Le coup de force à Ouagadougou du lundi 24 janvier 2022 a-t-il eu un élément déclencheur? Est-ce une surprise? Décryptage à chaud des événements.
Après un week-end de manifestations et de mouvements d’humeur dans plusieurs casernes du pays des hommes intègres, le 24 janvier 2022, des militaires burkinabès ont destitué le président Kaboré. En uniformes, des militaires du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) ont annoncé leur prise de pouvoir au Burkina Faso lundi soir à la télévision. Lisant un communiqué signé du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, président du MPSR qui assure désormais le pouvoir, un capitaine a également annoncé la fermeture des frontières dès minuit, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, ainsi que la suspension de la Constitution. Les putschistes se sont engagés au «retour à un ordre constitutionnel» dans «un délai raisonnable».
Cependant, depuis 2015, le Burkina Faso est dans l’œil du cyclone des djihadistes, avec une multiplication des attaques. Plusieurs manifestations de colère ont eu lieu ces derniers mois dans différentes villes. L’état-major militaire a été plusieurs fois remanié pour calmer les soldats et les populations. Le président Kaboré était de plus en plus seul. Président d’honneur et membre fondateur du collectif issu de la Société civile « Sauvons le Burkina Faso », Ibrahima Maïga, en observateur politique averti, décrypte pour Le Point Afrique l’évolution de la situation.
Comment analysez-vous les événements en cours ?
Les mutineries, l’arrestation du président Kaboré et tout ce qui se passe actuellement ne sont que la conséquence de la démission du gouvernement. Il faut bien comprendre que ce gouvernement avait l’opportunité de réussir s’il avait avec lui l’ensemble des forces vives de la nation autour de l’idéal de la patrie. Mais force est de constater qu’en plus de n’avoir pas réussi à unir les citoyens, ils n’ont pas pu faire de grandes avancées dans la lutte contre l’insécurité et dans la lutte contre les djihadistes. Et certaines décisions du président ont pu être assimilées à une démission totale.
Qui sont les mutins qui disent détenir le président ?
Ces mutins, ce sont de jeunes cadres dynamiques qui veulent trouver des solutions face à la situation sécuritaire que nous traversons et mettre un terme à la situation de division dans laquelle le Burkina Faso est plongé depuis l’arrivée de Roch Marc Christian Kaboré au pouvoir. Il y a deux fronts ouverts : politique et militaire. Ce qu’ils peuvent faire dans un premier temps, c’est prendre contact avec l’ensemble des acteurs de la vie politique du pays sans exception, quand ils feront ça, je pense que ça ira. L’autre défi pour les mutins est de faire comprendre aux plus jeunes que ce n’est pas la coopération avec la France ou avec la Russie qui fera la différence. Ce qui fera sens, ce sera la voie que nous allons prendre en tant que peuple burkinabè et de sacrifier ce que nous serons prêts à consentir pour que notre pays puisse s’en sortir.
Est-ce vraiment le bon moment alors que le pays est traversé par de nombreuses crises et aussi en observant ce qui se passe pour les autres États qui ont connu un coup d’État ces dernières années ?
Le Burkina Faso est dans une situation spécifique. Déjà, vous savez, c’est un petit pays comparé aux autres. En plus de ça, la grande majorité du territoire national est tombée entre les mains des groupes armés, et le régime ne faisait aucun effort pour que ça s’arrête. Au contraire, ils ont politisé l’armée, ils l’ont divisée, et ça a fait une armée inefficace. Dans le contexte du Burkina Faso, c’est un pays qui est déjà couché, et quand on est couché, on ne peut pas tomber parce qu’on est déjà à terre. Je suis convaincu que c’est le bon moment pour le pays afin qu’il se donne un nouvel espoir, et qu’il retrouve ses repères.
Quels sont les griefs à l’encontre du président Kaboré ?
Que des gens meurent en temps de guerre, on peut le comprendre, mais que le chef de l’État ne se soit pas rendu une seule fois en six ans aux obsèques d’aucun de ces soldats morts, ce n’est pas compréhensible. Pendant qu’on dépense des dizaines de millions de francs CFA pour acheter des voitures pour des ministres, on envoie des soldats ou des gendarmes sur les théâtres de l’opération le ventre vide. Je sais de quoi je parle, puisque des soldats envoyés à Inata dans le Nord m’ont fait parvenir toutes les preuves de leurs appels au secours adressés à leur hiérarchie et encore plus haut sans que personne n’intervienne sur leur cas. Ils attendaient depuis quinze jours au moins un ravitaillement en vivres, avant qu’ils ne se fassent massacrer par les djihadistes le 14 novembre 2021. C’est donc cette succession de dysfonctionnements qui a engendré les événements que l’on vit aujourd’hui.
