Il est des chutes qui ressemblent à des effacements. Celle de Joseph Kabila, président de la RDC pendant 18 ans (2001-2019), en est l’illustration tragique. L’homme qui incarnait jadis l’autorité incontestée d’un État miné par les conflits et les richesses convoitées se retrouve aujourd’hui en marge, réduit à un rôle de spectateur depuis l’exil. Comment cet ancien chef d’État, artisan d’une transition qualifiée en 2019 d' » historique « , a-t-il pu glisser si vite vers l’inconnue ?
En décembre 2018, Joseph Kabila quittait le pouvoir après des élections contestées mais saluées pour avoir évité un bain de sang. La passation de pouvoir à Félix Tshisekedi, dans le cadre de la coalition FCC-CACH, devait incarner une » alternance pacifique « . Pourtant, ce mariage de convenance n’a résisté ni aux rivalités personnelles ni aux calculs de pouvoir. La dissolution de la coalition a sonné le glas d’une ère où Kabila croyait encore contrôler les rênes en coulisses. La réélection écrasante de Tshisekedi en 2023 a achevé de le marginaliser, transformant l’ancien président de la République en figure fantomatique, contrainte de commenter l’actualité depuis l’étranger.
Aujourd’hui, Joseph Kabila incarne un paradoxe : celui d’un homme à la fois craint et ignoré. Depuis début 2025, ses prises de parole trahissent une tentative désespérée de rester dans le jeu. Mais à Kinshasa, le régime surveille ses moindres mouvements, prêt à étouffer toute velléité de retour. Ses alliés d’hier, progressivement neutralisés ou ralliés à Tshisekedi, ne sont plus que l’ombre d’un réseau autrefois omniprésent. Reste une question : comment un homme ayant si longtemps dominé les arcanes du pouvoir a-t-il pu perdre aussi rapidement son emprise ?
La revanche de Félix Tshisekedi est cruelle. Fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, il a su retourner l’héritage de son père contre son ancien allié. En consolidant son pouvoir via une rhétorique nationaliste et une habile redistribution des ressources, il a réduit Kabila à l’impuissance. Pourtant, cette victoire n’est pas sans risques : en éliminant symboliquement son prédécesseur, Tshisekedi hérite aussi des attentes colossales d’une population lassée des luttes de clans. La stabilité du pays dépendra de sa capacité à transcender les vieux démons clientélistes.
La déchéance de Kabila soulève une interrogation essentielle : la RDC peut-elle enfin tourner la page des « hommes forts » au profit d’institutions durables ? Si la Cour constitutionnelle, l’armée et l’administration restent gangrenées par les loyalismes personnels, le risque de nouveaux cycles de revanche persiste. Le vrai test pour Tshisekedi ne sera pas d’effacer Kabila, mais de bâtir un État où aucun dirigeant ne puisse s’éterniser au sommet.
Joseph Kabila, désormais condamné à errer entre les capitales étrangères, incarne la mélancolie des dirigeants africains déchus. Son histoire rappelle que le pouvoir, même le plus absolu, n’est qu’un feu de paille sans ancrage institutionnel. Pour la RDC, l’enjeu est désormais de prouver que les leçons de cette chute ont été apprises : un pays ne se construit pas sur le charisme éphémère d’un homme, mais sur la force collective de ses lois.
Econews