Au bout de vingt ans, les échanges économiques entre l’Afrique et la Chine cherchent un second souffle. Le 8ème Forum sur la coopération sino-africaine, tenu les 29 et 30 novembre 2021, n’a pas réussi à faire bouger les lignes.
Les 29 et 30 novembre, l’Afrique et la Chine se sont retrouvés à Diamniadio, non loin de Dakar, au Sénégal, pour le 8e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac). Ce rendez-vous triennal de haut niveau entre la Chine et tous les pays d’Afrique, à l’exception d’Eswatini, qui continue de reconnaître Taïwan, est le cadre qui permet d’organiser la politique étrangère chinoise vers l’Afrique.
Au-delà de son thème formel de cette année, à savoir « Approfondir le partenariat sino-africain et promouvoir le développement durable pour construire une communauté sino-africaine avec un avenir commun dans la nouvelle ère », ce nouveau face-à-face est très attendu. Il intervient en effet dans un contexte compliqué sur le plan sanitaire, avec l’apparition du nouveau variant Omicron en Afrique du Sud.
Le président Xi Jinping ne fera pas le déplacement, ni ses homologues africains. Pour subtilement régler la question, le forum a été plus sobrement placé sous le statut de conférence ministérielle sous la houlette du ministre du Commerce Wang Wentao et celui des Affaires étrangères Wang Yi. Cela sera-t-il suffisant alors que la relation sino-africaine est plus que jamais questionnée ? D’aucuns disent qu’après l’euphorie de la nouveauté vient désormais une séquence de désillusions pour nombre de partenaires africains.
Vingt ans de politique de prêts
La Chine est devenue en 20 ans le principal bailleur de l’Afrique subsaharienne, détenant 62,1 % de sa dette externe bilatérale en 2020, contre 3,1 % en 2000. Le Trésor français a récemment publié une note qui plonge dans les méandres de cette politique des prêts qui a débuté il y a presque vingt ans.
«L’entrée de la Chine dans le paysage des bailleurs internationaux peut être datée des années 2000», indiquent les auteurs de l’étude. Sur cette période, le montant total des prêts chinois à l’Afrique subsaharienne équivaut à l’Aide publique au développement versée par l’ensemble des pays développés à cette région, soit l’équivalent de 121 milliards d’euros. «Les pays africains sont les premiers bénéficiaires de l’Aide publique au développement chinoise, avec 42 % du total sur la période 2000-2017 devant l’Asie (38 %) et le Moyen-Orient (9 %)». Au cœur de cette machine : les grandes institutions publiques comme la Banque d’import-export Eximbank et la Banque de développement de Chine (CDB).
Sept pays privilégiés
Sept pays concentrent les deux tiers des prêts chinois et se retrouvent, du coup, exposés. Il s’agit de l’Angola, pour qui la Chine représente 43 % de la dette externe totale; l’Éthiopie (24 %) ; la Zambie (27 %); le Kenya (25 %); le Nigeria (11 %); le Cameroun (34%) et le Soudan (8 %). Les prêts chinois sont principalement dirigés vers les secteurs des transports (31 % des prêts) et de l’énergie (25 %). Le soutien financier chinois s’est avéré crucial pour les pays africains au cours des deux dernières décennies. Les prêts du gouvernement et des banques publiques ont permis la construction de grands projets d’infrastructure à travers le continent, notamment des autoroutes, des ports, des aéroports et des bâtiments publics. Les besoins sont immenses et les bailleurs internationaux n’ont pas toujours été en mesure d’apporter l’appui adéquat contrairement à la Chine, qui arrive avec des solutions clés en main.
L’ombre du «piège de la dette chinoise»
Aujourd’hui, Pékin est accusé d’avoir entraîné les pays africains dans le piège de la dette. Car comme le montre la note du Trésor français, ces prêts reposent sur une architecture institutionnelle complexe pour ne pas dire opaque et donc pas toujours bon marché. Autre fait : ces prêts sont parfois adossés à des actifs, ou à des matières premières, voire en échange de concessions.
