Depuis son départ de la présidence de la République en janvier 2019 dans ce qui est passé dans l’histoire comme «la première passation pacifique et civilisée du pouvoir», Joseph Kabila est resté muré dans le silence. Un mutisme qui, à la longue, en a exaspéré plus d’un, jusque dans les hauts cercles du pouvoir. Ni le mot fameux de Jean-Yves Le Drian évoquant de « petits arrangements à l’africaine », ni la rupture de la coalition FCC-CACH suivie du renversement de la majorité parlementaire en pleine législature, ni la pénurie de farine de maïs dans l’ex-Katanga et le Kasaï ; ni l’occupation de larges pans de la province du Nord-Kivu par le M23 et encore moins les interdictions répétées des manifestations pacifiques de l’opposition et les récentes perquisitions des propriétés privées, parfois en l’absence d’inculpation de leurs propriétaires ne l’ont fait sortir de sa réserve devenue légendaire. Jusqu’à ce vendredi 16 juin, à six mois des élections supposément prévues le 20 décembre, où il s’est enfin exprimé devant une brochette de cadres du FCC qui lui sont restés fidèles. Promettant de s’adresser bientôt à ses compatriotes congolais, il n’en a pas moins esquissé les grandes lignes de sa future déclaration que déjà les tenants du pouvoir qualifient de «non événement».
C’est dans sa ferme de Kingakati que l’ex-président de la République a réuni les fidèles parmi les fidèles du Conseil politique élargi du FCC. En bras de chemise et arborant sa barbe poivre et sel de rigueur, il est apparu souriant et pétillant de santé.
D’emblée, il a indiqué à l’assistance, composée de chefs de partis politiques, des députés nationaux, sénateurs, des membres des mouvements citoyens et de communicants, que son long silence n’était pas assimilable à un retrait de la vie politique.
BILLETS VERTS ET PALISADES
Concernant le renversement de la majorité parlementaire au second semestre de 2020, entraînant de fait la dissolution de la coalition RCC-CACH et la création de l’Union sacrée de la Nation autour du président Tshisekedi, son successeur, Joseph Kabila a déclaré que la démarche avait été favorisée par une corruption à grande échelle marquée par la distribution de billets verts et de Palisades (ces grosses cylindrées coréennes dont tous les députés et sénateurs avaient reçus au titre d’un «don» présidentiel).
Pourtant, a-t-il déclaré, «après les élections de décembre 2018, le FCC avait incontestablement gagné la majorité et ce, pour toute la législature 2019-2023. C’est cela que dit et défend la constitution. En octobre 2020, j’avais réuni près de 400 élus du FCC (députés et sénateurs) ici à Kingakati pour leur donner deux instructions : la résistance face à la dictature qui s’installait, et la discipline car il faut résister dans le respect des lois du pays, des engagements politiques et de la hiérarchie de sa famille politique (FCC). Fort malheureusement, beaucoup d’élus se sont ignoblement vendus en se faisant acheter par l’argent et les Palisades».
A ceux qui ont «trahi» leurs électeurs et participé au coup d’Etat constitutionnel, l’ex-président leur a adressé un message sans équivoque et qui ne passera certainement pas inaperçu : «Qu’ils sachent que ce n’est pas le FCC qu’ils ont trahi; mais leurs électeurs, la population congolaise, la République, leur dignité.Ils ont donc activement participé au coup d’Etat constitutionnel et institutionnel de décembre 2020. Ils en sont comptables à part entière».
UN FAISEUR DE ROIS ?
Quoique la quintessence du contenu de la réunion de Kingakati soit restée confidentielle, des sources proches du FCC ont indiqué néanmoins que les discussions ont porté sur la situation sociopolitique et sécuritaire, mais avec un focus particulier sur les enjeux électoraux.
En décidant de regagner l’arène politique et en promettant de s’adresser à la Nation dans les jours à venir, Joseph Kabila envoie un message fort aux uns et aux autres. Bien que dépourvu d’une majorité parlementaire, ses prises de position au fur et à mesure que les échéances électorales approchent seraient déterminantes dans la recomposition des forces politiques, lui conférant un statut de faiseur de rois.
Econews