État actuel des marchés de l’économie congolaise et nécessité des réformes

 « L’état actuel des marchés de l’économie congolaise et nécessité des réformes ». C’est la réflexion que le professeur Vincent Ngonga Nzinga a partagée samedi avec les étudiants de la faculté des sciences économiques et gestion de l’Université de Kinshasa (Unikin). Synthèse.

La politique économique dispose traditionnellement de deux objectifs : d’une part, un taux d’inflation faible préservant le pouvoir d’achat de la population. Et d’autre part, un taux de chômage faible. La réalisation de ces deux objectifs permet de lutter contre la pauvreté et la faim, de garantir une vie saine et de promouvoir le bien-être, d’assurer une éducation de qualité, bref de réaliser une grande partie des Objectifs du Développement Durable (ODD).

Il découle la nécessité de rechercher l’équilibre viable tant sur le marché des biens et services que le marché de l’emploi.

Il existe en théorie deux types d’équilibre. L’équilibre avec tendance au plein emploi propre aux économies avancées et l’équilibre de sous-emploi concernant souvent les économies en développement.

Trois types de régime émergent de l’équilibre de sous-emploi : le régime de chômage keynésien est caractérisé un excès de l’offre à la fois sur le marché des biens (les ménages ne consomment pas assez. Ce qui crée un problème de demande) et sur le marché du travail. Le régime de chômage classique relève un excès de la demande par rapport à l’offre sur le marché des biens (les entreprises ne produisent pas assez notamment en raison d’un coût trop élevé du travail) et un excès de l’offre sur le marché d’emploi. Enfin, le régime d’inflation contenue lequel est marqué par une demande excédentaire sur le marché des biens et sur le marché du travail.

L’économie congolaise présente les caractéristiques du régime de chômage keynésien.

La situation de coexistence d’une inflation et d’un chômage sous contrôle est un phénomène connu dans plusieurs économies notamment celles avancées et émergentes.

Ce phénomène connu est remis en cause, d’une manière générale, par le phénomène observé dans les économies notamment en développement. Tel est le cas particulièrement de la RDC.

Ce sujet de recherche est lancé pour susciter une discussion multidisciplinaire. Celle-ci a vocation de déboucher sur plusieurs thèmes dans le cadre des travaux de thèse ou de maitrise pour apporter aux décideurs des solutions durables au problème endémique de chômage, notamment des jeunes en RDC.

Problème et questions de recherche

L’écart entre le phénomène connu au cours de l’âge d’or de l’économie congolaise (1968-1972) et le phénomène observé lors de l’âge d’argent (2012-2015) permet de mettre en exergue le problème de recherche de cette étude.

La question subséquente au problème de recherche est déclinée en deux sous-questions : 

1) Pourquoi en est-il ainsi?                En d’autres termes, pourquoi la croissance de la période récente, particulièrement à partir de 2002, génère moins d’emplois par rapport aux années situées entre 1968 à 1973, en l’occurrence durant l’âge d’or ?

2) Comment s’en sortir? En d’autres termes, quelles sont les stratégies, les politiques et les reformes à mettre en œuvre pour susciter la dynamique de création d’emplois de longue durée ?

Objectif et hypothèses de recherche

L’objectif de ce travail de recherche est à la fois général et spécifique. Au plan général, il s’agit d’évaluer la situation des économies présentant de clivages entre les situations des marchés. Au plan spécifique, il est question d’examiner la situation particulière de l’économie congolaise et d’en rechercher les pistes de sortie durable.

Les hypothèses, en tant que réponses anticipées aux deux sous-questions de la recherche, sont les suivantes :

H1 : Les chocs d’offre négatifs exercés sur l’économie congolaise depuis 1960 sont restés sans réponses réparatrices durables.

H2 : La planification de la transformation structurelle de l’économie congolaise constitue la seule réponse réparatrice durable de ces chocs d’offre négatifs.

Méthodes et techniques de recherche

Pour ce faire, les méthodes historico-comparative et hypothéticodéductives ont été mises à contribution. Les techniques sont à la fois d’analyse documentaire, statistique et économétrique.

Sources des données

Les données ont été collectées dans les différentes sources suivantes : les rapports du FMI sur les perspectives mondiales et sur celles régionales, Afrique Sub-saharienne, les rapports annuels de la Banque Centrale du Congo et différents travaux de recherche.

Cadre théorique

D’après les Keynésiens, l’équilibre de plein emploi est rare autant qu’il est éphémère. D’où cette phrase d’HARROD: «si par hasard un sentier de croissance correspondant au plein emploi est atteint, il ne peut se situer que sur un fil aussi étroit que celui du rasoir ». Ainsi, pour les keynésiens, l’équilibre de plein emploi, c’est l’exception. Le déséquilibre, c’est la règle.

D’après les libéraux, principalement les monétaristes, le déséquilibre est envisageable lorsque le chômage effectif s’écarte, sur des périodes transitoires réputées d’ailleurs relativement longues, du chômage naturel.

Durant ces périodes, des actions délibérées de politique économique, même si elles ne sont pas justifiées sur le fond, sont à même de corriger le déséquilibre.

Cadre empirique

Globalement, l’économie congolaise est marquée de 1960 à 2020 par la hausse importante du niveau général des prix (415,4% en moyenne annuelle) conjuguée à un taux de chômage relativement très élevé et de longue durée (56,9% en moyenne annuelle).

Deux situations particulières ressortent de son évolution :

Primo, son âge d’or étalé de 1969 à 1972 et caractérisé par la maitrise de l’inflation (6,9% en moyenne annuelle) et la maitrise du chômage (9,2% en moyenne annuelle), en deçà du seuil internationalement admis de 10%.

Secundo, son âge d’argent étalé de 2012 à 2015, caractérisé par la maîtrise de l’inflation (1,4% en moyenne annuelle) mais contrarié par l’envolée du chômage (46,8% en moyenne annuelle).

Constats relevés

La croissance de l’activité entre 1968 et 1973 a résulté tant d’un environnement international (hausse du cours du cuivre), macroéconomique et d’affaires favorable que de la contribution des grandes entreprises intérieures (MIBA, GECAMINES, SNCC, REGIDESO, SNEL…).

Cet environnement a été plombé par les chocs négatifs d’offre (l’échec des mesures de nationalisation (1973), d’étatisation (1974), de rétrocession (1975), mais aussi des contrecoups de deux crises pétrolières (1973 et 1976), des pillages de 1991 et 1993, des difficultés des grandes entreprises).

A cela s’ajoutent la mutation du mode de production des entreprises minières (de la forte intensité en main d’œuvre a la forte intensité en capital), les problèmes d’hystérèse lié au chômage de longue durée et ceux d’appariement (inadéquation entre la formation des diplômes et les exigences des entreprises).

Conclusion

Il est crucial, pour éviter la remise en cause des efforts récents et actuels qui se sont traduits par le contrôle de l’inflation ainsi que la reprise de la croissance, de résoudre durablement le problème de chômage de masse et de longue durée.

Des solutions appropriées à ces chocs négatifs passent par les réformes en profondeur des grandes entreprises, la prise en main des activités nationalisées et étatisées à l’époque, la mise en place d’un programme de l’enseignement mettant en exergue les priorités de développement du pays et adapté aux exigences des entreprises, la mise en œuvre du programme d’incubation des jeunes, l’encadrement de la jeunesse désœuvrée, le recyclage et le renforcement des capacités des chômeurs de longue durée frappés d’hystérèse…

Prof Vincent Ngonga Nzinga