En clair, «les banques chinoises semblent privilégier des outils issus des contrats de prêts privés, sécurisant à la fois leurs remboursements et leurs intérêts stratégiques». L’exemple du port de Hambantota au Sri Lanka, qui avait dû être cédé pour 99 ans par l’État sri lankais à la China Merchants Port Holdings Company Limited suite à l’incapacité du Sri Lanka d’honorer son service de la dette auprès de la Chine a marqué les esprits et nourri des craintes. La note du Trésor français se veut plus nuancée, car «il existe à ce jour peu d’exemples de mise en œuvre de ces clauses, qui conserveraient une fonction avant tout dissuasive».
2020, un tournant et des questions
2020 a marqué un tournant, car la Chine s’est engagée pour la première fois à collaborer au Club de Paris et à participer aux efforts collectifs de restructuration de la dette, même si les résultats se font attendre. «Selon une étude du Rhodium Group21, un quart des montants prêtés par la Chine (94 Mds USD; dont 43 % par la CDB) a fait l’objet de renégociations bilatérales, et ce, avant même la pandémie», informent les auteurs de la note du Trésor.
Dès lors, que faut-il attendre du nouveau Focac, alors que ces dernières années les annonces sont apparues comme des ajustements aux investissements précédents et que l’influence chinoise a diminué sur le continent ? Du côté africain, après la première récession économique de 2020, l’attente de nouvelles lignes de crédits a augmenté la pression sur l’issue des discussions. Lors du dernier sommet de 2018, Pékin s’était engagé à financer les gouvernements africains à hauteur de 60 milliards de dollars US (environ 51,4 milliards d’euros).
Une nouveauté : la réflexion vers d’autres partenaires que la Chine
Cela dit, en l’espace de trois ans, les lignes ont bougé concernant ces annonces de financements massifs à cause du poids de l’endettement. Dans certains pays, les populations n’hésitent plus à pointer du doigt la Chine et ses entreprises, et au niveau des États, les dirigeants réfléchissent à des alternatives, en se tournant notamment vers d’autres partenaires. L’essor des investissements étrangers reflète cette volonté des États africains qui, face à des niveaux d’endettement croissants repensent leurs modèles de développement. Le changement est notable, au moins sur la forme, par rapport à l’apparente lune de miel de ces 20 dernières années.
«Pour que le Focac soit au service des citoyens africains», analyse le Centre africain d’études stratégiques, « les dirigeants africains et chinois doivent être tenus responsables, et garantir la transparence des accords conclus».
La Chine est souvent décriée et pourtant…
«Aucun pays africain n’est tombé dans un ‘piège de la dette’ à cause de la coopération avec la Chine, mais les gens et les médias africains sont vulnérables à cette théorie, ce qui a créé des doutes au niveau local sur les investissements chinois. Cela nécessite notre grande attention et prudence», a déclaré Wang Xiaoyong, vice-président et secrétaire général du Conseil des affaires sino-africain (China-Africa Business Council), dans une récente interview.
Bien qu’en baisse, l’influence de la Chine reste en général perçue positivement par les populations. Selon l’étude publiée par Afrobarometer en septembre 2020 à partir de sondages effectués dans 18 pays africains, le modèle de développement chinois est considéré par 23 % des sondés comme le meilleur modèle, derrière les États-Unis (32 %) et devant les anciennes puissances coloniales (11 %) et l’Afrique du Sud (11 %).
Ce chiffre est de 43 % et 57 % respectivement chez les deux principaux bénéficiaires de prêts chinois en Afrique subsaharienne (Angola et Éthiopie). «Le poids de la dette due à la Chine peut cependant détériorer son image», avertit le Trésor français, comme l’ont illustré les manifestations survenues ces dernières années en Zambie et au Ghana en passant plus récemment par la RDC à propos du contrat du siècle signé entre l’ex-président Joseph Kabila et la Chine en 2008, contrat qui devait permettre, en contrepartie, la construction de nombreuses infrastructures qui n’ont toujours pas vu le jour.
Avec Le Point Afrique