Jean-Pierre Bemba, vice-premier ministre en charge de la Défense, vient de s’éjourner à Goma pendant 48 heures. Une visite centrée sur l’évaluation de la situation sécuritaire au Nord-Kivu, province sous état de siège. Son séjour, dont les détails n’ont pas été divulgués, est intervenu au moment où il ne cesse d’alerter le gouvernement sur les préparatifs du M23 et ses soutiens rwandais de donner un assaut sur la capitale provinciale du Nord- Kivu. Sans nul doute que la présence de la force régionale de l’East African community qui suscite la méfiance de Kinshasa n’ont été à l’ordre du jour, ainsi que les préparatifs de l’arrivée annoncée du contingent de la SADC. Finalement, le VPM Bemba, de retour à Kinshasa mardi, n’aura passé que 48 heures au Nord-Kivu. Sans impact réel sur le terrain
Pour son premier déplacement en province depuis son entrée au gouvernement Sama II en mars 2023, ce n’est pas un hasard si le VPM en charge de la Défense a choisi de se rendre au Nord-Kivu où des enjeux sécuritaires s’entrecroisent, entre le manque d’efficacité de l’état de siège souvent dénoncé par la Société civile, une MONUSCO en pleine léthargie et une force régionale de l’EAC que le chef de l’Etat en personne accuse de «cohabiter» avec les rebelles du M23 et leurs alliés rwandais.
Il est rappelé qu’au cours de la réunion du Conseil des ministres du vendredi 9 juin 2023, le VPM Bemba avait affirmé que les forces de défense et de sécurité de la RDC restent en alerte permanente contre la coalition M23-RDF qui se renforcent avec des éléments en provenance du Rwanda, confirmant de fait les appels répétés de la Société civile du Nord-Kivu.
Dès sa descente d’avion, il a lancé un message aux mouvements armés actifs au Nord-Kivu : «J’invite tous les groupes armés dans le pays à déposer les armes et à prioriser la vision du chef de l’Etat qui est la paix». Par la même occasion, il a invité la population à compter sur les institutions du pays, sur l’armée particulièrement pour l’encadrement et le restauration de la paix et de la sécurité.
Preuve de sa détermination à faire bouger les lignes sur le front du Nord-Kivu, juste après son arrivée à Goma, le VPM Bemba a fait le tour des dernières positions de l’armée congolaise lors des affrontements contre les terroristes du M23.
Après Kibumba, le patron de la Défense nationale s’est rendu à Luhonga, en territoire de Masisi sur la route Saké – Kitshanga, à quelques kilomètres de Goma.
Le geste est certes fort, mais la veille de l’arrivée du VPM Bemba à Goma, au moins huit personnes ont été tuées dans la cité de Kasindi (territoire de Beni), frontalière de l’Ouganda, un massacre attribué aux insurgés ougandais de l’ADF. Et dans la nuit de dimanche, environ 40 délacés ont été massacrés sur le site de Lala dans la province voisine de l’Ituri, parmi lesquels de nombreux enfants. Ici, le forfait est attribué aux miliciens de la CODECO.
Quoi qu’il en soit, Jean-Pierre Bemba est un homme de poigne qui connaît les rouages des FARDC. Ancien chef de guerre, il se retrouve sur un terrain qu’il maitrise. Mais, depuis son incarcération à la CPI (Cour pénale internationale), la réalité est tout autre. Les FARDC ne sont plus ce qu’elles étaient au moment où Jean-Paul Bemba et ses troupes de l’armée de libération du MLC combattaient le régime de Laurent-Désiré Kabila.
L’ancien seigneur de guerre du MLC a finalement pris les commandes d’une armée fantôme qui ne serait plus que l’image d’elle-même. Mal commandée, mal équipée et rongée par la corruption, selon nombre d’observateurs, l’armée congolaise doit profondément se réformer. Félix Tshisekedi, qui peine à ramener la paix dans l’Est de la RDC après la mise en place de l’état de siège, place désormais sa confiance en Jean-Pierre Bemba, un homme de poigne pour remettre de l’ordre dau sein des FARDC.
