Vingt-six ans après la loi de 1996 organisant la presse en RDC, les professionnels du secteur ont finalement l’occasion, avec l’ouverture mardi à Kinshasa des états généraux de la communication et médias, de passer au scanner leur profession. Avec la percée de Nouvelles techniques de la communication et de l’information qui ont fondamentalement bouleversé la donne, les médias congolais sont appelés à s’adapter pour ne pas être emporté par le vent de la modernité. Présent à l’ouverture de ces assises, le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, pense que ce forum offre une belle opportunité pour les professionnels des médias de procéder à un «travail de salubrité médiatique». Il attend dès lors les conclusions de ces assises, prévues vendredi, pour accompagner les médias dans cette grande mutation.
Journalistes clochardisés, organes de presse en faillite déguisée et des «moutons noirs» dans la profession. Le mode médiatique congolais est en crise. Un travail de fond s’impose pour permettre aux médias de jouer véritablement leur rôle de « 4ème pouvoir» et de ferment de la démocratie.
Depuis mardi, les professionnels des médias sont conviés aux états généraux de la communication et médias pour placer de nouvelles balises à une profession en perte de vitesse. Après les derniers états généraux de 1995, la presse est appelée à se réformer pour s’adapter à la révolution numérique. Bien plus, elle doit se battre pour sa survie. Le thème choisi : «Les médias congolais : quelles perspectives à l’ère du numérique et des enjeux et défis du développement durable», témoigne de toute la portée de ces assises.
Pour Patrick Muyaya Katembwe, ministre de la Communication et Médias, principal artisan de cette rencontre, c’est le moment de réfléchir sur la reconfiguration de l’écosystème des médias congolais en définissant non seulement un nouveau cadre organisationnel, mais aussi aménager des garde-fous pour éviter toute intrusion dans la profession par des gens se réclamant professionnel des médias sans titre ni qualité.
En réalité, ces états généraux ont pour finalité de jeter un regard rétrospectif sur les pratiques de la presse et de la régulation des médias, et de dégager les perspectives d’avenir au moyen d’un dialogue proactif et inclusif entre les parties prenantes.
Pour le président Tshisekedi, c’est le moment de procéder à un «travail de salubrité médiatique» pour élaguer de la pression toutes les brebis galeuses qui en ternissent l’image. Les attentes de ces assises, le Président de la République a dit accorder une oreille attentive aux résolutions qui sortiront de ce forum. Il s’agit, selon lui, d’établir un nouveau partenariat entre les autorités congolaises et la presse, gardien de la démocratie.
«Je suis conscient de vos difficultés qui sont inhérentes au contexte économique général du pays. La pauvreté des médias est l’une des formes les plus dangereuses de la pauvreté parce qu’elle empêche les populations d’être pleinement informées de la marche de leur pays et du monde. Je serai heureux de connaître les conclusions de vos échanges sur la viabilité économique des médias et nous verrons dans la mesure du possible comment nous pouvons nous impliquer pour relever ensemble ces défis et avoir des médias puissants capables de mieux nous accompagner dans la marche pour le changement de narratif en République Démocratique du Congo», a déclaré le Chef de l’Etat.
La démocratie ne peut pas vivre sans une presse libre et véritablement responsable. Félix Tshisekedi ne pense pas se dérober de cet engagement, du reste, inscrit dans son combat politique.
«Je ne terminerai pas mon adresse sans vous exhorter à nous accompagner avec la distance critique qui est la vôtre dans nos efforts pour le redressement de notre cher et beau pays. Devenez nos alliés dans la lutte contre les antivaleurs, notamment dans la dénonciation du tribalisme, népotisme, trafic d’influences, de la corruption. Le développement de la République Démocratique du Congo, notre maison commune, est en effet l’affaire de nous tous. Il ne saurait y avoir les acteurs d’un côté et les spectateurs de l’autre », a indiqué Félix Tshisekedi.
«Il est temps d’écrire une nouvelle page des médias congolais», exhorte le Chef de l’Etat, comptant sur l’engagement sur la remise en cause, principale motivation de ces états généraux.
