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Guerre en Ukraine : face à Trump et Poutine, l’UE ne lâche pas Zelensky

Si les États-Unis peuvent se permettre d’abandonner l’Ukraine à Vladimir Poutine, il n’en va pas de même pour l’Union européenne (UE). Il s’agit certes d’une question de morale mais aussi celle de survie face à un régime russe qui, non content d’envahir et de dévaster un pays voisin, multiplie les actions hostiles à l’égard des États de l’UE.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie est entrée dans sa quatrième année. Cette guerre est pour l’UE une question très importante, pour une raison très simple : l’UE partage près de 2300 km de frontières avec la Russie (par la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, ces deux dernières étant frontalières uniquement de l’enclave de Kaliningrad) et près de 1300 avec l’Ukraine (par la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie).

Au moment où la nouvelle administration Trump, à Washington, semble prête à faire des concessions colossales à Moscou pour obtenir au plus vite un cessez-le-feu, quitte à contraindre Kiev à renoncer à une partie considérable de son territoire, l’UE se retrouve plus que jamais en première ligne pour défendre l’Ukraine face à l’agression russe. 

REFUS D’UNE UKRAINE INDÉPENDANTE  

L’histoire et la géographie de l’Ukraine ne sont ni plus ni moins complexes que celles de la plupart des autres États de l’espace mondial. L’indépendance moderne de l’Ukraine a eu lieu en même temps que celle de la Russie et des anciennes Républiques socialistes soviétiques en 1991.

Lorsque la Russie a remis en cause les frontières orientales de l’Ukraine à partir de 2014, elle l’a fait par la force, avec les actions d’une guerre hybride dans le Donbass, et non par la diplomatie ou le droit international. Les régions d’Ukraine annexées par l’État russe (Crimée en 2014 ; Donetsk, Lougansk, Kherson, Zaporijiia en 2022) ne lui ont pas été rattachées suite à des processus d’autodétermination dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les référendums organisés par Moscou dans chacune de ces régions – dont aucune à l’exception de la Crimée n’est entièrement occupée par la Russie – n’ont été que des parodies de scrutins démocratiques. Ils ont été mis en œuvre en violation du droit international. 

Si l’histoire et la géographie permettent de comprendre la complexité de la relation ukraino-russe, leur mobilisation comme facteur explicatif de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe relève du discours et d’une représentation politiques et non d’une explication causale de sciences humaines et sociales.

L’invasion russe de l’Ukraine stupéfait le monde. Et pour les Ukrainiens, qui voient depuis 2014 leur voisin comme un agresseur, la guerre totale qui leur est imposée est la preuve que la Russie n’accepte pas leur indépendance. 

Des universitaires, dont les recherches portent sur l’Ukraine ou sur la Russie, expliquent mieux que n’importe quel argument ce qui est à l’œuvre dans cette politique d’invasion de la première par la seconde. Anna Colin Lebedev, sociologue et politologue française, dans ses recherches sur les sociétés post-soviétiques, tend à démontrer comment cette région du monde a été façonnée par le point de vue et le récit de l’État russe. La terre d’Ukraine ne peut avoir d’existence que dans sa condition d’une société dépendante, dominée ou assujettie.

Sergueï Medvedev, historien russe, spécialiste de la période postsoviétique, et Marie Mendras, politologue française, spécialiste de la politique russe, ont récemment conclu dans leurs travaux respectifs que cette guerre d’invasion est un calcul politique savamment mené par le régime poutinien depuis vingt-cinq ans. En réalité, Vladimir Poutine veut renverser l’ordre international pour   reconstituer L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). 

LA GUERRE ÉRIGÉE EN SYSTÈME D’ÉTAT    

Vladimir Poutine a peur des États démocratiques et des sociétés libres.  L’homme  préfère la guerre à la paix, la confrontation à la négociation. Comme dans toute tyrannie, la tentation est grande d’user de la violence contre sa propre population et contre les « ennemis » de l’extérieur, car le tyran ne connait plus de limites.  

Les massacres de civils ukrainiens à Boutcha, en grande banlieue de Kiev, le 31 mars 2022, et la destruction des infrastructures civiles, énergétiques… de l’Ukraine, l’enrôlement massif et forcé des jeunes Russes, le recrutement des prisonniers dans l’armée pour aller combattre témoignent de l’anarchie tyrannique de Poutine.   

L’agression de l’Ukraine apparaît  comme le prolongement de cette culture de la guerre érigée en système d’État. La guerre est l’horizon de principe et le mode de fonctionnement du pouvoir poutinien. Nul n’est sans savoir que Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir grâce à une guerre de terreur en Tchétchénie. Il a ensuite consolidé sa position dominante en menant une stratégie de confrontation permanente contre tous ceux qui lui tenaient tête, des Ukrainiens aux Georgiens, des dirigeants de l’opposition russe aux journalistes et acteurs économiques indépendants.

