Goma crie «Tuna choka ou Nous sommes fatigués», Kinshasa dit : «30 ans, ça suffit !». Et après ?

Bunia, 2018. En reportage dans le chef-lieu de l’Ituri, nous visitons un camp des déplacés de guerre situé entre le dépôt de Bralima et le campus de l’ISP, déplacés en provenance de Djugu. 

Pour la deuxième fois en l’espace de 9 ans, nous nous révoltons des conditions d’hébergement des victimes des atrocités perpétrées par des groupes armés prétendument nationaux, mais en réalité communautaires.

Pour ce faire, nous publions des images de comparaison entre un camp des réfugiés Syriens en Turquie et un camp des déplacés de guerre congolais. Justement celui de Bunia. Ceux-ci sont un enfer; ceux-là un paradis.

Neuf ans plus tôt, nous nous trouvons à Goma. Un reportage effectué au camp des déplacés de guerre de Mugunga 1 nous décontenance et déconcerte : ici, c’est plutôt l’enfer par rapport au paradis que devient Bunia !

Les tentes se ressemblent. Elles sont faites avec les mêmes matériaux : branches d’arbre servant de charpente et couvertes de bâches de diverses provenances sur lesquelles la mention UN (Nations Unies apparaît. Ces bâches sont faites de sacs, sachets, cartons, nattes et tôles de récupération etc.

En plus, les conditions météorologiques sont terribles à Goma. Il y fait trop froid, surtout après la pluie.

Pour se réchauffer, il faut allumer le feu et l’entretenir en restant éveillé. Car la moindre étincelle au contact avec la paille, c’est le brasier assuré.

Le pire, toutefois, c’est le relief ondulé, résultat des larves de chaque éruption volcanique. C’est sur ce sol rocailleux et ondulé qu’on fait la literie qui avec une natte, qui avec un matelas, qui avec de la paille.

Déjà, l’accès à l’eau étant problématique, on imagine la suite avec l’état des toilettes communes.

La promiscuité et la saleté sont à l’origine de différentes maladies citées par ordre alphabétique : choléra, dengue, diarrhée, dysenterie, gale, hépatite A, malnutrition, onchocercose, paludisme, poliomyélite, schistosomiase, teigne, trachome, typhoïde…

Gratuité de l’enseignement de base ou de l’accouchement dans ces endroits : nada !

Toute une génération d’enfants non scolarisés. Un vivier pour groupes armés.

On ne peut pas visiter un camp des déplacés de guerre et en sortir sans sentiment de révolte : révolte à l’égard de ceux qui prennent ou reprennent des armes pour faire valoir leurs revendications; révolte à l’égard de ceux qui pratiquent la loi du Talion «œil pour œil, dent pour dent»; révolte à l’égard principalement de ceux qui font de la guerre une source d’enrichissement.

Quand on n’a pas été dans un quelconque camp de déplacés de guerre à l’Est et vécu dans la chair les réalités locales, on ne peut pas comprendre le sens des appels au dialogue que lancent certaines personnes morales ou physiques, peu importe leur positionnement. Certaines pour en avoir fait ou pour en faire l’expérience ; d’autres pour en avoir vu les images insupportables.

Généralement, la situation est différente de celle des camps des réfugiés sous administration directe du Hcr. Les réfugiés quittent leurs pays d’origine pour les pays d’accueil. Ils sont totalement pris en charge par les Nations Unies qui leur fournissent gîte et couvert, en plus d’une prise en charge médicale, scolaire et sécuritaire certaine.

Par contre, les déplacés de guerre, eux, vivent dans leur propre pays. L’assistance humanitaire ne leur est pas garantie. A la moindre menace pesant sur leur camp, les humanitaires plient bagage. Et quand l’Etat n’est pas en mesure de les encadrer (comme c’est le cas pour le Gouvernement congolais), les déplacés sont obligés de rentrer dans leurs villages pour récupérer qui du maïs abandonné dans les champs ou dans le grenier, qui un régime de banane, qui encore une poule, des aliments abandonnés pendant la fuite. Ils le font avec tous les risques, au mieux, de se faire voler ou violer, au pire de se faire tuer !

Et que fait-on à Kinshasa ?

On est dans la jouissance pleine et totale, passant des petits fours d’une conférence à ceux d’un mariage ou d’un bain de consolation.

Les responsables (?) sont parfois entre deux avions ou deux TGV pour aller négocier la paix sans vraiment la vouloir, car l’effort de guerre est source de ponctions financières réservant la portion congrue aux militaires et aux policiers au front. Militaires et policiers qui n’hésitent plus d’utiliser le téléphone portable pour des «reportages en direct » les présentant dans le délaissement. Pour ration, une boule de bukari et un petit poisson salé. Ou encore un paquet de biscuit et la petite bouteille d’eau minérale ! Des militaires qui, au front, n’ont même pas de civière ou de brancard pour évacuer les blessés. Des militaires et des policiers secourus par la population. Dont les déplacés de guerre.

Quoi de plus normal que d’entendre Goma crier «Tuna choka» ou «Nous sommes fatigués», pendant que Kinshasa lance son nouveau slogan «30 ans, ça suffit ! », sans préciser si c’est pour un baroud d’honneur. Ou pour un chant de cygne…

Peut-être que le cri du cœur du Congolais pèse moins que celui de Volker Türk, Haut-commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme, lorsque ce dernier déclare : «Ce qui me brise le cœur, c’est de voir une population épuisée par la violence, épuisée par le conflit, épuisée par les horreurs de leur vie quotidienne (…) Ils ont besoin de voir un avenir. Et nous devons tous travailler dans ce sens », non sans préciser : « J’ai été à Goma et en Ituri; j’ai vu la souffrance des personnes qui sont affectées par la violence et le conflit. Il est clair que la communauté internationale doit se mobiliser pour trouver une solution à cela et soutenir la population congolaise».

Cette communauté a déjà une position connue : la solution est politique. Elle n’est pas militaire…

Omer Nsongo die Lema

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