Le leader du MLC, qui a, depuis lors, abandonné la vie militaire pour se concentrer à la politique, a perdu certains reflexes de guerrier, estiment certains observateurs. Mais, en le plaçant aux commandes du système national de défense, le Président Félix Tshisekedi a pris en compte sa proximité avec l’Ouganda de Yoweri Museveni.
A sa nomination, le site spécialisé notait : «Du temps où Jean-Pierre Bemba était à la tête de sa milice, il avait pour parrain l’Ouganda voisin. Ce qui tombe plutôt bien pour Félix Tshisekedi, qui compte sur Kampala pour lutter contre les ADF, un groupe armé affilié à l’Etat islamique, qui sévit en Ituri. En faisant entrer Bemba au gouvernement, le chef de l’Etat espère donc relancer la collaboration sécuritaire avec l’Ouganda. La nomination de Mbusa Nyamwisi, nommé à l’Intégration régionale, acte également cette volonté de repositionnement de Kinshasa envers son puissant voisin. Félix Tshisekedi avait déjà appelé Kampala à la rescousse pour combattre les ADF, mais sans résultat. Pire, le dernier rapport de l’ONU soupçonnait l’Ouganda d’avoir laissé entrer les rebelles du M23 prendre le contrôle de la ville frontière de Bunagana. Les ex-chefs de guerre, Bemba et Mbusa Nyamwisi (un des fondateurs de la rébellion du RCD) auront donc la délicate mission d’améliorer la coopération ougando-congolaise ».
Pour son premier voyage dans la zone meurtrie de la province du Nord-Kivu, Jean-Pierre Bemba s’est attiré une certaine sympathie de la population locale qui croit en sa capacité de neutraliser enfin la pieuvre de l’Est. Bemba, qui est au courant de la toute confiance placée en lui, est conscient de ne pas disposer d’un remède miracle. La situation de l’Est est si complexe qu’il ne veut pas se faire brûler les doigts en y allant par voie de démagogie. C’est en toute logique que, dès son arrivée à Goma, il a invité les groupes armés et tous ceux qui sèment l’insécurité dans cette partie de la RDC à déposer les armes et à adhérer à la vision de paix tracée par le Président de la République, Félix Tshisekedi.
Force régionale : les Kenyans menacent de partir
Si la force régionale de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), déployée dans l’Est congolais, a vu son mandat être prolongé jusqu’en septembre, le Kenya, qui dispose du plus important contingent, menace de se retirer de cette initiative. Ce qui devait fondamentalement réconforter – c’est selon – Kinshasa qui ne cache pas son animosité envers les troupes est-africaines.
«Le président kenyan William Ruto a prévu de dépêcher prochainement à Kinshasa plusieurs représentants de son appareil sécuritaire. La question du devenir des troupes de l’East African Community déployée dans l’Est de la RDC, et dans laquelle le Kenya joue un rôle majeur, sera au cœur de cette visite», rapporte Africa Intelligence. Et d’ajouter : «Une délégation kenyane se rendra dans les prochains jours à Kinshasa pour discuter des modalités du retrait de la force régionale de l’East African Community (EAC) déployée en RDC. Selon nos informations, elle devrait comprendre le ministre de la Défense, Aden Duale, la conseillère sécurité du président William Ruto, Monica Juma, et le chef d’état-major général de l’armée de terre, le lieutenant-général Peter Njiru ».
Alors que ça bouge au sein de la force régionale de l’EAC, de plus en plus, Kinshasa multiplie des révélations sur une imminente attaque de la ville de Goma par la coalition M23 et l’armée rwandaise. En même temps, la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) qui a promis de déployer ses troupes dans l’Est de la RDC tarde à passer à l’action. Le dernier sommet extraordinaire de la CIRGL à Luanda n’a pas élucidé ce problème. On suppose que la prochaine quadripartite, prévue le 23 juin 2023 à Luanda, entre la Cirgl, l’EAC, la SADC et l’UA, sur la situation spécifique de l’Est-congolais, pourrait certainement définir une action précise pour une paix durable dans cette partie de la RDC.
Econews