Pour un nouveau départ
Bien avant le Président de la République, Patrick Muyaya est revenu sur les principaux défis qui s’impose au monde des médias à l’heure du numérique. Ces assises marquent «l’amorce du changement de l’écosystème de nos médias. C’est un jour historique pour la presse. Parce qu’il arrive près de trois décennies plus tard pour réunir à nouveau tous les acteurs de l’écosystème médiatique afin d’évaluer le chemin parcouru et scruter l’avenir avec des idées d’ensemble».
De l’avis du ministre Muyaya, ce jour tant attendu, «marque aussi le début d’un dialogue intergénérationnel entre ceux qui ont été aux premières heures de la profession, qui l’ont vue évoluer, et ceux qui la pratiquent aujourd’hui, à l’ère du numérique qui a totalement révolutionné les métiers».
L’environnement dans lequel exercent les professionnels des médias a profondément changé. Ce qui les oblige à s’adapter pour ne pas rater le train de la modernité. «L’exercice du métier en 2022 ne ressemble en rien à celui qu’il était en 1970, en 2000 ou encore en 2010 et pourtant les principes sont restés les mêmes», a rappelé Muyaya.
D’où, ses attentes : «Dans cette assemblée que nous avons voulu représentative, nous nous donnons pour mission de rattraper l’évolution du temps et d’être en mesure de baliser la voie pour l’avenir de ce métier en constante progression».
Avec le thème choisi, il s’agit principalement, pense-t-il, de « nous interroger sur ce que nous sommes devenus en ce temps du numérique et sur ce que peut être notre apport pour relever les défis du développement durable dans un pays présenté comme pays solution».
Selon lui, ces questions refondatrices portent sur « la fiabilité et viabilité des médias pour les consolider et en faire des entités fortes professionnellement (éthique et déontologie) et indépendantes financièrement; l’actualisation et la mise en cohérence des textes légaux et règlementaires pour engager des réformes profondes en vue d’assainir l’espace médiatique et l’adapter aux impératifs des nouvelles technologies; la politique nationale de communication pour s’inscrire dans la dynamique stratégique visant le développement des médias en RDC ».
Loin d’un effet de mode, Patrick Muyaya reste convaincu que «la tenue de ces états généraux de la communication et des médias vient se poser comme cadre de réflexion et d’interrogation qui doit permettre de confronter les idées, les styles et les écoles pour ensemble dégager des modèles de médias, de journalistes et de professionnels de la communication qu’il nous faut en vue de répondre aux besoins d’informer, d’éduquer, de divertir et de communiquer pour éclairer la lanterne de notre peuple».
Journaliste de formation, Patrick Muyaya n’est pas étranger au calvaire de sa profession. « Je voudrais saluer la résilience dont vous faites montre et votre engagement à continuer d’informer notre peuple. J’ai l’avantage d’être un des vôtres. J’espère que nous saisirons tous cette opportunité pour qu’ensemble, au-delà des défis indiqués ci-haut, nous puissions définir les lignes qui vont révolutionner notre secteur », a-t-il indiqué. Avant de lancer son appel : «Autant vous avez, en tant que quatrième pouvoir, des droits qui méritent d’être protégés, autant vous avez des devoirs éthiques et déontologiques à respecter dans l’exercice de ce noble métier. Dans cet environnement médiatique à assainir, il vous revient de vous distinguer professionnellement pour accompagner utilement la mise en œuvre des réformes».
Et de lancer un appel aux institutions politiques pour accompagner la presse dans ce travail de rénovation : «Une chose est d’organiser ces assises et d’en dégager des recommandations, mais une autre et plus importante est celle de leur mise en œuvre. Je voudrais ici compter sur la contribution de notre Parlement, ici représenté par les Présidents des deux Chambres, pour la programmation et l’examen, au cours la prochaine session ordinaire, des textes législatifs qui sortiront de ces assises pour nous permettre de rattraper le temps en engageant des réformes».
C’est le vendredi 28 janvier 2022 que se clôturent ces états généraux par une série de résolutions qui porteront sur : les propositions des réformes pertinentes touchant au régime juridique des médias en général, et de la presse en ligne, en particulier; le statut du journaliste; la dépénalisation des délits de presse qui pourra être précédée d’un moratoire dont les modalités d’encadrement fera l’objet d’une concertation entre le Gouvernement et les organisations professionnelles; la modernisation des médias publics; et enfin les défis de la presse congolaise en pleine révolution numérique.
Econews