Eric Monga sur les relations UE-Afrique : «Notre camp, c’est de faire décoller enfin l’Afrique»

Les hommes d’affaires africains en général, et congolais, en particulier, il en existe en grand nombre. En Afrique subsaharienne, c’est le Nigeria qui a eu l’ingénieuse idée de créer, sous la présidence d’Obasanjo, sa race de milliardaires qui font aujourd’hui la fierté de tout un continent, notamment Aliko Dangote (l’homme le plus riche de l’Afrique) et Tony Elemelu, le patron du groupe bancaire UBA (Union Bank of Africa). L’Afrique du Sud a emprunté le même chemin avec son programme « Black empowerment » qui a propulsé une nouvelle race d’hommes d’affaires noirs sud-africains. Ce qui n’est pas le cas de la République Démocratique du Congo où des hommes d’affaires – ils sont nombreux d’ailleurs – se battent seuls, sans un soutien conséquent de l’Etat congolais. Ils sont généralement regroupés au sein de la FEC (Fédération des entreprises du Congo) pour faire entendre leur voix. Sur la liste de cette oasis d’hommes d’affaires congolais, on retrouve notamment Kalaa Mpinga, John Kanyoni, Eric Monga Mumba et bien d’autres. Des self-made-men qui continuent à entretenir la flamme. Au moment où se tient, les 17 et 18 février 2022 à Bruxelles (Belgique), le sommet Union européenne (UE) – Afrique, Eric Monga, manager général de Kipay Investments et vice-président de la FEC en charge de l’énergie, pense que le temps est venu d’établir un dialogue sincère entre l’Europe et l’Afrique. Alors que l’Europe devait établir une relation de confiance avec le monde africain des affaires, Eric Monga note plutôt le contraire : « Sur le terrain, ce sont souvent les acteurs européens – représentations, acteurs économiques, ONG – qui depuis les capitales européennes empêchent, ralentissent les projets de développement » initiés par des Africains dans leurs pays respectifs.

Avec le sommet de Bruxelles, il s’agit, préconise-t-il, de changer d’approche et d’adopter « une attitude franche de partenaire, une meilleure coordination des actions politiques et économiques ». « Un langage de franchise est nécessaire au futur des relations économiques et des co-investissements entre les acteurs européens et les entrepreneurs africains. Ce mois de février doit nous mettre sur cette voie », conclut-il, dans une tribune, publiée simultanément mardi sur les sites www.latribune.fr et www.euractiv.fr.

Pour le cas spécifique de la République Démocratique du Congo, on attend tout aussi voir Jean-Marc Châtaigner, chef de la délégation de l’UE, établir un nouveau type de partenariat avec le monde congolais des affaires plutôt que décourager des initiatives nationales dans les secteurs porteurs, comme celui de l’électricité. La campagne internationale de sape lancée contre le projet hydroélectrique Sombwe, dans la province du Haut-Katanga, en est une belle illustration. Opinion.

Afrique – Europe : «Clarifier nos relations pour assurer des relations économiques profitables»

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Le prochain sommet des 17 et 18 février à Bruxelles réunissant l’Union européenne et les dirigeants du continent africain nourrit de grandes attentes, aussi pour les entrepreneurs africains. La réussite commune des deux espaces économiques passe par une clarification sans concession des relations et des modalités de l’action de l’UE tant en termes d’investissements que de coopération.

Le fond « Global Gate-way de l’UE veut mobiliser d’ici à 2027 jusqu’à 300 milliards d’euros de fonds publics et privés au profit de projets d’infrastructures à travers le monde, dont plus de 150 milliards d’euros en Afrique. Sur son chemin vers Dakar, pour préparer le sommet de la mi-février, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a affirmé que «l’Europe est le partenaire le plus fiable de l’Afrique». Et d’ajouter : « Il faut travailler davantage ensemble pour relever les défis actuels – comme l’impact déjà très réel du changement climatique ou la santé ».

Dont acte ! Mais cette fiabilité, en tant que partenaire, revendiquée à la tête de l’Union européenne doit se traduire sur le terrain, auprès de nous – acteurs économiques investis, entrepreneurs, investisseurs africains. Et là réside la nécessité de clarifier les relations et les modes d’action.

D’abord, la rivalité économique qui s’exerce sur le territoire de l’Afrique entre la Chine, les États-Unis, la Russie de nouveau et l’Union européenne, ne peut avoir comme résultat de prendre les Africains en otage. J’entends par là qu’on ne peut reprocher aux entrepreneurs africains de diversifier leurs partenariats, de tirer parti de cette concurrence. Notre réussite économique passe par cette diversification et je dirai par la mutualisation de ces partenaires. L’Europe doit accepter cela si elle veut être un partenaire fiable et surtout si elle veut s’inscrire dans le temps. Plutôt que de chercher à disqualifier des projets au seul motif que d’autres puissances sont investies dans ceux-là. S’associer, c’est aussi limiter l’influence de son concurrent, et en tout cas il ne peut s’agir pour nous de choisir un camp. Notre camp, c’est de faire décoller enfin l’Afrique.

Ensuite, cessons les leçons hâtives et répétitives !

Nous savons que nombre de nos pays en Afrique et institutions doivent progresser vers plus d’État de droit, continuellement améliorer la lutte contre la corruption, rendre plus efficace le système judiciaire aussi pour mieux protéger les investisseurs de tout ordre.

D’autre part, l’Europe doit s’inscrire dans le développement réel de nos pays. Laissez-moi prendre l’exemple de la République Démocratique du Congo, mon pays, là où je suis investi depuis des décennies. L’électrification de notre pays est un enjeu primordial. Moins de 10% de la population a accès à l’électricité ; 1% en milieu rural. Pourtant, le potentiel hydroélectrique de la RDC est estimé à plus de 100 gigawatts, ce qui en fait le 3e potentiel au monde derrière la Russie et la Chine !

Nous conviendrons que l’exploitation, sérieuse, raisonnée de ce potentiel peut à la fois sortir les populations de la pauvreté et du sous-développement et inscrire le pays dans un développement durable, à même de participer à la lutte contre le réchauffement climatique. Justement cet enjeu commun que pointe la présidente de la Commission européenne. Et pourtant, sur le terrain, ce sont souvent les acteurs européens – représentations, acteurs économiques, ONG – qui depuis les capitales européennes empêchent, ralentissent les projets de développement. Ils dénoncent ici des atteintes à la biodiversité sans y apporter des fondements scientifiques, là lancent des soupçons de corruption sur la base de préjugés et d’arguments peu vérifiables. Ces arguments ex nihilo jettent l’opprobre immédiat sur les projets et leurs initiateurs, sans preuve, sans jugement, sans que la Justice ne soit saisie.

Beaucoup d’espoirs sont nourris par des initiatives louables de la société civile, soutenues souvent par l’Europe, en faveur de la protection du patrimoine naturel commun à l’humanité. Leur engagement est une contribution essentielle au débat public sur la préservation des zones protégées. C’est une question cruciale pour nous tous.

Mais les leçons ex nihilo, le manque de connaissance du terrain et de processus d’accompagnement au long cours sont autant d’éléments qui empêchent l’Europe d’être pleinement le partenaire fiable qu’elle veut être et dont nous avons besoin.

Une attitude franche de partenaire, une meilleure coordination des actions politiques et économiques et un langage de franchise sont nécessaires au futur des relations économiques et des co-investissements entre les acteurs européens et les entrepreneurs africains. Ce mois de février doit nous mettre sur cette voie.

Eric Monga Mumba

PDG Kipay Investments et vice-président de la FEC en charge de l’énergie