Entre justice et répression : ce que révèle la condamnation de Charles Onana (Tribune de René Mugenzi)

La condamnation de Charles Onana par un tribunal français pour «complicité de contestation publique» du génocide contre les Tutsi au Rwanda soulève des questions sur la liberté d’expression et l’influence politique. Ce verdict, perçu comme une tentative de réduire au silence un critique du régime rwandais, illustre les dangers d’une justice utilisée pour imposer des récits dominants.

La condamnation de l’auteur franco-camerounais Charles Onana et de son éditeur Damien Seriyex, le 9 décembre 2024 par le Tribunal correctionnel de Paris, marque une étape préoccupante pour ceux qui défendent la liberté d’expression, l’enquête historique et le débat critique. Onana a été reconnu coupable de « complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité », en l’occurrence le génocide des Tutsi au Rwanda. Ce jugement repose sur des passages de son livre publié en 2019, Rwanda : La vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archives parlent, dans lequel il examine de manière critique les récits entourant la planification et l’exécution du génocide des Tutsi.

Bien qu’Onana ait explicitement reconnu dans son livre que le génocide contre les Tutsi a eu lieu, le tribunal a estimé que son analyse critique et son utilisation des guillemets autour du mot «génocide» relevaient du négationnisme. Pour moi, ce jugement ne relève pas de la justice mais de la volonté de réduire Onana au silence, comme l’a clairement affirmé Daphrose Gauthier, soutien du Front patriotique rwandais (FPR) et l’une des accusatrices dans l’affaire, lorsqu’elle a déclaré que l’objectif de ce procès était de le faire taire. Ce verdict reflète une stratégie plus large visant à museler la dissidence et à dissuader d’autres de s’engager dans des enquêtes critiques qui remettent en question le récit dominant sur le génocide des Tutsi.

La sensibilité et l’intolérance du FPR à la critique sont bien documentées depuis plus de trois décennies. Depuis leur prise de pouvoir au Rwanda, le FPR a cherché à contrôler étroitement le récit autour du génocide des Tutsi. Bien qu’il soit essentiel de reconnaître et de préserver la mémoire du génocide, le FPR a également utilisé des accusations de négationnisme comme arme politique pour discréditer ses détracteurs et réprimer la dissidence.

Le rapport de «Human Rights Watch, Join Us or Die », publié le 10 octobre 2023, décrit en détail comment le FPR contraint les individus et les organisations à se conformer à son récit par des méthodes allant de l’intimidation à la violence pure et simple. Le rapport met en lumière la manière dont la dissidence est criminalisée, tant au Rwanda qu’au-delà de ses frontières. Les journalistes, universitaires et opposants politiques qui s’écartent du récit officiel du FPR se retrouvent souvent accusés de négationnisme ou d’autres crimes graves, même lorsque leurs travaux s’appuient sur des recherches crédibles ou des documents internationaux.

L’AFFAIRE ONANA ILLUSTRE PARFAITEMENT CE SCHEMA

Si Onana avait été un Hutu rwandais, je ne serais pas surpris qu’il ait été accusé de participation au génocide lui-même. En tant que critique non rwandais, le moyen le plus efficace de le réduire au silence a été d’interpréter ses écrits comme négationnistes, en utilisant le système juridique français pour parvenir à cette fin. Cet abus d’accusations graves pour réprimer la dissidence est une caractéristique clé de l’approche du FPR pour gérer ses critiques, en particulier ceux qui explorent des sujets sensibles tels que les crimes présumés du FPR au Rwanda et en République démocratique du Congo.

L’implication du système judiciaire français, bien que probablement involontaire, a involontairement renforcé cette stratégie. En interprétant les écrits d’Onana de cette manière, le tribunal a établi un précédent inquiétant. Cela démontre comment les cadres juridiques conçus pour protéger la mémoire des victimes du génocide peuvent être manipulés pour imposer des récits spécifiques, limitant ainsi l’espace pour un discours critique.

Par ailleurs, les États-Unis continuent de frustrer le FPR en refusant d’adopter son récit préféré. Les États-Unis qualifient constamment les événements de 1994 de génocide au Rwanda, en reconnaissant que les Tutsi ont été les principales victimes tout en admettant également que des Hutu et des Tutsi ont souffert. Ce refus de présenter exclusivement les événements comme le génocide des Tutsi met en évidence les complexités des événements historiques et résiste à la simplification excessive souvent exigée par les récits politiques. Compte tenu de l’histoire du Rwanda d’accuser ses critiques de négationnisme, je me demande combien de temps il faudra avant que le FPR amène au tribunal les États-Unis pour négation du génocide des Tutsi. Si cette position des États-Unis avait été prise par une personne isolée ou une organisation à cible faible, les balles des accusations de négation du génocide des tutsis seraient tombées comme la pluie.

Cette affaire soulève également des questions importantes sur les incohérences dans les approches juridiques européennes à l’égard du négationnisme. En France, contester ou minimiser les génocides reconnus est une infraction pénale, comme en témoigne la condamnation d’Onana. Pourtant, en Belgique, les lois sont plus équilibrées, ciblant uniquement le négationnisme incitant à la haine ou à la violence tout en protégeant les recherches académiques et journalistiques légitimes. Cette divergence souligne la nécessité d’une harmonisation à l’échelle européenne. Ce qui est un crime dans un pays ne devrait pas être un discours protégé dans un autre lorsqu’il s’agit de questions aussi sensibles. Sans normes cohérentes, ces lois risquent de devenir des outils de répression politique plutôt que des garanties pour la mémoire historique.

La suppression de la dissidence par des moyens légaux n’est pas une nouveauté pour le FPR. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a à plusieurs reprises condamné le Rwanda pour son utilisation abusive de mesures légales et extrajudiciaires pour réduire au silence ses détracteurs. Récemment, ce groupe a appelé à la libération immédiate d’activistes détenus simplement pour avoir lu un livre sur une révolution pacifique. Cela reflète le contexte plus large dans lequel le FPR utilise des accusations de négationnisme, de trahison ou de complot pour étouffer l’opposition et éliminer les voix critiques, tant au niveau national qu’international.

Bien que l’objectif affiché de la condamnation d’Onana soit de protéger la dignité des victimes du génocide, je pense qu’il a un coût énorme. Cela risque de refroidir la liberté d’expression, de décourager les enquêtes académiques et de limiter la quête d’une compréhension plus approfondie de l’histoire. L’équipe juridique d’Onana a déjà annoncé son intention de faire appel, et j’espère que ce processus annulera le verdict et réaffirmera l’importance de protéger la liberté d’expression.

Cette condamnation est un avertissement à tous ceux qui cherchent à remettre en question les récits dominants ou à explorer des vérités inconfortables sur le génocide des Tutsi et ses conséquences. La lutte contre le négationnisme doit rester vigilante, mais elle ne doit pas devenir une arme pour supprimer des enquêtes légitimes ou des analyses critiques, aidée involontairement par des systèmes judiciaires comme celui de la France. Les conséquences de cette suppression dépassent de loin l’affaire Onana, menaçant les principes de liberté d’expression et de débat ouvert, essentiels à la compréhension historique et à la justice.

René Mugenzi

Auteur, expert en innovation sociale et droits de l’homme

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