l’Initiative de Croissance en Afrique de Brooking Institute, le président Félix Tshisekedi  a critiqué sévèrement la gestion du processus de paix de Nairobi tel que mené par son homologue kényan, William Ruto. La discussion organisée par Brookings s’est concentrée sur les institutions, l’économie, le développement et la sécurité en RDC, et a été suivie d’un panel d’experts analysant les défis et les opportunités auxquels le pays fait face. Elle a néanmoins permis au président congolais de se décharger sur la mauvaise foi de son homologue kényan passé maître, selon lui, dans l’art de volte-face politiquement motivée.

La déclaration du président Tshisekedi ne s’embarrasse pas de circonvolutions diplomatiques : « Il y a deux processus. Il y avait celui de Nairobi impulsé par Uhuru Kenyatta, qui malheureusement a été géré par la suite par le nouveau président William Ruto. Il a très mal géré. Le processus est quasiment mort à part le fait que le facilitateur désigné Uhuru Kenyatta est resté (médiateur du processus NDLR). Il a quand même gardé le pouvoir, mais le processus est quasiment mort. Le président Ruto a pris fait et cause pour le Rwanda. Je ne peux pas en dire plus.»

Le processus de Nairobi, faut-il le rappeler, était destiné à amener la centaine de groupes armés nationaux restés actifs au Nord-Kivu et au Sud-Kivu et même en Ituri à déposer les armes et à rejoindre le camp de la patrie en vue de faire face à l’agression rwandaise maquillée sous la fausse rébellion du M23.

Une première réunion tenue à Nairobi sous l’égide de l’ancien président Uhuru Kenyatta et de Serge Tshibangu, Représentant spécial du président congolais, n’a pas connu de suite. Et pour cause, le M23 n’y avait pas été invité, plombant dès le départ la concrétisation de la démarche à laquelle les groupes armés avaient dans un premier temps répondu favorablement avant de regagner leurs zones d’influence respectives et de reprendre les hostilités.

La prise de position sans équivoque  du chef de l’Etat congolais est intervenue dans un contexte de tensions diplomatiques croissantes entre la RDC et le Kenya. En décembre dernier, William Ruto avait refusé la demande de Tshisekedi visant à faire arrêter Corneille Nangaa, le cerveau de la nouvelle coalition politico-militaire «Alliance Fleuve Congo». Ruto avait justifié sa position en déclarant que le Kenya était une démocratie où l’expression des opinions était protégée, et qu’il ne pouvait arrêter quiconque pour ses déclarations.

UNE ADHESION EN DENTS DE SCIE

L’adhésion de la République démocratique du Congo à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) en mars 2022 est restée émaillée de hauts et de bas dans ses relations avec le Kenya, donnant raison aux organisations de la société civile qui avaient jugé la démarche prématurée, voire conclue entre les présidents Kenyatta et Tshisekedi sans un avis préalable du parlement.

Le déploiement subséquent au Nord-Kivu de la force militaire de l’EAC en mai 2022, entendue pour mener des opérations visant à déloger l’armée rwandaise et leurs supplétifs du M23 sous un mandat résolument offensif s’était traduit en définitive par une certaine passivité de la force commandée par le général kényan Jeff Nyagah.

Lors du sommet de l’organisation sous-régionale à Bujumbura (Burundi) le 4 février 2023, le président Tshisekedi avait publiquement apostrophé le général Nyagah, lui reprochant une passivité de ses troupes assimilée par les populations du Nord-Kivu à une complicité avec les forces d’agression.

La démission du haut-gradé kényan, aussitôt remplacé par son compatriote, le général Alexander Muthuri sans l’aval de Kinshasa, avait fini par sceller le sort de la Force contrainte à se retirer dès le 3 décembre 2023.

L’atmosphère déjà délétère entre Kinshasa et Nairobi en serait restée là si le nouveau président du Kenya William Ruto n’en avait pas rajouté une nouvelle couche en qualifiant les rebelles congolais de citoyens congolais à part entière. Dès lors, entre les deux capitales règne un froid polaire.

Entre les rappels pour consultations d’ambassadeurs à l’arrestation d’agents de la compagnie aérienne Kenya Airways, suivie de la suspension de ses vols sur la capitale de la RDC et leur reprise quelques semaines plus tard, la présence de la RDC au sein de l’EAC pose plus de questions qu’elle n’apporte de preuves tangibles d’une volonté politique sincère d’intégration régionale.

LE PROCESSUS DE LUANDA EN SURSIS

Le président congolais a également évoqué le Processus de Luanda, mené par le président angolais, en soulignant les difficultés rencontrées. A ce sujet également, le ton est à l’amertume. Selon Tshisekedi : «le processus a plusieurs fois proposé des chronogrammes de retrait  que le Rwanda n’a toujours pas respectés. Il a toujours signé, mais toujours fait le contraire. Nous espérons qu’avec l’implication récente des États-Unis, qui se sont le plus impliqués, nous pourrions arriver à une solution».

On remarque que la considération du Congolais vis-à-vis de Luanda n’est pas aussi incisive que celle affichée à l’encontre du Kenya. Mais elle sonne néanmoins en formé de coup de semonce destiné à pousser le président angolais Joao Lourenco (Médiateur désigné de l’Union africaine) à exercer davantage de pressions sur le Rwandais Paul Kagamé qui amèneraient ce dernier à concrétiser le retrait de ses troupes du sol congolais, seul écueil à son tête-à-tête avec son homologue congolais.

Econews