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Karim Khan à Kinshasa : la CPI sort le grand jeu face à une crise oubliée de l’Est

Alors que les «terroristes» du M23, soutenus par près de 4.000 soldats rwandais, selon l’ONU, consolident leur emprise sur Goma et Bukavu et menacent Uvira, la Cour pénale internationale (CPI) monte au front. Son procureur, Karim Khan, en visite à Kinshasa, a averti mardi que «personne n’a de chèque en blanc» pour violer le droit humanitaire international, rappelant que les Congolais « valent autant que les Ukrainiens ou les Palestiniens». Dans un contexte d’offensive rebelle et de médiations régionales au point mort, la CPI réactive son enquête sur trois décennies de crimes dans l’Est de la RDC, où justice tarde à rimer avec paix.

Arrivé à Kinshasa dans un contexte d’urgence, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a affiché une détermination sans équivoque. «Nous sommes extrêmement inquiets des récents développements au Congo. La situation dans l’Est est grave », a-t-il déclaré devant la presse, rappelant que les populations congolaises «sont aussi précieuses que celles d’Ukraine, d’Israël, de Palestine ou les femmes afghanes». Un plaidoyer pour que la communauté internationale cesse son «deux poids, deux mesures» dans la gestion des crises.

Le procureur a annoncé l’ouverture d’une enquête ciblée sur les exactions commises dans les zones contrôlées par le M23, notamment les meurtres de civils, les violences sexuelles et les déplacements forcés. «Aucun groupe armé, aucun allié ne bénéficiera d’impunité », a-t-il martelé, en référence aux rapports accablants de l’ONU liant le M23 à l’armée rwandaise. Selon des experts onusiens, près de 4.000 soldats rwandais appuieraient les rebelles, une accusation fermement rejetée par Kigali.

En quelques semaines, le M23 a consolidé son emprise sur l’Est congolais. Après la chute de Goma, plaque tournante économique et stratégique, et de Bukavu, les rebelles progressent désormais vers Uvira, ville frontalière du Burundi. Cette avancée menace d’isoler davantage Kinshasa dans une région déjà fragmentée par des décennies de conflits.

Les civils paient le prix fort : plus de 700.000 personnes ont fui leurs foyers depuis janvier, selon le HCR, tandis que les ONG dénoncent des exécutions sommaires et des pillages systématiques. « Les humanitaires n’ont plus accès aux zones occupées. C’est une catastrophe silencieuse », alerte un responsable de Médecins Sans Frontières sous couvert d’anonymat.

La CPI face au défi congolais : entre espoirs et limites

La visite de Karim Khan en RDC n’est pas anodine. Le pays est le premier où la CPI a ouvert une enquête en 2004, aboutissant à seulement trois condamnations en vingt ans, dont celle du seigneur de guerre Thomas Lubanga. Malgré ces résultats mitigés, le procureur assure vouloir « apprendre du passé » et cibler «les commanditaires, pas seulement les exécutants». Une allusion à peine voilée aux soutiens régionaux du M23, dont le Rwanda est pointé du doigt.

Cependant, les défis restent immenses. La CPI, qui ne peut juger que des individus et non des États, devra prouver les liens directs entre Kigali et les crimes commis. Or, Paul Kagame, président rwandais, rejette toute implication et qualifie les rapports de l’ONU de «fabrications ».

Les développements récents de cette guerre font déjà partie des dossiers étudiés par la CPI. En effet, en 2023, le bureau du procureur a ouvert une enquête sur des allégations de crimes commis depuis janvier 2022 dans la province du Nord-Kivu. Les services de Karim Khan, lequel s’était déjà rendu dans le pays en mai 2023, ont indiqué début février que la situation actuelle dans l’est de la RDC «entr[ait] dans le cadre de l’enquête en cours ».

Le 24 février, la Première ministre de RDC Judith Suminwa Tuluka a avancé le chiffre de plus de 7.000 morts, dont de nombreux civils, depuis le début de l’offensive du M23. Parmi ces tués figurent notamment quatorze militaires sud-africains, déployés dans le cadre de la mission MONUSCO des Nations unies et de la mission SAMIDRC de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Environ 1.300 soldats de la SADC sont présents en RDC, dont environ 1.000 Sud-Africains.

UN TRIO POUR UNE NOUVELLE MEDIATION

Les chefs d’état-major de la SADC et de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) se sont réunis, le 24 février 2025 à Dar es-Salaam (Tanzanie), pour étudier un plan de sortie de crise qui viendrait fusionner les précédents processus de médiation de Nairobi et de Luanda. Le document recommandait, notamment « d’étudier la possibilité d’un déploiement d’une force hybride de l’EAC et de la SADC», laquelle serait «chargée de sécuriser la zone occupée par le M23 dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu», placée sous un statut spécial.

Les chefs d’État des deux organisations ont, dans la foulée, nommé un trio de facilitateurs chargés de parvenir à une médiation entre les parties au conflit. Celui-ci est composé de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, l’ex-Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn et le Kényan Uhuru Kenyatta. Les trois hommes seront chargés de travailler à un cessez-le-feu durable dans l’Est de la RDC, les tentatives de ces dernières semaines ayant été largement inefficaces.

Hugo Tamusa

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