Après plus d’un an de négociations, aux Etats-Unis, le clan démocrate a finalement cessé de se déchirer pour proposer ce qui pourrait être le plus important plan d’investissement climatique de l’histoire américaine. Le financement de ce plan repose, entre autres, sur une hausse de l’imposition sur les multinationales et sur certains revenus du capital.
La politique américaine, souvent pleine de rebondissements, n’a pas manqué de faire honneur à sa réputation, le mercredi 27 juillet 2022. À la surprise générale, après plus d’un an d’interminables négociations, les Démocrates et la Maison-Blanche ont annoncé avoir trouvé un terrain d’entente pour un projet de loi visant à lutter contre le réchauffement climatique et à renforcer l’imposition des multinationales et des plus fortunés.
Intitulé «Inflation Reduction Act» (IRA, loi sur la réduction de l’inflation), il constituera, s’il est adopté, le plus important plan d’investissement climatique de l’histoire américaine et devrait permettre aux États-Unis de respecter leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici à 2030, par rapport au niveau de 2005.
Le président Joe Biden et les siens sont sur le point de frapper un grand coup en replaçant l’écologie au centre des priorités politiques américaines et en redonnant un peu d’espoir à celles et ceux qui se préoccupent de la question environnementale. Une nouvelle qui arrive à point nommé pour une majorité démocrate fragilisée par une situation économique qui se tend chaque jour un peu plus, avec l’arrivée probable d’une récession et la hausse continue de l’inflation.
Calibré pour être bénéficiaire
Bien que toutes les dispositions du texte ne soient pas encore connues, les éléments clés ont été rendus publics dans les heures qui ont suivi l’officialisation de l’accord. Ce projet prévoit des investissements pour le climat, des recettes fiscales supplémentaires et un objectif de réduction du déficit. Quelque 370 à 385 milliards de dollars US seront ainsi dédiés à la sécurité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.
Urgence climatique : quand les gouvernements vont-ils enfin se bouger ?
L’enjeu est de stimuler la fabrication et le déploiement des énergies renouvelables, développer des projets de capture et stockage du CO2 ou encore aider les ménages, les services publics et les entreprises à modifier leurs modes de production et de consommation de l’énergie grâce à des incitations financières et notamment des crédits d’impôts.
Ce paquet de mesures viendra compléter les dispositifs écologiques inclus dans le grand plan de modernisation des infrastructures voté au dernier trimestre de l’année 2021 par le Congrès. L’objectif pour la décennie à venir est triple : accélérer la transition énergétique, adapter la société au changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Particularité de ce projet de loi : il a été pensé et calibré pour être bénéficiaire. Son financement repose en effet sur une hausse de l’imposition sur les multinationales et sur certains revenus du capital, le renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale et la renégociation du prix de certains médicaments pris en charge par le programme d’assurance santé Medicare. Il devrait ainsi permettre de dégager entre 150 et 300 milliards de dollars de recettes supplémentaires pour l’État en dix ans.
Remotiver l’électorat déçu
Cet Inflation Reduction Act est le fruit d’un compromis, approuvé par la Maison-Blanche, entre le chef de la majorité au Sénat Chuck Schumer et le très influent sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Joe Manchin. Il découle directement du programme politique de Joe Biden et se trouve être une version allégée de l’ambitieux Build Back Better Act, qui n’a jamais vu le jour à cause de désaccords au sein du camp démocrate l’année passée.
Estimée à 1.800 milliards de dollars, la version originale incluait d’importants investissements à destination de la protection de l’environnement et tout une panoplie de mesures pour rebâtir le modèle social américain. L’image d’une majorité divisée renvoyée par cet épisode a d’ailleurs largement contribué à fragiliser la présidence et à faire de Joe Biden un chef d’État impopulaire.
Le climatoscepticisme progresse aux États-Unis
Pour autant, le dialogue s’est poursuivi dans les couloirs du Capitole et s’est intensifié à mesure qu’approchaient des élections de mi-mandat, qui se tiendront en novembre prochain. La très courte majorité démocrate au Congrès pouvant disparaître dès cette date, il devenait impératif de trouver une porte de sortie et d’agir pour honorer les promesses faites lors de la dernière campagne présidentielle, afin de remotiver un électorat parfois déçu ou résigné.
Avec l’officialisation surprise de cet accord, les Démocrates vont pouvoir tenter de prouver aux Américains qu’ils ont les compétences pour gouverner et faire avancer leur agenda. Une image qui tranche avec celle renvoyée par le Parti républicain, pris au piège des excès du trumpisme et pour l’heure incapable de proposer un programme politique tourné vers l’avenir.
Une voix qui pourrait tout changer
L’adoption de ce texte ne pourra cependant se faire que par le biais de la procédure dite de réconciliation, qui permet de légiférer à majorité simple au Sénat –déjà utilisée au tout début du mandat de Joe Biden pour faire passer le plan Covid de 1.900 milliards de dollars–, mais dont l’usage est limité aux mesures fiscales et budgétaires.
N’ayant pas les soixante votes nécessaires à la chambre haute pour contourner l’obstruction parlementaire, les Démocrates se voient contraints d’utiliser cet artifice pour mener à bien certains pans de leur programme économique. Dans la configuration actuelle, où les deux partis ont cinquante sénateurs, la majorité devra rester groupée et compter sur la présence de la vice-présidente Kamala Harris pour départager le vote en cas d’égalité.
Reste à savoir ce que décidera la sénatrice démocrate d’Arizona Kyrsten Sinema. Cette ancienne militante de gauche devenue pro-business après son élection a, jusqu’ici, souvent privilégié les intérêts de ceux qui financent ses campagnes, quitte à trahir son propre camp. Sans son vote, l’IRA est condamné à rester dans les cartons et les États-Unis n’auront pas la possibilité de respecter leurs engagements climatiques. La balle, ou plutôt l’avenir de l’espèce humaine, est dans son camp.
Econews avec Slate.fr