C’est un authentique pavé dans la mare ou pire, un véritable coup de tonnerre dans le ciel faussement serein de la Cour constitutionnelle. A la veille de l’examen ce vendredi 27 octobre 2023 par la Haute Cour d’une douzaine de dossiers relatifs aux contentieux électoraux, dont celui mettant en question la nationalité du candidat Moïse Katumbi, l’ancien Garde des Sceaux Alexis Thambwe Mwamba est sorti de son silence pour affirmer que l’ancien gouverneur du Katanga n’a jamais joui de la nationalité italienne. Il affirme qu’il avait en personne fait établir en son temps un certificat de nationalité jamais annulé à ce jour. La sortie médiatique de l’ancien président du Sénat, l’un des rares caciques du FCC à n’avoir pas traversé la rue pour rejoindre avec armes et bagages l’Union sacrée, on le conçoit, est de nature à mettre la Cour constitutionnelle et les auteurs des deux requêtes en invalidation, Noël Tshiani (lui-même candidat à la présidentielle) et un certain Tshivuadi Mansanga, dans un profond embarras. A moins d’apporter de nouvelles preuves étayant leurs allégations qui ne feraient pas le poids devant une Cour résolument indépendante et apolitique.
S’exprimant sur une radio étrangère (Radio France internationale en l’occurrence), Alexis Thambwe Mwamba n’y est pas allé par quatre chemins, déclarant d’emblée que Moïse Katumbi n’a jamais eu la nationalité italienne.
«J’ai délivré un certificat de nationalité à Katumbi et ce certificat n’a jamais été annulé. Il faut laisser la candidature de Katumbi et il ne faut pas embraser le pays […] Je n’avais jamais eu la preuve que Moïse Katumbi était Italien. Il y a eu des dénonciations qui ont été réfutées par l’avocat de Moïse Katumbi, Me Eric Dupont-Moretti (Actuel ministre de la Justice de la République française. ndlr) qui a écrit à la commune de San Vito Dei Normanni. En réaction, l’administration italienne a confirmé que Moïse Katumbi n’a jamais eu la nationalité italienne. Ce débat est une distraction, un faux débat ».
Pour étayer son argumentaire, l’ancien ministre de la Justice et Garde des Sceaux sous le régime du président Joseph Kabila fait référence à la démarche entreprise en 2018 par l’avocat français de Moiise Katumbi, Me Eric Dupont-Moretti. Face à la polémique naissante et à la veille des élections de cette année-là, alors que son client était en exil, ce dernier avait adressé le 9 juillet 2018 une correspondance à ce sujet au maire de la commune italienne de San Vito Dei Normanni (Province de Brindisi dans les Pouilles). La réponse reçue à l’époque du maire Domenico Conte était sans équivoque : « Nous ne pouvons fournir aucune information quant à la nationalité de Moise Katumbi Chapwe en ce que celui-ci n’est pas inscrit – et n’a jamais été – au registre de l’état civil et/ou de la population des citoyens de San Vito Dei Normanni ».
L’on pourrait croire qu’à ce stade le dossier est clos, sans préjudice bien évidemment des soubassements politiques qui poussent à l’invalidation d’un candidat qui, manifestement, fait peur au camp des tenants du pouvoir. Quitte aux requérants d’apporter de nouvelles preuves qui viendraient soutenir la thèse mortifère de « Congolais de père et de mère », une invention basée sur un projet de loi taillé sur mesure, et tendant à écarter Moise Katumbi de la course à l’élection présidentielle.
KATUMBI, LE PARFAIT BOUC EMISSAIRE ?
Le revirement spectaculaire de Me Thambwe Mwamba est à plus d’un titre interrogateur. Lui qui, dans les remous préélectoraux de 2018 déclarait à l’annonce d’un éventuel retour d’exil de Katumbi : «Dès qu’il met le pied sur le sol congolais, je l’arrête !» et revenu à une forme de sagesse morale qui ne manquera pas de recadrer la suite du processus électoral, dès lors que sa déclaration apparaît comme un défi lancé à la Cour constitutionnelle.
Quant au concerné, il ne semble pas faire grand cas de accusations dont il fait l’objet depuis sa rupture d’avec l’Union sacrée de Félix Tshisekedi.
Souvent, sur le mode ironique, il ne manque pas de se gausser du costume de bouc émissaire dont il est régulièrement affublé, renvoyant dans le cordes ses détracteurs qui lui font porter le chapeau de la vie chère, le manque d’électricité, la non-prise en charge des déplacés de guerre, le salaire médiocre des fonctionnaires et militaires, le manque des bourses aux étudiants congolais, le manque des bancs dans les écoles ou des médicaments dans les hôpitaux.