À partir de juin 2021, j’ai compris que la situation allait mal tourner. Parce que, quand on analyse les faits, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un problème de compétence de nos soldats, mais de la négligence, et même un abandon on peut dire. Il y avait comme un refus d’agir.
En fait, il y a un paradoxe parce qu’on n’a pas besoin de moyens pour aller, par exemple, aux obsèques nationales rendues aux soldats. On n’a pas besoin de moyens pour aller rendre visite aux blessés de guerre qui sont dans la ville de Ouagadougou, soit à quelques kilomètres seulement du palais présidentiel. L’escorte du président y passe quasi quotidiennement. Mais, en six ans de présidence, Roch Marc Christian Kaboré n’a jamais été voir les blessés de guerre. Pourtant, il y a eu nombre d’hommages nationaux, de jours de deuil décrétés, etc. Quel que soit l’état de pauvreté dans lequel se trouve l’État burkinabè, on ne peut pas manquer de ressources pour nourrir nos hommes qui sont sur le front en train de se battre. Là où le bât blesse, c’est que les soldats envoyés à Inata, par exemple, étaient déployés pour sécuriser le matériel d’une société minière qui ne fonctionne même pas ! Dire qu’ils se sont fait massacrer avec la faim au ventre.
Au-delà de ce drame, il faut savoir que le budget de l’armée a été multiplié par cinq sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré, sauf que les conditions de vie des militaires ne se sont pas améliorées du tout. La principale raison est d’ordre politique. Au lieu d’utiliser les circuits normaux pour passer les commandes de matériels militaires, on donne des contrats à des sociétés dirigées par des proches du chef de l’État et pas à même de répondre à la commande. Je vous donne un exemple : s’il devait y avoir une attaque de nuit, seul un hélicoptère de Barkhane interviendrait pour savoir ce qui se passe. Pourquoi ? Tout simplement car le Burkina Faso n’a aucun moyen de se défendre parce que nos dirigeants préfèrent détourner les ressources et confier des marchés à des proches au détriment de nos armées.
Est-ce qu’il n’y a pas un effet de mimétisme avec ce qui se passe au Mali ?
Le cas du Burkina Faso est complètement différent du cas du Mali. L’armée malienne a une culture des coups d’État. C’est vrai qu’il y a eu des coups d’État au Burkina Faso. Toutefois, ces derniers ne sont pas du fait des militaires, mais plutôt des populations qui poussent. En plus, il n’y en a pas eu depuis le départ de Blaise Compaoré en 2015. Nos militaires n’allaient jamais faire un coup d’État si la situation n’était pas arrivée à un point extrême. C’est la survie même du pays qui est en jeu ici et qui est menacée. Il n’y avait pas d’autres alternatives.
Il y a tout de même eu des manifestations de soutien au Mali à la suite des sanctions de la Cedeao ?
C’est parce que la Cedeao ne voit pas le mal qu’elle fait aux populations. Ces sanctions pénalisent plus les populations que les régimes, alors que ce sont ces derniers qui devaient être visés. L’autre élément, c’est le deux poids, deux mesures de la Cedeao que la jeunesse africaine, et en tout cas la jeunesse de la bande sahélienne, rejettent. Alors que les chartes de l’Uemoa et de la Cedeao interdisent les modifications de la Constitution, plusieurs dirigeants, dont notamment le président ivoirien, ont modifié leurs textes et sont restés au pouvoir. Et ce sont les mêmes qui se sont réunis l’autre jour pour sanctionner un autre régime, c’est ce qui était inacceptable. Avec les tensions actuelles entre la France et le Mali, beaucoup ont l’impression que la Cedeao est en train de mener une guerre par procuration au nom de la France contre le Mali.
Et comment expliquez-vous ce qui s’est passé autour du convoi militaire français à Kaya ? C’était le même mouvement anti-présence française qu’au Mali ?
Il s’agissait d’une manipulation totale de la part du gouvernement burkinabè. En réalité, un mouvement était en train de s’organiser pour demander le départ du président Kaboré, à la suite justement de l’attaque d’Inata. Et tout a été fait pour que l’attention soit mise ailleurs, et notamment sur ce convoi français. L’idée était de détourner l’attention des populations et aussi de dire que le chef de l’État s’est opposé aux Français, le présenter comme celui qui a résisté, donc de mobiliser les jeunes autour de sa personne.
Propos recueillis par Viviane Forson (Le Point Afrique)