Lors du 10e Makutano, la conférence économique phare de la RDC, tenue la semaine passée à Kinshasa, le directeur général de Vodacom RDC, Khalil F. Al Americani, a accordé un entretien à Bankable, le nouveau média économique congolais opéré par l’Agence Ecofin. Il partage sa vision pour le secteur et lève le voile sur les secrets du succès de M-Pesa, leader incontesté du marché de la monnaie électronique en RDC avec plus de 50 % de parts de marché. Entretien.
Avec plus de 25 ans d’expérience dans les télécoms, dont une grande partie passée chez Vodacom, qu’est-ce qui explique votre fidélité à ce secteur? Qu’est-ce qui vous passionne dans cette industrie ?
Khalil Al Americani : Merci pour cette belle question. Ce qui me passionne dans le secteur des télécommunications, c’est sa capacité à transformer la vie des gens. J’ai eu la chance de participer au lancement du premier réseau mobile au Niger, un moment clé où j’ai pu observer l’impact direct de cette innovation.
Au-delà de fournir la connectivité, ce qui me motive profondément, c’est de permettre l’accès à l’information mondiale via internet et de faciliter des services essentiels, comme les services financiers. Ces avancées transforment le quotidien et illustrent toute la richesse de notre métier. Pouvoir se connecter au monde par la voix, ensuite par le SMS, par l’internet, par les services financiers, c’est ce qui rend notre métier absolument exceptionnel.
La RDC a fait des avancées notables en matière d’accès aux télécommunications et aux services associés, mais des défis importants subsistent. Fort de votre longue expérience dans le secteur et de votre connaissance approfondie de la RDC, où vous avez passé une grande partie de votre vie, pouvez-vous nous dire quelles sont les spécificités de ce marché? Quels leviers faut-il actionner pour étendre l’accès aux télécommunications et atteindre le plus grand nombre possible de personnes ?
J’ai passé 29 ans en République démocratique du Congo (RDC), entre ma jeunesse et ma carrière. La RDC est un pays-continent, sept fois plus grand que l’Allemagne, avec neuf frontières et seulement 40 km d’accès à la mer. Ces caractéristiques posent des défis structurels, mais ouvrent aussi des opportunités.
Pour avancer, plusieurs axes sont prioritaires : un cadre règlementaire qui stimule les investissements, une collaboration accrue entre acteurs des secteurs prioritaires via la mutualisation des réseaux, et une formation adaptée pour que la jeunesse réponde aux besoins du marché. Une ouverture sur les marchés internationaux et des infrastructures résilientes sont également essentielles pour répondre à la demande croissante en connectivité et en services.
La RDC est un pays-continent, sept fois plus grand que l’Allemagne, avec neuf frontières et seulement 40 km d’accès à la mer. Ces caractéristiques posent des défis structurels, mais ouvrent aussi des opportunités.
Les télécommunications et la technologie sont des leviers incontournables de développement, soutenant des secteurs comme l’éducation, la santé, l’agriculture et l’industrie. Nous avons vu dans d’autres pays que la digitalisation stimule directement la croissance économique.
Pour la RDC, il est crucial de démocratiser l’accès aux smartphones 4G à des prix abordables, de connecter les zones rurales et de permettre l’autonomisation des communautés. Ces efforts permettront de créer des écosystèmes autonomes, favorisant le développement humain, industriel et économique du pays.
Vous avez évoqué la connectivité rurale, et pour de nombreux experts, la connectivité par satellite apparaît comme la solution la plus adaptée, notamment dans des zones difficiles d’accès et sur de vastes territoires. Chez Vodacom, cette connectivité satellitaire est-elle perçue comme une opportunité ou davantage comme un défi ?
Depuis ses débuts, Vodacom s’appuie sur la connectivité satellite, une technologie en constante évolution. Aujourd’hui, nous utilisons aussi bien des satellites géostationnaires que des satellites à orbite basse. Bien que le satellite soit une solution idéale pour les zones rurales à faibles besoins en capacité, nous complétons souvent cette connectivité par des réseaux micro-ondes et, lorsque cela est possible, par la fibre optique, en fonction des besoins et des distances à couvrir.
Depuis 2013, Vodacom a déployé plus de 800 sites ruraux connectés par satellite, alimentés par des panneaux solaires et des batteries, démontrant notre engagement à réduire l’empreinte carbone. Ces sites ont évolué au fil du temps, passant de la 2G à la 3G, et continueront de s’adapter aux nouvelles technologies. Nous sommes fiers d’avoir été des pionniers dans cette initiative, qui reste au cœur de notre stratégie pour connecter les zones reculées tout en inspirant d’autres acteurs du secteur.
Le service M-Pesa de Vodacom domine le marché avec plus de 50 % de part. Quel est le secret de cette réussite ?
Le succès d’M-Pesa repose sur une stratégie claire, un travail acharné, une exécution rigoureuse et une motivation constante. Depuis plus de 10 ans nous avons réussi à gagner la confiance de la banque centrale, régulateur de notre segment Fintech, VODACASH, ainsi que de nos fidèles abonnés à qui nous avons proposé une gamme de services évolutive.
Aujourd’hui, M-Pesa offre des solutions allant du transfert d’argent simple à des outils avancés pour les particuliers et les entreprises, comme les prêts, les paiements multiples et des API (interface de programmation d’application, NDLR) ouvertes pour intégrer des services tiers. Accessible même via un téléphone 2G, M-Pesa démocratise les paiements numériques tout en proposant une application mobile enrichie de mini-apps pour des intégrations sécurisées.
Accessible même via un téléphone 2G, M-Pesa démocratise les paiements numériques tout en proposant une application mobile enrichie de mini-apps pour des intégrations sécurisées.
L’inclusion financière est au cœur de notre mission. En digitalisant les paiements, nous réduisons les risques liés aux transactions en espèces et contribuons à l’efficacité du système financier. Cela profite à tous : gouvernement, entreprises et particuliers. Et avec de nouveaux services en développement, nous restons engagés à répondre aux besoins changeants de nos abonnés tout en renforçant la digitalisation du pays.
Nous avons déjà de nombreux services en place, et une longue liste de nouveaux services arrivera au fur et à mesure que les besoins de nos différents segments évoluent. Nous sommes très fiers de ce qui a été fait jusqu’à présent, et ravis de voir évoluer les comportements et les besoins de nos abonnés.
Dans le domaine de la monnaie électronique, les banques développent de plus en plus des applications intelligentes pour améliorer l’expérience client, tandis que des fintechs émergent avec des solutions d’inclusion financière. Comment Vodacom perçoit-elle cette évolution? Est-ce une opportunité de renforcer l’écosystème ou plutôt une concurrence à surveiller de près ?
Nous voyons l’évolution des applications intelligentes développées par les banques et l’émergence des fintechs comme une formidable opportunité de renforcer l’écosystème financier. Ces innovations permettent d’améliorer l’expérience client et d’élargir l’inclusion financière, ce qui est en parfaite adéquation avec notre mission de connecter les gens pour un avenir meilleur.
Nous croyons fermement que la collaboration entre les différents acteurs du secteur, y compris les banques, les fintechs et les opérateurs de télécommunications, est essentielle pour créer des solutions durables et accessibles à tous. Plutôt que de voir ces développements comme une concurrence, nous les considérons comme des partenaires potentiels avec lesquels nous pouvons travailler pour offrir des services encore plus innovants et inclusifs à nos clients.
En fin de compte, notre objectif est de contribuer à un écosystème financier dynamique et intégré qui profite à tous les Congolais.
Avec Agence Ecofin