Ensemble alerte la Cour constitutionnelle
Craignant un coup fourré au niveau de la Cour constitutionnelle pour invalider son leader à la présidentielle de décembre, Ensemble pour la République, parti politique de Moïse Katumbi, a pris le soin d’alerter, par une lettre datée du 25 octobre 2023 et signée par son secrétaire général, Dieudonné Bolengetenge, le président de la haute Cour, Dieudonné Kamuleta, sous l’intitulé «Démenti formel sur la prétendue détention d’une nationalité étrangère par notre candidat à l’élection présidentielle, Moïse Katumbi Chapwe»
D’emblée, le SG de Ensemble note : «Notre parti a eu vent, depuis un certain temps, la détention par notre candidat à l’élection présidentielle, Monsieur Moïse Katumbi Chapwe, d’une nationalité autre que congolaise qu’il a toujours fièrement portée pourtant. Après avoir été notifié de la requête sous RCE 011/PR de Monsieur Tshiani K. Muadiamvita Noël, nous avons enfin compris l’origine de ces rumeurs et prenons, d’ores et déjà, soin d’apporter un démenti formel ».
Il continue : «Il ne fait l’ombre d’aucun doute, que Monsieur Tshiani, après son échec patent de faire passer une loi inconstitutionnelle au parlement, tente, par un acharnement injustifié, de revenir à la charge en faisant des déclarations d’une légèreté inacceptable pour quelqu’un qui aspire à briguer la Magistrature suprême de notre pays».
Se référant au passé récent de Tshiani, qui a échoué à faire passer au Parlement sa proposition de loi sur la «congolité», Dieudonné Bolengetenge indique : «Il y a lieu de rappeler à Monsieur Tshiani qu’en République Démocratique du Congo, seul le Certificat de nationalité délivré par l’Autorité compétente, en l’occurrence le Ministre de la Justice, fait foi quant à la possession de la nationalité congolaise. Et que la contestation de la nationalité, même d’un challenger gênant, ne saurait se faire en se basant sur les coupons de presse é la manière d’un puzzle ».
Avant de lever toute équivoque : « Notre candidat, Moïse Katumbi Chapwe est bel et bien détenteur de son certificat de nationalité congolaise. Monsieur Tshiani, qui se spécialise vraisemblablement dans la collection des coupons de presse, n’a aucune compétence pour statuer sur la nationalité des citoyens congolais, peu importe l’adversité, l’animosité ou même la haine qu’il porte contre l’un d’eux. Il ne saurait en être autrement d’autant plus que dans le cas de notre candidat, la réponse de l’administration italienne à la lettre de Maître Eric Dupond-Moretti, son avocat conseil de l’époque et actuel Ministre français de la Justice, est à ce sujet sans équivoque; car il y est dit clairement que Moïse Katumbi Chapwe n’a jamais été détenteur de la nationalité italienne».
Et de poursuivre : «C’est dans le même souci de taire définitivement des rumeurs gratuites entretenues, notamment par Monsieur Tshiani qui se dévoile de plus en plus, que notre candidat, par le biais de son cabinet conseil ‘Mwamba & Milan Advocates’, a également saisi l’administration zambienne dont la réponse non équivoque, par l’entremise de son Ministre des Affaires étrangères, établit que Monsieur Moïse Katumbi Chapwe n’a jamais été répertorié comme citoyen zambien».
A ce titre, Ensemble pour la République est convaincu qu’ « il s’agit là encore et somme toute, d’une affabulation à laquelle nous a habitué malheureusement Monsieur Tshiani K. Muadiamvita Noel, après l’épisode raté de passage de sa pseudo proposition de loi, notoirement anticonstitutionnelle ».
Dieudonné Bolenge-tenge termine sa correspondance par un appel à la sagesse de la Cour constitutionnelle : «La présente vous étant adressée à toutes fins que de droit, nous espérons qu’elle vous aura édifié ».
Qu’en sera-t-il ? Nul ne le sait.
Toujours est-il que c’est aujourd’hui vendredi que la Cour constitutionnelle a fixé l’affaire qui oppose Noël Tshiani à Moïse Katumbi. A ce stade, il n’y a donc aucune spéculation – la sentence finale revenant à la Cour constitutionnelle, dernier rempart pour prétendre à la présidentielle du 20 décembre 2023.
C’est dire que le sort de Moïse Katumbi Chapwe, candidat validé en première instance par la CENI, dépend de huit juges constitutionnels qui siègent au tout de leur président, Dieudonné Kamuleta Badibanga.
Econews