LES EUROPÉENS UNIS GARDENT LE CAP   

De cette invasion à grande échelle, dont le but avoué est la disparition de l’Ukraine en tant qu’État – au motif que le peuple ukrainien serait une fiction et ses dirigeants des nazis -, les Européens comprennent que la Russie et l’UE, qui partagent désormais des frontières communes, n’auront jamais la même pratique politique. Pour les Européens, le régime politique russe est une menace pour la stabilité, voire l’existence de l’UE. Plusieurs pays frontaliers de la Russie ou de l’Ukraine comme la Moldavie, la Géorgie, les pays baltes, la Finlande… s’inquiètent particulièrement des ambitions russes en Europe, de peur que leur propre intégrité territoriale soit bafouée.

De fait, la Russie mène depuis 2014 des actions de guerre hybride à l’encontre de l’UE : violation régulière de ses espaces aériens et maritimes, des cyberattaques, ingérences et manipulations digitales  dans les campagnes électorales européennes, financement des partis politiques illibéraux et eurosceptiques… Des pratiques qui horripilent les Européens.

Voilà pourquoi, dès février 2022, les Européens ont décidé de sanctionner la Russie dans divers domaines (Énergie, embargo sur les diamants et l’or russes, banques et finance, transports, commerce, armes, médias, interdiction de séjour et gel des avoirs de Vladimir Poutine, d’oligarques russes…). Dans l’ entre-temps, ils ont choisi de soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine : aide financière, envoi d’armes aux Ukrainiens, accueil de réfugiés ukrainiens… L’aide cumulée des Européens, tous secteurs confondus, est aussi importante que celle fournie par les États-Unis sous l’administration Biden. 

Les Européens unis gardent le cap : celui d’un accord de paix globale apportant une garantie de sécurité pour l’Ukraine et le retour à sa pleine souveraineté. Ils l’ont réaffirmé sans ambigüité, le 24 février 2025, à Kiev, et aussi lors de la visite d’Emmanuel Macron à Washington, à la Maison Blanche, à la même date. Ils l’ont redit, le 28 février 2025, après la discussion houleuse entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump (avec J.D. Vance, vice-président, idéologue sans concession de l’administration Trump) dans le bureau ovale.  

Au même moment, à New York, à l’ONU, On vient d’assister à la naissance d’un axe américano-russe dans le vote d’une résolution sur « la paix en Ukraine » qui ne mentionne ni l’agresseur ni les territoires conquis et occupés. Les pays européens ont refusé de la soutenir.   

La reconfiguration de la politique étrangère des États-Unis engagée par l’administration Trump correspond largement à la vision de la Russie. Ce rapprochement entre Washington et Moscou, un revirement inédit, a pour conséquence de faire des Européens le principal adversaire du Kremlin, l’UE étant désormais dénoncée comme un fauteur de guerre et comme l’incarnation d’un monde révolu.

En fait, l’objectif commun à Donald Trump et à Vladimir Poutine est de marginaliser les Européens qui ont largement contribué à l’assistance militaire, financière et humanitaire à l’Ukraine.

Le retour de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis pose donc une question simple : les Européens sont-ils en capacité de poursuivre leur démarche de soutien à l’Ukraine, dès lors que les Américains cessent de soutenir le pays de Volodymyr Poutine et adhèrent au narratif des Russes ?

Le Sommet de Londres sur la sécurité de l’Ukraine convoqué par le premier ministre britannique, Keir Starmer, le 2 mars 2025, qui a connu la participation des dirigeants de onze États membres de l’UE (Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Pays Bas, Pologne, Roumanie, Suède et Tchéquie) du Canada et de la Norvège, ainsi que le ministre des Affaires étrangères turc, a montré que les Européens font front commun et soutiendraient l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudrait ». 

Les alliés de l’Ukraine, ce jour-là, ont réaffirmé leur soutien sans faille à l’Ukraine et à son président, Volodymyr Zelensky. Ils continuent dans la même direction, en dépit des pressions grandissantes de la nouvelle administration américaine. Le comportement de Donald Trump, loin de fragiliser la cohésion et la détermination des Européens, semble au contraire non seulement de les renforcer, mais il rapproche des pays qui s’étaient de plus en plus différenciés et présentaient des fondamentaux très contrastés.

À preuve, en dépit du Brexit, le Royaume-Uni s’est pleinement impliqué dans les discussions relatives à la sécurité du continent et a augmenté son aide bilatérale à l’Ukraine.

Face à Trump et Poutine, l’UE – élargie à d’autres pays-  ne lâche pas Zelensky. L’assistance sécuritaire à l’Ukraine se poursuivra « jusqu’à ce qu’une paix juste, globale et durable soit atteinte », selon le porte-parole du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, Christophe Lemoine. La résolution de soutien à l’Ukraine adoptée par les députés français, mercredi 12 mars en fin de soirée, appelant notamment à saisir les avoirs russes, va dans ce sens.   

Robert Kongo (CP)

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